Les chroniques d’Usbek & Rica : #28.
Avec la révolution numérique, notre civilisation serait en train de perdre le goût de la lecture et de l’écriture. Nous serions en train de devenir des sortes d’analphabètes shootés à Internet. Des preuves ?
En 25 ans, le temps moyen consacré par les Français à la lecture a fondu d’un tiers, passant de 27 à 18 minutes par jour. 4 français sur 10 avouent lire moins qu’avant, surtout par manque de temps. L’année dernière, la maison d’édition Penguin, aux EU, a décidé de lancer un nouveau format, les « essais courts », après avoir constaté que ses lecteurs allaient de moins en moins au bout des livres. Quant à l’écriture, on se souvient que 45 Etats américains ont rendu facultatif l’apprentissage de l’écriture cursive (à la main). Dans le même ordre d’idée, les ventes de stylos plume ont chuté durant la dernière décennie. Bref, tout fout le camp : on ne lit plus, on n’écrit plus !
45 Etats américains ont rendu facultatif l’apprentissage de l’écriture cursive
Eh bien si, mais différemment. On tapote sur des claviers physiques ou virtuels, on lit et on écrit des messages de 140 caractères maximum, on lit et on écrit des mails et des SMS, mais surtout on consomme du son et de l’image. Chaque minute, 100 heures de vidéo sont mises en ligne sur YouTube. Chaque seconde, plus de 4000 photos sont partagées et 60 000 contenus publiés sur Facebook. 5 000 messages sont postés sur Twitter.
Bien sûr, beaucoup se plaignent de ce virage anthropologique et culturel : le grand écrivain Philipp Roth se demande quelle place sera réservée à la lecture de romans… Le journaliste Nicolas Carr s’est rendu célèbre avec son article : « Is Google making us stupid ? » De nombreux chercheurs disent qu’un élève apprend moins bien quand il tape son cours que quand il l’écrit au stylo. Et puis il y a ceux qui profitent de ce changement d’ère et qui disent, « ok, je m’adapte. » : Bernard Pivot et Salman Rushie se sont mis à tweeter. Jonathan Franzen avoue tenir compte de la vie quotidienne de ses lecteurs, harassés de contenus, et qui n’ont pas que ça à faire d’attendre que le roman commence vraiment page 50. Gary Shteyngart a récemment posté un petit film hilarant pour promouvoir son dernier livre… Quant à l’école, elle se pose de plus en plus la question d’introduire des cours de code, pour éviter le schisme entre littéraires et informaticiens.
Bernard Pivot et Salman Rushdie se sont mis à tweeter
On n’est donc pas complètement condamnés à devenir stupides. Loin de là ! Dans l’histoire, lire et écrire a servi à 3 choses : Faire des inventaires, comptabiliser les possessions et les récoltes ; se faire comprendre les uns des autres grâce à un système universel, compréhensible par tous ; s’exprimer, créer, raconter des histoires, penser… Il y a 4000 ans, les Mésopotamiens utilisaient des tablettes d’argile, les Egyptiens du papyrus, les Chinois du papier de riz, et les européens du parchemin. Il a fallu attendre Gutenberg et l’imprimerie, au XVe siècle, pour qu’on puisse dupliquer l’écriture, et donc la lecture, sans avoir besoin de recopier, comme le faisaient les scribes et les moines copistes du Moyen-Âge.
Des millions de milliards de contenus pourraient disparaître en une fraction de seconde
Moralité : plus les technologies se sophistiquent, plus la connaissance se propage, et plus elle se démocratise. Et c’est exactement ce qui est en train de se passer. On n’est pas face à un appauvrissement général de la culture : on file tout droit vers un nouvel âge d’or. Il n’y a aucune raison que l’humanité arrête de comptabiliser, d’échanger, de s’exprimer. Surtout quand on sait que la moitié des habitants de la planète n’est pas encore connectée à Internet ! Les générations futures seront plus cultivées… à condition qu’elles ne deviennent pas amnésiques ! Imaginons un instant une cyber attaque contre les serveurs de Google et Amazon : des millions de milliards de contenus pourraient disparaître en une fraction de seconde. Le risque dans le futur, c’est de revivre à grande échelle ce que les Egyptiens avaient connu avec l’incendie de la bibiothèque d’Alexandrie. Ce n’est pas de devenir stupides, mais de perdre la mémoire.
Une chronique à retrouver sur le blog d’Usbek & Rica !