De l’académisme à l’avant-garde visionnaire.
Je profite d’avoir vu une énième exposition TURNER (cette fois au musée palais hôtel de Caumont d’Aix-en-Provence) pour vous éclairer sur ce peintre anglais, qui a eu 3 vies… C’est ma théorie.
Ce peintre graveur aquarelliste surdoué, fils de boutiquier londonien, va d’abord accomplir son parcours du combattant au service des nobles de l’Empire et de la couronne. Sa première vie.
William Turner – Calais Sands at Low Water
Pour finir membre honoraire de la Royal Academy of Arts, il dut peindre ce que les Lords voulaient : des paysages, des architectures, des abbayes, des églises et des avenues, le tout à l’italienne, avec détails et personnages.
Il fit le voyage en Italie, ramenant tous les formats de paysages, ciels, bâtiments, et même des marines et autres vues de ports, baies etc. Le tout hyper léché, avec luxe de détails minuscules pour faire beau dans les manoirs. Les nobles voulaient du travail minutieux, lisse et parfait, et des mois de travail !
Faisant ces cartes postales hyperréalistes, véritable œuvre de tâcheron, Turner s’aperçut que ces œuvres commerciales de courtisan lui permettaient au moins de voyager ! Sa deuxième vie.
William Turner – Going to the Ball (San Martino)
En bateau, en train, à diligence et à pied (!), il se rendit partout en Europe sur des sites exceptionnels, vallées, falaises et cirques grandioses. La mode était passée à la nature sauvage, brute et impressionnante.
Noblesse oblige. Pareil pour les aquarelles et les gravures minuscules dont ces dames ornaient leurs salons, cabinets et boudoirs. La touche de nature exotique et précise pour faire rêver, à l’Anglaise.
Gavé de milliers de kilomètres de toute l’Europe, Turner découvrit la couleur. Les 3 couleurs pures, de base, jaune rouge bleu, qui enfantent toutes les autres. Et surtout les couleurs opposées dans la gamme chromatique : rouge et vert, jaune et violet, bleu et orange, lesquelles mélangées donnent les bruns.
William Turner – Landscape with water
À force d’imiter la nature, Turner avait compris les oppositions de couleurs qui font vibrer la toile et les juxtapositions qui permettent des illusions, des vibrations et des effets plus forts.
Suffisamment reconnu et assuré dans sa carrière et ses ventes, il se mit à peindre LIBREMENT, sans plus se soucier des caprices maniaques des lords et de leur obsession du détail exact et nuisibles aux œuvres.
Passant alors des brumes de Londres aux volutes célestes, puis aux reflets des océans ou aux couchers de soleil flamboyants, sa palette explosa en jaunes, orangés, bleus, mauves…Au grand dam des British qui critiquèrent cette liberté de tons sauvage et puissante. Le mauvais goût et l’ignorance des riches n’est pas une légende.
Mais ce fut cette troisième vie du peintre qui le rendit légendaire. Maitre de la couleur, ses reflets sur la Tamise et ses vues de Venise sont restées perchées au Panthéon de la peinture. Sur cette partie de son œuvre, totalement en rupture avec ce qui précédait, tout est nimbé de brumes, halos de lumière, même l’architecture est passée au flou !
C’est un bonheur de voir un homme se libérer des diktats de l’horrible académisme imposé par de vieux profs et critiques poussiéreux, et d’artistes coincés par l’aristocratie.
Turner a fini plus loin que les futurs impressionnistes, il était déjà un fauviste et aussi un minimaliste. Visionnaire par réaction.
William Turner – The Scarlet Sunset
TURNER et la couleur. Hôtel de Caumont. Aix-en-Provence. Jusqu’au 18 septembre. Tous les jours de 10 à 19h (nocturne vendredi 21h30).