David Van Reybrouck était il y a quelques jours l’invité de Bintou dans Néo Géo. Il vient d’être récompensé du prix Médicis de l’essai 2012 pour son livre « Congo ». Retour sur cet entretien
L’écrivain belge David Van Reybrouck a reçu le prix Medicis de l’essai 2012 pour son œuvre « Congo, une histoire » paru dans sa version française cette année chez Actes Sud. Un livre qui couvre plus de 90 000 ans d’histoire de ce pays. L’ouvrage est devenu un best-seller en Belgique et aux Pays-Bas avec plus de 250 000 exemplaires vendus. Bintou Simpore avait reçu Van Reybrouck dans son émission Néo Géo, pour réécouter cette interview c’est par là
Le livre « Congo, une histoire », de l’écrivain belge David Van Reybrouck, est sorti en version française en septembre (Actes Sud). Quatre-vingt dix mille ans d’histoire congolaise, pour autant de morceaux qu’il faut assembler avec ingéniosité… C’est l’aventure dans laquelle s’est lancé l’auteur, une reconstitution titanesque et réaliste – mais surtout très réussie – d’un Congo méconnu.
« Le Rêve et l’Ombre étaient de très grands camarades ». Une citation du poète Badibanga choisie par l’auteur pour illustrer le turbulent destin du Congo, de ses prémices où il n’était alors qu’un territoire immense, inconnu et paisible jusqu’à notre époque, plus sombre pour le pays.
Depuis la fin du XIXème siècle, le Congo demeure une terre de convoitises. Le Congo, une histoire, vous dit-on. Une histoire et son lot de souffrances tues, muselées par le temps : la traite négrière des premiers commerçants afro-arabes et européens, la marche forcée vers une industrialisation frénétique qui apporta, certes, modernité, mais au détriment d’organisations ancestrales (avec de nombreux royaumes notamment) des plus efficientes provoquant un profond sentiment de déracinement chez les autochtones.
Le Rêve et l’Ombre étaient de très grands camarades
Et comme dans beaucoup de pays du continent africain, on découvre un peuple inventé et cisaillé au gré de la christianisation et des campagnes coloniales, comme celle du roi Léopold II ; « il faut une colonie à la Belgique », avait-il déclaré du haut de ses… vingt quatre ans. Il fera du Congo sa petite entreprise.
Car c’est aussi une histoire de rapport de force au sein de ce continent gisant plus au Nord, l’Europe, qui redéfinira le destin des « congolais ». L’Europe dont personne, dans les contrées les plus reculées du Congo, ne soupçonnait l’existence. Un paradoxe.
L’auteur David Van Reybrouck le rappelle, l’Afrique Equatoriale est la zone à avoir été le plus tardivement cartographiée par les explorateurs contrairement aux Amériques, pourtant si éloignées. Les explorateurs mandatés par les plus hautes sphères d’occident ont mis du temps à nommer cette « tache » et ce fin trait dessiné maladroitement sur les cartes d’antan : ces esquisses représentaient en fait la forêt équatoriale et le fleuve Congo.
Le premier à avoir pu cartographier cette région avec précision, c’était cet explorateur britannique du nom de Henry Morton Stanley. Sa rencontre avec le commerçant et chasseur d’esclaves Tippo Tip scellera le début d’une nouvelle ère pour les autochtones de la forêt équatoriale et de la région alentour grande comme la moitié de l’Europe…C’était il y a un peu plus d’un siècle.
Le pays le plus dévasté d’Afrique, et pourtant…
« Congo, une histoire » c’est une fresque historique, de la préhistoire aux années 2000, au teint « jaunâtre, ocre, rouille », les couleurs épuisées de Kinshasa, capitale aujourd’hui de la République Démocratique du Congo. Le rapport au temps est omniprésent mais ne fait pas l’impasse sur les conditions de vie des congolais, ceux du passé et du présent, au contraire il les valorise, les estime, les sublime même dans un contexte politique pourtant si compliqué. Le régime colonial belge, la décolonisation tardive, la Première République, Mobutu, Kabila père et fils : tout est traité, sans complaisance ni apitoiement, Van Reybrouck ne verse pas dans le pathos et c’est plaisant.
Au fil du récit, le lecteur accompagne le regard clairvoyant de David Van Reybrouck. L’auteur nous initie à la (re)découverte de ce pays « le plus dévasté d’Afrique » et dépeint ses antipodes qui perdurent : une terre qui souffre et qui couve, pourtant, des trésors culturels inestimables et des histoires… Belles. Malgré tout.
Au-delà de la description méticuleuse et passionnante des lieux, l’écrivain laisse place aux témoignages de congolais, dont celui d’Etienne Nkasi, un aïeul âgé vraisemblablement de 126 ans… Le Congo, une histoire ? Non, des histoires dirons-nous. Elles sont mises en valeur par une plume vive, expressive.
Le style est sidérant d’efficacité. David Van Reybrouck n’hésite pas à unir les faits historiques et le récit de ses rencontres, ces deux éléments se complétant à merveille. Un style qu’il admet « difficle à classer ». Il n’hésite pas non plus à alterner entre une approche journalistique, historique, théâtrale et romancée de l’histoire du Congo. Car David Reybrouck n’a pas seulement été écrivain mais aussi historien, homme de théâtre, archéologue et philosophe de formation, chercheur, éditorialiste, poète… Serait-il devenu aussi, au fur et à mesure de ses allers-retours entre Bruxelles et Kinshasa, un explorateur des temps modernes?
C’est sûrement dû à ces multiples atouts que son livre « Congo, une histoire » est une des œuvres les plus abouties et les plus originales de la littérature contemporaine.
*En 2010, il reçoit le prestigieux prix Ako et devient un best-seller en Hollande. A ce jour, 250 000 exemplaires ont été vendus.