L’artiste expose les photographies de son projet « Beautiful People : What is Beauty ? » au centre culturel La Place, à Paris.
Paris, Les Halles, sur la coursive de La Place, quelques danseurs répètent leurs chorégraphies devant des tirages de portraits colorés. Ces visages, ce sont ceux photographiés par Stencia Yambogaza (aka Perebisou) au cours de son projet Beautiful People : What is Beauty ? Depuis 2015, la jeune femme rencontre et interroge des inconnus sur leur rapport à eux-même, à leur corps, à leur image. Son but ? Montrer la beauté dans toute sa diversité.
Comme Martine Barrat, exposée avant elle dans ce lieu dédié à la culture urbaine, Stencia est photographe mais aussi danseuse et réalisatrice en devenir. Rencontre avec une artiste complète.
Ton projet est né via les stories de ton compte Pendere. Tu discutes avec les gens sur Instagram avant de les rencontrer ?
Stencia Yambogaza : Oui et beaucoup se confient, surtout des jeunes, des lycéens. Les réseaux sociaux, et notamment Instagram, ont vraiment un effet néfaste sur leur vie, sur leur perception d’eux-mêmes et celle que les autres ont d’eux. Ça donne cette impression que la société attend de nous que l’on soit conforme, normal. Beaucoup sont en conflit intérieur constant et me disent « ça ne va pas et ton projet fait du bien parce qu’on est face à des gens qui sont différents, qui nous ressemblent. »
J’aime m’intéresser aux gens
On a presque l’impression que tu arrives à voir au-delà de la personne que tu photographies, comme si tu décelais un potentiel qui viendrait après les barrières du manque de confiance.
Stencia Yambogaza : C’est quelque chose dont je n’avais pas forcément conscience avant, même si j’ai toujours été comme ça de par mon éducation. Ma mère nous a beaucoup élevés dans la discussion, le fait de dire « je t’aime », de donner de soi. J’aime m’intéresser aux gens. Chaque fois que je prends quelqu’un en photo j’ai toujours besoin de discuter avec la personne avant. Quand je discute avec elle et que je la regarde s’exprimer, parler, son corps et son visage bouger, j’ai l’impression de comprendre un peu son histoire.
Combien de temps passes-tu avec les gens avant la séance ?
Stencia Yambogaza : Minimum une heure. Ça peut aller jusqu’à 2h30 ou un après-midi entier. Pour arriver à ce résultat-là je suis obligée de passer par cette étape. Pour comprendre la personne, j’ai besoin qu’elle me montre qui elle est vraiment, me laisse un peu entrer dans son intimité, me fasse part de ses vulnérabilités, de ce qui la rend humaine. Souvent, les personnes photographiées se retrouvent face à elle-mêmes et aiment l’image qu’elles renvoient. Ce qui me fait plaisir, c’est que les gens arrivent à se reconnaître, mais aussi que d’autres qui ne connaissent pas le projet tombent dessus et que ça leur parle, qu’ils puissent s’identifier et se sentir moins seuls. Ça créé du lien et ça fédère.
J’ai envie de montrer que la beauté est plurielle
Qu’as-tu envie de montrer à travers ces portraits de personnes que tu écoutes et fais parler ?
Stencia Yambogaza : À l’origine du projet, je ne me reconnaissais pas dans ce que je voyais sur les réseaux sociaux, dans l’image que l’on nous renvoyait. J’ai envie de montrer que la beauté est plurielle, qu’il y en a plusieurs, qu’elle est question de subjectivité et qu’elle se définit aussi par l’histoire que l’on a vécue. J’ai vraiment envie que mes expositions et plateformes médiatiques soient un endroit ouvert où tout le monde peut venir parler, comme un « statement » : je m’appelle, j’ai tel âge, j’ai vécu ça, et la beauté pour moi c’est ça. À mon échelle, j’ai envie de tendre le micro pour que les gens puissent s’exprimer car j’en rencontre beaucoup qui ne se sentent pas entendus dans leur rapport à leur corps.
Tu fais aussi parler tes sujets en vidéo de leur conception de la beauté.
Stencia Yambogaza : J’ai réalisé un court documentaire pour ma précédente exposition. C’était un format interview face caméra où j’interrogeais les gens sur leur histoire, leurs valeurs, et quel impact tout cela a eu sur leur perception de la vie et de la beauté. J’ai envie d’aller plus loin, de réaliser quelque chose de concret, d’avoir une équipe avec laquelle travailler pour faire un vrai documentaire à travers la France.
