Des micro-communautés interdépendantes et solidaires, écosystèmes d’amour et d’amitié mixtes et autogérés, semblables aux plantes : telle est l’utopie de cette écrivaine et performeuse lyonnaise, membre du collectif de poésie queer RER Q.
« Ce sont eux qui ont vu leurs enfants disparaître, toute une génération de l’âge de ma mère. Ce sont eux qui ont fait de notre territoire un refuge, un blockhaus, une île en pleine terre. Un endroit clos d’où entrent et sortent seulement les matières et objets. Ce sont eux qui disent que les livres rendent tristes, les livres nous rappellent comment c’était avant, les livres tuent nos jeunes, il faut les interdire et en faire de nouveaux, des plus divertissants, des qui n’étreignent pas trop le cœur d’une trop grande, d’une immense nostalgie d’un monde qui n’est plus, qu’on ne connaîtra pas, que je n’ai pas connu. »
Ce monde évanoui, c’est celui de Viendra le temps du feu, la dystopie de l’écrivaine et performeuse Wendy Delorme, à paraître le 3 mars dans la collection « Sorcières » des éditions Cambourakis. La jeunesse au bûcher – et, comme par hasard, celle qui se mobilisa pour la sauvegarde de la planète. Trois décennies après « le grand Deuil National », la société a mué vers un totalitarisme à mi-chemin entre Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953) et La Servante écarlate de Margaret Atwood (1985) : tous les livres, « dans chaque bibliothèque, dans chaque librairie, dans chaque maison » sont détruits en raison des nuisances qu’ils infligent « au moral », tandis que les femmes « de même que les hommes » doivent contribuer de « la manière la plus appropriée » à la perpétuation de l’espèce. Natalité contrôlée. Frontières fermées. Couvre-feu généralisé. Mais dans l’ombre, un livre offre un vadémécum de résistance : Les Guérillères, publié en 1969 par la philosophe et romancière française Monique Wittig (1935-2003), dont les héroïnes « dans leurs cris, leurs rires, leurs mouvements, affirment triomphant que tout geste est renversement ».
Une communauté de résistance se met alors en place. Comme dans… l’utopie formulée à bord de L’Arche de Nova. Membre du collectif de poésie queer RER Q (« réseau d’autriX allié.e.s autour de textes / manifestes queer / crus / cul », qui « explose le genre triste et la syntaxe molle, la police des corps identifiés identifiables et la littérature officielle »), enseignante à l’université Lyon II et spécialiste des questions de genre et d’identité dans les discours et représentations médiatiques, Wendy Delorme pose ici les bases du « pacte du terrarium », pour un réseau d’écosystèmes d’amour et d’amitié mixtes et autogérés où chacun.e fera « vœu d’allégeance et de soutien à cinq personnes choisies », paradigme né de l’observation lumineuse d’un authentique terrarium acquis auprès d’un ami botaniste. Pourvu que l’idée prenne racine !
Pour écouter les trois utopies d’un.e autre membre du collectif RER Q, Camille Cornu, vous pouvez commencer par là : https://www.nova.fr/news/camille-cornu-13-demain-fera-du-fromage-avec-notre-lait-maternel-41132-06-10-2020/
Réalisation : Mathieu Boudon.
Image : Too Much Pussy !, d’Émilie Jouvet (2011).