Des messages rédigés depuis un centre de détention australien, où il vit depuis six ans.
La Chronique Loin, une actualité culturelle de partout sauf en France, c’est tous les lundis à 8h45 avec Clémentine Spiler dans Pour que tu rêves encore, la matinale de Radio Nova. Vous pouvez lire la chronique de ce lundi ci-dessous, ou bien l’écouter, en podcast.
La semaine passée, le prestigieux Victorian Literary Prize, sorte de Goncourt Australien, a été décerné à un homme qui n’a pas pu venir le chercher. Behrouz Boochani est un Kurde iranien qui a quitté son pays natal il y a six ans et tenté de rejoindre l’Australie. Mais son bateau est intercepté avant qu’il n’atteigne la côte et, comme le veut la loi en Australie, Behrouz Boochani a été interné dans un camp sur l’île de Manus, en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Son livre, No Friend but the Mountains, raconte son clavaire. Six ans dans des conditions insalubres. Les perquisitions constantes des gardiens l’empêchent d’écrire son livre sur du papier. Il l’écrit donc par SMS, qu’il envoie directement à un ami traducteur en Australie. Celui-ci s’occupe de traduire le Farsi en Anglais et, on l’imagine, de proposer le livre à des éditeurs.
Lanceur d’alerte
Il faut savoir que Behrooz Boochani n’est pas n’importe qui. Journaliste persécuté en Iran, un pays qu’il a fui parce qu’il craignait pour sa vie, il n’a jamais arrêté de pratiquer son métier et écrit régulièrement pour des journaux iraniens et australiens sur son centre de détention vu de l’intérieur. Il a même tourné un documentaire avec son téléphone sur le sujet. Behrooz Boochani est ce qu’on pourrait appeler un lanceur d’alerte. Il pointe du doigt l’hypocrisie de l’Australie qui « délocalise » ses réfugiés.
Par texto toujours, après avoir eu vent du prix qui lui avait été attribué, il a déclaré qu’il n’avait jamais écrit ce livre dans ce but mais plutôt réveiller les consciences australiennes : « J’ai quitté l’Iran parce que je ne voulais pas passer ma vie en prison, mais je me retrouve dans une autre prison, une prison créée par un pays qui se targue d’être une démocratie ».
Prise de risque
Le choix du gagnant est une belle prise de risque pour le jury du Victorian Literary Prize, qui a même dû faire une dérogation, puisque ses règles mentionnent que le gagnant doit être Australien. Mais le jeu en vaut la chandelle car cette histoire est en train de faire le tour des médias du monde entier et de donner de la visibilité à un problème diplomatique et politique pourtant bien connu depuis des années. Cela fait longtemps que l’ONU tape sur les doigts de l’Australie pour cette politique de « découragement » menée depuis le début des années 2000.
Le pays a passé un deal depuis bientôt vingt ans avec les îles environnantes, dont la Papouasie Nouvelle-Guinée, qui s’étaient engagés à « héberger » ses migrants en attendant que Canberra étudie leur demande d’asile. Mais en 2007 la loi est durcie et stipule désormais qu’une personne qui a tenté d’entrer illégalement en Australie ne sera jamais autorisée sur le territoire.
Les détenus comme Behrooz Boochani n’ont donc aucun espoir d’attendre l’Australie. Ils ont automatiquement la nationalité guinéenne mais la plupart ne veulent pas rester là. Ils ont aussi le droit de retourner dans leur pays d’origine, ce qui st bien évidemment une fausse option pour la plupart d’entre eux. Leur troisième espoir consiste à attendre de bénéficier d’un accord avec un pays tierce. Comme fin 2018, lorsque États-Unis ont accueilli 450 de ces demandeurs d’asile grâce à un deal conclu quelques années plus tôt par Barack Obama. En attendant il reste 600 personnes dans l’incertitude sur l’île de Manus.
Visuel (c) Victorian Literary Prize