Oeil pour oeil.
Jeremy Corbyn est très en colère. Et visiblement, il n’est pas tout seul. Le chef du parti travailliste britannique a formellement demandé à Theresa May d’annuler la rencontre diplomatique prévue entre Donald Trump et la Reine Elizabeth dans les prochains mois.
La Première ministre a déjà été largement critiquée par les britanniques pour son déplacement à la Maison-Blanche la semaine passée. Elle a profité de ce séjour pour gracieusement proposer à Donald de venir prendre le thé avec sa majesté. Celui-ci a évidement accepté. Comment refuser l’occasion de raconter à Elizabeth la manière dont il a réussi à coller une honte internationale à son pays en seulement deux semaines de présidence ?
Pourquoi ne pas discuter de la manière dont il compte désormais fermer les frontières à des résidents américains en provenance de pays musulmans, à des musulmans tout court, et à des réfugiés fuyant la guerre ? La proposition est tentante. Elizabeth, sans nul doute, attend elle aussi ce moment avec impatience.
Les britanniques, pourtant, ont l’air bien décidés à la priver de ce plaisir. Portée par les représentants de la gauche et du centre, Jeremy Corbyn et Tim Farron, la population britannique s’élève contre cette venue jugée honteuse.
No-one should be barred for who they are, where they are from or who they pray to. Liberals must keep calling out @realDonaldTrump
— Tim Farron (@timfarron) 29 janvier 2017
. @Theresa_May, you should have stood up for Britain & our values by condemning @realDonaldTrump‘s #MuslimBan and attacks on refugees. Shame
— Jeremy Corbyn MP (@jeremycorbyn) 28 janvier 2017
“Personne ne devrait être banni pour ce qu’il est, d’où il vient ou pour qui il prie. Les libéraux doivent continuer d’interpeller @realDonaldTrump”
”@TheresaMay, vous auriez dû défendre le Royaume-Uni et nos valeurs en condamnant le #MuslimBan de @RealDonaldTrump, et ses attaques contre les réfugiés. Honte.”
Plus d’un million de signatures
Suite à la déclaration de Jeremy Corbyn, une pétition a été lancée le 29 janvier au soir. Appelée “ Pour empêcher Donald Trump de faire une visite d’État au Royaume-Uni”, elle stipule que “la vulgarité et la misogynie de Donald Trump le disqualifient d’office pour rencontrer la Reine”, qui s’en trouverait “embarrassée”.
Pendant la nuit, elle a récolté plus de 200 000 signatures. Ce 30 janvier, elle vient de passer la barre du million. Des centaines de personnes continuent de la signer toutes les minutes (le compte est fait en direct ici, et c’est assez fascinant).
Toutes les pétitions officielles obtenant plus de 100 000 signatures doivent être débattues au Parlement. Autant dire que celle-ci devrait être au menu dans les prochains jours. Toutefois, le gouvernement a d’ores et déjà déclaré qu’il ne pouvait pas annuler la visite, car cela “reviendrait à détruire tout ce qu’a construit Theresa May”.
Il y a quelques jours, un débat avait déjà eu lieu parmi les députés, alors qu’une autre pétition, demandant une interdiction de territoire pure et simple pour le milliardaire, avait récolté elle aussi plus de 100 000 signatures. Comme le rapportait Le Monde, le débat était purement symbolique. Mais les échanges étaient porteurs d’une réelle réflexion sur la liberté d’expression face à l’extrémisme.
La résistance connectée
Les citoyens britanniques ne sont pas les seuls à organiser la résistance. Des centaines de milliers d’américains ont pris d’assaut les aéroports du pays pour tenter de faire libérer les personnes détenues par les agents fédéraux américains.
Le décret signé par Donald Trump concerne les réfugiés, mais aussi les binationaux et étrangers en provenance de “certains pays” (comprendre : des pays à majorité musulmane tels que le Yémen, l’Iran, la Somalie, ou le Soudan). De nombreux américains ont vu leurs proches bloqués aux postes de douanes des aéroports, parce qu’ils étaient binationaux, même lorsqu’ils disposaient de la précieuse Green Card qui leur permet de résider dans le pays.
Twitter s’est rapidement mué en repaire de résistants et lieu d’élaborations stratégiques. Journalistes et activistes ont filmé jour et nuit la mobilisation qui a amené des milliers de personnes dans les aéroports. Des avocats se sont empressés de rejoindre les lieux pour conseiller les personnes détenues et leurs proches. The Intercept a notamment suivi plusieurs avocates, à l’aéroport LAX de Los Angeles.
Certains membres du Congrès américain ont tenté, en vain, d’intervenir. Les États, comme l’expliquait hier soir dans un live Facebook l’avocat et professeur à Harvard Ian Samuel, se trouvent impuissants devant une loi fédérale qui donne des directives aux officiers fédéraux que sont les agents de police aux frontières. L’avocat les a néanmoins appelé à résister et à ne pas appliquer le décret présidentiel qui peut être considéré comme anti-constitutionnel.
Un juge New-Yorkais a d’ailleurs donné raison à l’ACLU (American Civil Liberties Union) qui s’est empressée d’attaquer le président et son administration en justice. Légalement, certaines parties du décret ne sont donc plus en application. Pour le moment.
Révolte en Sillicon Valley
Les grandes entreprises du web ont elles aussi pris position, de manière plus ou moins virulente. Alors que Mark Zuckerberg se disait “inquiet”, Brian Chesky, le patron de Airbnb, annonçait que la plateforme offrirait un logement gratuit à toute personne refusée aux frontières américaines.
Airbnb is providing free housing to refugees and anyone not allowed in the US. Stayed tuned for more, contact me if urgent need for housing
— Brian Chesky (@bchesky) 29 janvier 2017
Le service de VTC Lyft a annoncé qu’il ferait un don d’un million de dollars à l’ACLU, mollement suivi par Uber. Et Google vient d’annoncer la création d’un fond de 4 millions de dollars, également destiné à l’association de protection des droits civiques.
Twitter is built by immigrants of all religions. We stand for and with them, always.
— Twitter (@Twitter) 29 janvier 2017
Impeachment ?
Certains élus Républicains dont John McCain ont par ailleurs commencé à tourner le dos au Président. Toujours selon Ian Samuel, une opposition forte et soudée au sein du parti serait la seule manière de lancer une procédure “d’impeachment” (une mise en accusation du président qui peut mener à sa démission, comme celle qui a frappé Richard Nixon après l’affaire du Watergate). Mais malgré le soulèvement populaire, on est encore loin d’un retournement de veste chez les Républicains. Après une telle mesure, on se demande bien ce qui pourra les faire réagir.