On cause Cambodge et gentrification avec “White Building” de Kavich Neang.
Ce sera bientôt l’heure des bilans cinéma de 2021. Évidemment, il y aura les tops des meilleurs films dans la plupart des journaux, une analyse – voire des prospectives – autour de la situation des salles provoquée par le Covid qui s’incruste encore plus que les masque FFP sur les visages. Et puis, probablement aussi un coup d’œil sur les sujets qui se sont tout autant installés de films en films. Sur ce podium-là, c’est peut-être bien la gentrification qui grimpera sur la première marche. De Gagarine à Candyman ou In The heights, l’embourgeoisement galopant des quartiers est devenu une toile de fond tendue sur les écrans.
C’est encore plus le cas pour le cinéma asiatique qui s’est pleinement emparé de la question, de la Chine à Taïwan ou au Cambodge avec White Building. Le premier film de fiction de Kevich Neang s’attache à cet authentique bâtiment de Phnom Penh, qui a abrité l’histoire du pays depuis les années 60 : résidence pour fonctionnaires d’état sous Sihanouk, réquisitionnée par les Khmers Rouge, équivalent local des HLM, puis objet de spéculation immobilière avant sa destruction en 2017. Neang, qui y a grandi avant que l’appartement familial soit évacué avant que l’immeuble ne soit rasé, accompagne dans ses couloirs un trio de potes vingtenaires qui rêvent de prendre leur envol.
Du coup, White Building, ça parle de destruction ou de construction ?
Un peu des deux, et ce dès l’introduction : sidérant plan au drone de ce bâtiment en décrépitude, mais on devine bientôt à quel point il regorge encore de vies. Ou dans le principe de suivre en parallèle, les espoirs cette bande et les négociations avant démolition de l’immeuble.
White Building navigue entre les deux comme à travers une double géographie, architecturale et humaine. Mais aussi à travers les cinémas, ce film flirtant avec celui de Jia Zhang Ke (Still life, Au delà des montagnes…), l’un des meilleurs observateurs de la société chinoise dont il prolonge l’immersion documentaire, auquel Neang ajoute la part rêveuse d’un Apitchapong Weerasethakul (Uncle Boonmee, Tropical malady…) lors de déambulations hypnotiques.
Car le temps est un acteur à part entière de White Building, qui tente de freiner par son récit narcotique la rapidité avec laquelle, non pas un bâtiment, mais une génération, voire la métropole cambodgienne se transforme. L’atmosphère contemplative devenant du coup une inattendue forme de militantisme, une décélération luttant comme elle le peut contre une accélération économique.
Aujourd’hui, on ne sait pas encore vraiment ce qui va se dresser à la place du White Building, les derniers échos parlent d’un casino d’une vingtaine d’étages construit par une compagnie chinoise. Avec ce film-là, Neang a pris de l’avance sur un beau chantier, renforçant les fondations d’un cinéma qui se préoccuperait de la cohabitation entre l’écosystème du capitalisme galopant et celui à échelle humaine.
Sortie le 22 décembre