Leyla Bouzid s’attaque à ce qui tient quasiment d’un tabou : le déterminisme des jeunes hommes maghrébins à l’heure de leur première fois.
Un jour, il faudra bien se demander pourquoi les histoires d’éducation sentimentales et d’émancipation au cinéma se focalisent très majoritairement sur des personnages féminins. Leyla Bouzid était passée par là avec un premier film, À peine j’ouvre les yeux, où une jeune tunisienne faisait sa propre révolution en devenant chanteuse engagée. Engagé, le second long métrage de Bouzid l’est à sa manière. Autour du coup de foudre d’un étudiant d’origine algérienne pour une tunisienne débarquée à Paris, Une histoire d’amour et de désir s’attaque a ce qui tient quasiment d’un tabou, à savoir le déterminisme des jeunes hommes maghrébins à l’heure de leur première fois.
Une histoire d’amour et de désir voit cependant beaucoup plus loin que son titre faussement programmatique. La relation entre Ahmed, banlieusard renfermé qui ne connait de son pays de naissance que les injonctions sociales et moralisatrices et Farah, fille de la bourgeoisie de Tunis que rien ou presque n’effarouche ouvre une brèche quasi-inédite en s’attaquant aux images d’Épinal encore très ancrées autour des cultures du Maghreb vues d’ici de la place des jeunes hommes face à la pression sociale à la représentation des corps masculins arabes à l’écran. Ou plus simplement d’amalgames ayant fait de l’Afrique du Nord une entité globale, alors qu’elle est des plus diversifiées. Le geste est d’autant plus audacieux dans une période de retour au conservatisme, où les raccourcis sont entérinés comme des vérités, que Bouzid ose la douceur pour accompagner une démarche intellectuelle autour du déni de soi ou l’autocensure par une forme de dépucelage.
En ne renonçant jamais aux langueurs d’une romance, comme en faisant appel aux classiques oubliés de la littérature érotique arabe du Xème siècle, Une histoire d’amour et de désir prend langue sans qu’elle soit de bois, car n’occultant pas la complexité d’une identité maghrébine, bien plus dense que ses façades de virilisme ou d’atavisme religieux. Bouzid les travaillant au corps, par une sidérante combinaison de retenue et de sensualité. La vraie part de séduction de son film venant pour autant de sa proposition, qui peut paraître folle aujourd’hui où tout doit aller vite, de prendre du recul pour contrecarrer les préjugés, faire s’embrasser enseignements anciens et enjeux contemporains. La vibrante chamade qui s’installe ici doit bien sur beaucoup à Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor, aussi remarquable que fièvreux duo d’acteurs, mais Une histoire d’amour et de désir terrasse surtout en rappelant qu’un propos intelligent autour d’une génération qui doit réapprendre à s’aimer afin de pouvoir s’autoriser à désirer l’autre, peut être incroyablement sexy.
En salles depuis le 1er septembre
Visuel © Une histoire d’amour et de désir