C’est beaucoup plus intéressant que ça ne le semble.
La chronique Textile, c’est un jeudi sur deux à 8h45 dans Pour que tu rêves encore, la matinale de Radio Nova. Elle est signé Yvane Jacob, du compte Instagram Sapé comme Jadis. Vous pouvez lire celle de ce jeudi ci-dessous, ou bien l’écouter, en podcast.
Et cette semaine c’est la première audition de Carlos Ghosn, l’ancien PDG de Renault, au tribunal de Tokyo qui fait causer chiffons, ou plus exactement, chaussons. La descente aux enfers de Carlos Ghosn est aussi vestimentaire. À sa première audition, il s’est présenté dans un costume sombre, sans cravate, amaigri avec aussi – on a pu le lire – les racines blanchies. Mais surtout Carlos a débarqué avec aux pieds, selon les témoignages (car l’audience n’était pas filmée), des chaussons, des sandales, des tongs, en somme des sortes de claquettes en plastique.
Des tongs qui sortiraient apparemment de prison, comme lui. Au Japon, ça n’est pas forcément aussi grave que chez nous de se balader en claquettes, car dans certains lieux publics, il arrive qu’on puisse enlever ses chaussures et mettre des chaussons.
La chaussure, attribut de pouvoir
Mais en Occident, l’image est terrifiante. La description est reprise dans tous les médias, à travers le monde et rappelle les images de DSK non rasé, entouré de deux policiers après son arrestation au Sofitel. C’est l’image même de la déchéance : Carlos Ghosn est un homme de pouvoir et comme tous les hommes de pouvoir, il porte les attributs du pouvoir. Les chaussures en font partie. C’est un marqueur social, très fort de la tenue masculine, comme l’est aussi, par exemple, la montre.
Les chaussures ont toujours marqué le statut de celui ou celle qui les porte. La plupart du temps, Carlos porte des chaussures en cuir type Richelieu, les plus classiques des chaussures de ville, à lacets. Ça pose son statut de businesseman.
Il ya d’autres exemples dans l’histoire. Par exemple, dans la Rome antique, les sénateurs se distinguaient des simples citoyens par leurs sandales montantes et noires (à l’inverse des sandales plates des citoyens lambdas).
Sous l’Ancien régime, quand on est aristo, on porte des chaussures trop petites, et trop étroites. Presque impossible de marcher avec mais justement, ça sert à montrer qu’on n’a pas besoin de marcher. Pareil sous l’Empire avec Joséphine, la femme de Napoléon, qui se plaint à son chausseur d’avoir ruiné ses mules trop vite. Il lui répond qu’il fallait pas marcher avec.
Aujourd’hui, dans la Silicon Valley, ceux qui ont le plus de pouvoir portent des sneakers. Mais pas n’importe lesquelles. Des modèles précis, un peu plus recherchés que des Stan Smith. Par exemple, des Lanvin pour tout un banc de CEO : celui de Google, Sundar Pichai, de Microsoft, Satya Nadella, ou d’Alphabet, Larry Page. Ils ont réinventé un code vestimentaire.
Ghosn a-t-il du charisme en claquettes ?
Pour son couronnement en 1926, l’empereur Hirohito portait des tongs à plateformes de 30cm. Mais les Geta, c’est le nom de ces chaussures, avaient une longue histoire. Elles chaussaient les classes favorisées du pays, et leur aspect extraordinaire reflétait le caractère unique de l’empereur. Anonymes, dans une matière très cheap, et totalement non assorties à son style habituel, les chaussons en plastique de Carlos Ghosn ne sont que le signe de son déclassement soudain.
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