Délires mégalos et paranoïa branchée…
Tout le génie de mister Burroughs se trouve dans son livre Junky : relation froide de sa vie de camé à NY après-guerre (peut-être celle de Corée ?), entouré d’une faune Interlope de marginaux qui lui apprenaient les combines et les moeurs de la zone.
En langue classique et factuelle, sans aucun pathos, William Burroughs racontait ses achats de morphine dans des surplus de l’armée, contenue dans les trousses des soldats, ou les arnaques quotidiennes.
Gourou Beat ?
Dans Révolution électrique, quelques années plus tard, il est devenu un Gourou de la Beat Generation, créée de toutes pièces par quelques journaleux et éditeurs cupides, ayant trouve le gimmick vendeur.
Même le mot Beat est détourné. Le junkie homo antihéros, Herbert Huncke , disait « beat », dans le sens de beat up = crevé, lessivé…Inventeur involontaire du concept, il était un modèle pour ces révoltés : le parfait antisocial négatif, et professionnel de la marge !
Aujourd’hui, voici Révolution électronique du même Burroughs, ressorti des limbes des années 70 par les Éditions Allia, et là, l’auteur nous explique avec sérieux que l’on peut foutre la merde, la panique, donc la révolution avec de simples sons ! (plus quelques images, pour « faire vidéo », terme magique à l’époque…)
Bref, Burroughs veut nous persuader que des sons de manifs, de cris, de guerre ou autres bruits d’orgasme ou de fausses news, déclencherait dans la population américaine des émeutes incontrôlables !
Y croit-il lui-même ? Je vous livre ça en vrac et compact car je veux bien regarder l’esprit d’une époque, mais là, franchement je pourrais tout aussi bien crier au délire de camé dont le cerveau à fondu.
Toutes ces théories paranos sur la révolte, le détournement, le brouillage sentent le vieux gauchiste (lui qui était ultra réactionnaire, c’est risible ! ), et la mégalomanie de ceux qui consomment trop pour oublier la réalité.
Malgré son esprit froid et analytique, lui qui savait dans ses grands livres poétiques – Le festin nu, Les garçons sauvages, Nova express etc.) – mélanger réel et vision, froideurs et hallucinations, il nous sert là une soupe inréchauffable de théories fumeuses et mégalomaniaques.
Car à le lire, tout brouillage, émissions de sons, par des hauts-parleurs, dans les rues ou dans des sacs à dos d’agents révolutionnaires, dans des réunions, concerts lieux publics…aura un effet dévastateur sur une Amérique paumée et en proie à la panique et à la violence.
Bien sûr, il joue sur du velours en affirmant que les États-Unis sont perpétuellement désinformés, brouillés, menés par les agences et des groupes d’influences, de contrôle, de police, d’agents spéciaux…
Il reprendra souvent ces grands thèmes dont ma pauvre génération raffolait : pouvoir et manipulations. CIA, FBI et lavage de cerveaux !
Révolution au magnéto ?
Aujourd’hui, à lire son ton sentencieux sur les effets de simples cut up, de trafiquages de sons et de sens, on est un peu inquiets. Était-ce un effet cynique d’intellectuel, profitant de la naïveté d’une masse de jeunes pour se venger d’un système qu’il haïssait cette fois vraiment ?
Pensait-il sérieusement faire la révolution avec des magnétophones, des amplis et des caméras vidéos ? Ou surfait-il sur une mode ? Il est vrai que l’Amérique des années 60 avait répété violences, émeutes, manifs et répressions, qui faisait croire à une pré-révolution éclatée.
Quand il cite, pour appuyer ses idées, les théories de Ron Hubbard, l’escroc inventeur de la scientologie ( !), comme quoi « certains mots assemblés peuvent provoquer des maladies graves… », on constate que la réputation de mec inquiétant que Burroughs trimballait, est assez juste et fondée.
60 pages de ces propositions antéchristiques – on pense à Hakim Bey et à ses Zones d’Autonomies Temporaires : pour échapper au système, écrit 20 ans plus tard, dans cette tradition) – on fatigue…
Burroughs a toute sa vie touché une rente familiale sur des machines à calculer, ce qui lui a permis de déconner à pleins tubes avec une bouée. Alors déconne William, mais ne nous explique pas la guerre, même psychologique !
Révolution Électronique. William S. Burroughs, Éditions Allia, 62 pages. 6, 50 euros
Visuel : (c) capture d’écran Amazon ; Éditions Allia