Jusqu’où as-tu envie de développer ce projet ?
Stencia Yambogaza : Mon prochain objectif serait d’exposer au Centre Pompidou, c’est un de mes rêves. C’est un lieu qui correspond bien aux projets comme le mien. J’aimerais aussi commencer à faire de la réalisation, avoir des subventions, un réel soutien financier pour monter une équipe et faire bouger le projet. Je voudrais exposer à l’étranger, dans des capitales européennes qui ont une forte culture underground, comme Londres ou Berlin. Ces villes sont marquées par une histoire où les jeunes sont dans un cri constant et ont besoin de s’exprimer. C’est un projet qui se passe de mots, il ne se traduit pas en une seule langue. Il est assez universel, alors pourquoi pas l’étendre ?
Tu fais ressortir quelque chose de très intime à travers ces photos, ces visages sont très nus. Sur tes stories Instagram, tu publies aussi des témoignages que l’on t’envoie à propos de harcèlement scolaire, d’isolement des jeunes… Essayes-tu de véhiculer des messages positifs pour contrer la violence que peut amener ce rapport faussé que l’on entretient avec la beauté ?
Stencia Yambogaza : Oui, car on est tous concernés. Ces messages je les poste aussi pour moi, quand je ne vais pas très bien.
La façon dont on se traite influe sur la façon dont on perçoit les autres
Qu’est-ce que ces rencontres ont chamboulé dans ton rapport à toi-même ?
Stencia Yambogaza : Depuis que j’ai commencé ce projet, j’ai énormément appris. Je pense être quelqu’un de très tolérant, mais ça a encore amplifié ce trait de ma personnalité. Je suis aussi devenue plus tolérante envers moi-même. La façon dont on se traite influe sur la façon dont on perçoit les autres. Moi ça m’a permis de trouver ma place, après m’être longtemps sentie différente. Je n’ai pas le physique de Mme Toulemonde, je suis atypique et rien qu’avec mon prénom je sentais ne pas ressembler aux autres. J’avais l’impression d’être une tache. Et puis ce projet m’a appris à dédramatiser tout ça et à me dire que je suis très bien comme je suis. Il vaut mieux être différent et être soi au risque de se retrouver dans un rejet constant des autres et de soi-même.
Tu es aussi danseuse professionnelle. Dirais-tu que cette expérience a libéré ta pratique de la danse ?
Stencia Yambogaza : Oui, car j’ai commencé le projet en photographiant des visages de danseurs. Mon ami Karim KH me disait « plus tu grandis dans la vie, plus tu vas grandir dans ta danse ». Ta danse c’est ton essence, c’est ton âme. Pendant mes années de formation de danseuse, faire ces photos m’a aidée à traverser les moments difficiles, sauvée même parfois. Dans ma danse je suis beaucoup dans la fluidité, le flow, le ressenti et ça a été décuplé ces derniers temps.
Quel est ton dispositif photographique ?
Stencia Yambogaza : J’ai un appareil très basique et je travaille avec la lumière naturelle. L’important c’est de faire avec ce qu’on a. Quand je regarde mes photos j’ai l’impression que mon matériel a changé alors que pas du tout. Plus le temps passe et plus je comprends la lumière et les visages. Ce n’est pas le matériel qui fait l’artiste, c’est sa vision et ce qu’il veut exprimer. Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir d’expression.
En suivant l’évolution de ton travail on voit que tu commences à photographier des enfants, des personnes plus âgées, après t’être concentrée sur les jeunes.
Stencia Yambogaza : Les personnes que je photographie n’ont rien à voir les unes avec les autres, elles sont toutes très différentes. C’est un projet humain qui concerne tout le monde. J’ai vraiment envie de représenter toutes les « races », tous les âges, toutes les origines…
Une démarche plus humaniste que féministe
Tu sembles être dans une démarche très inclusive, qui cherche à questionner les diktats d’une beauté fortement remise en cause aujourd’hui. Qualifierais-tu ton projet de féministe ?
Stencia Yambogaza : Pas vraiment. Je cherche plus à être dans une démarche humaniste que féministe. C’est un projet humain, à échelle humaine, destiné à des humains afin de les connecter entre eux.
Beautiful People : What is Beauty ? est exposé à La Place jusqu’au 21 décembre 2018. Les tirages sont disponibles à la vente.
Visuels © Capture d’écran / Perebisou / Jill Sallinger