Au Théâtre du Rond Point, une pièce de Gilles Gaston-Dreyfus.
L’aîné protecteur qui occupe tout l’espace, le benjamin hypersensible qui joue le trait d’union, la petite dernière qui se donne de grands airs… combien de rôles existe-t-il au sein d’une fratrie ? Comment décrire les relations complexes qui unissent frères et soeurs ? C’est ce que questionne la nouvelle pièce de théâtre de Gilles Gaston-Dreyfus à travers la Veillée de famille, une veillée qu’il nous est donné d’observer depuis la cuisine de l’appartement familial.
Ils ont grandi sous le même toit, ont reçu la même éducation, ils partagent les mêmes histoires de famille, et pourtant comme bien souvent, tout les oppose. C’est un jour triste qui les rassemble dans la cuisine de leur enfance : leur mère centenaire s’éteint. Est-il abominable de souhaiter que ses souffrances s’arrêtent enfin, questionne l’aîné qui passe comme toujours pour l’égoïste, totalement détaché. Au risque d’être encore perçu comme étant le plus fragile des trois, le petit frère, lui, ne peut s’empêcher d’appeler « maman » tant qu’il est encore temps. Ces deux-là manquent de pudeur à exposer leurs états d’âme alors que leur mère respire toujours, pense la benjamine qui s’est sacrifiée pour rester à son chevet et qui prend soudainement conscience de sa propre condition de mortelle à mesure qu’arrive la fin…
Dès qu’ils sont réunis, chacun retrouve immédiatement sa place dans la fratrie et les éternelles rivalités réapparaissent. Il faut prouver aux autres que la relation qu’on a avec la mère est inégalable, unique et que le deuil n’en sera que plus douloureux, comme si paradoxalement cela pouvait apaiser la souffrance. Les anecdotes fusent, parfois dans un éclat de rire, parfois sur un ton accusateur, qui ravivent les vieilles hostilités et les jalousies.
Puis ils échangent quelques banalités. Ils connaissent tout les uns des autres, et rien à la fois. Intimes mais si pudiques. Ils s’agacent, se disputent pour des détails dont ils sont les seuls à connaître la résonance. Ils s’emportent sans retenue, il n’y a pas d’enjeux. Leurs destins sont scellés pour le meilleur et pour le pire. Ils peuvent se détester, se rejeter, se faire mal, ils n’en restent pas moins frères et soeurs et la complicité qu’il y a entre eux est bien là pour leur rappeler. Ils confrontent les souvenirs lointains, à chacun sa perception, à chacun ses blessures, sa madeleine de Proust.
Ils sont le miroir de l’autre depuis toujours. C’est sans doute ce reflet qui les a rendus si différents et si semblables à la fois. « L’amour fraternel ne ressemble à rien d’autre que ce qu’il est. Et il existe » affirme Gille Gaston-Dreyfus qui écrit, met en scène et joue dans la pièce. Comme toutes ses histoires (Mon ami Louis et Couple), celle-ci respire le vécu. Impossible d’en douter après avoir assisté à cette « Veillée de famille » tant la justesse du texte et l’impeccable interprétation des comédiens, Dominique Reymond et Stéphane Roger (sur scène avec Gilles Gaston-Dreyfus lui-même) favorisent la projection et poussent à l’auto-analyse. La relation frères/soeurs : une relation mystérieuse, unique et parfaitement insaisissable que le spectateur observera avec fascination depuis la fenêtre de la cuisine de Gilles Gaston-Dreyfus, au Théâtre du Rond Point à Paris jusqu’au 7 avril.
Visuel en Une (c) Giovanni Cittadini cesi