La chronique de Jean Rouzaud.
Dès 1918, l’influence de la Révolution russe d’Octobre 1917 va faire sentir ses effets dans tous les domaines, y compris les arts plastiques.
Les artistes russes étaient déjà gonflés à bloc par les explosions artistiques mondiales en Europe, et attendaient de pied ferme l’occasion de s’exprimer à leur tour, entre fauvisme, cubisme, futurisme, dadaïsme. À Weimar, les Allemands ouvrent le Bauhaus, avec un manifeste visionnaire et moderniste, dû à Walter Gropius.
Chagall, Lissitsky, Malevitch : Art et révolution
C’est Marc Chagall qui réussit, malgré les évènements, à réunir une université à Vitebsk. Il souhaite développer un enseignement artistique ouvert, diversifié…Les tendances opposées ne le gênent pas. Il protège les figuratifs classiques, même romantiques ou folkloriques.
La chute du tsarisme a ouvert les universités à tous : les ateliers doivent développer un style russe, y compris dans d’autres domaines : objets, meubles, photos, architecture, théâtre, journaux…
Un autre peintre vient le seconder : El Lissitzky dirige les ateliers d’imprimerie, graphisme et architecture. Il insiste auprès de Chagall pour faire venir Kasimir Malevitch le grand peintre, fondateur du suprématisme : une peinture spatiale, géométrique, s’éloignant de tout objet, pour une vision futuriste et pure de l’abstrait.
La personnalité de Malevitch est telle, son inspiration si forte et nouvelle, qu’elles vont balayer tous les autres courants. Les élèves s’enthousiasment pour cette peinture radicale, sans objet, révolutionnaire et dynamique où rien d’ancien n’a survécu.
Ils se font appeler les Ounovis, « champions du nouvel Art » et se lancent à corps perdu dans ce nouveau style cubo-futuriste qu’ils vont décliner partout ! Leur guide, Malevitch, va approfondir toutes ses théories et exécuter ses célèbres toiles : « carré noir sur fond blanc » puis « carré blanc sur fond blanc » !
De leur côté, les ateliers de Vitebsk se lancent dans la participation à la révolution bolchevique et dans la révolution culturelle. Ils vont créer dans le style suprématiste, qui évolue en constructivisme, des drapeaux, des costumes, des affiches et même des tribunes – théâtres avec sculptures modernistes , des fusées – sculptures, des véhicules recouverts de ronds et triangles dynamiques et colorés.
Chagall est balayé, son individualisme, son folklore n’ont plus cours dans la grande révolution russe : l’individu romantique et passéiste est dépassé, mais des dizaines de nouveaux artistes russes naissent et créent. Ce sont les Posnovis, « partisans du nouvel Art ». Tout est dit, dès 1920.
Un Art révolutionnaire au service de la révolution !
La ville semble magique, délirante avec ses tableaux géants, ces formes géométriques abstraites bleues, rouges, jaunes et noires sur fond blanc. Un Art révolutionnaire au service de la révolution !
Leur slogan – « Rien d’ancien, ni les formes, ni la vie ! » – est aussi dur que ce qui va leur arriver. Bientôt le soviet suprême n’aura plus besoin de casser l’Art ancien, mais de se faire illustrer par un « réalisme socialiste » à la gloire des héros, des leaders.
Le culte de la personnalité exige des artistes utiles à la révolution et à son service : portraits officiels et scènes héroïques remplaceront les envolées abstraites et malgré tout lyriques du suprématisme.
Deux-cent-cinquante œuvres et documents sont exposés au Centre Pompidou pour quatre mois, et permettent de découvrir des images merveilleuses d’un monde fou qui n’a pas duré, mais qui est entré dans l’histoire.
Chagall, Lissitzky, Malévitch. L’avant-garde russe à Vitebsk (1918-1922). Centre Pompidou. Du 28 mars au 16 juillet 2018.
Visuel en Une : (c) Vera Ermolaeva – Projet de décor pour l’opéra « Victoire sur le soleil », 1920 Encre de Chine, plume sur papier – Photo : © Galerie nationale Tretiakov, Moscou