La chronique de Jean Rouzaud
Lorsqu’à l’été 1969, le festival Pop de Woodstock éclate aux yeux du monde, l’aventure hippie est en réalité terminée… Comme toujours, on couronne un mouvement lorsqu’il ne présente plus de danger : l’heure de la récupération a sonné.
Usure
Après le rush désastreux sur Haight-Ashbury à San Francisco (la surpopulation avait attiré quatre cavaliers de l’Apocalypse : misère, maladie, mendicité et agressions), l’aventure Pop se meurt… L’événement « Death of hippie » a clôturé le Summer of Love de 1967 !
Le mouvement de contre-culture avait débuté dès le début des sixties, suite aux Beatnicks, et, après presque une décennie d’actions et de violences, les forces vives étaient fatiguées et rien n’était réglé : guerre au Vietnam, violences policières, racisme, féminisme…
Le mouvement était aussi rongé de l’intérieur par de graves dissensions : Black Panthers, Weathermen, Acid Freaks, Free love, fuite en avant psychédélique contre militantisme, Folk contre Rock (John Sinclair du MC5 en prison, et Jim Morrison poursuivi…)
Ni Dylan, ni Stones, ni Doors…
De grands absents au festival témoignent du bordel ambiant : ni Jefferson Airplane, ni Bob Dylan, ni Rolling Stones, ni Doors… et bien d’autres n’ont pas suivi. Reste une foule de groupes et de talents épars, allant dans toutes les directions, et souvent vers des culs-de-sac.
La France était en retard de dix ans et découvrait seulement à ce moment-là des artistes surdoués mais déjà usés par des années de galères, de splits, de substances et d’arnaques show-biz.
Car certaines performances sentent le réchauffé (Joan Baez, Country Joe McDonald, Crosby, Stills, Nash and Young…), quand tout à coup jaillissent les Who ou Sly, on change d’époque et de feeling, et il y aura de la violence à Woodstock, car les mentalités s’opposent…
Quand Abbie Hoffman, clown hippie, monte sur scène pour haranguer la foule, Pete Townshend (leader des Who) lui allonge un coup de manche de guitare en pleine tête et menace de mort qui tentera de faire comme lui ! Ambiance… Juste avant, il avait chassé les caméras et botté le cul du réalisateur du film, Michael Wadleigh…
Bref, c’est un grand Barnum très disparate qui attire la cohorte de suivistes qui vient au spectacle d’une époque rêvée, mais déjà quasiment révolue (et dont la vague mondiale va encore s’échouer pendant des années… d’où la confusion des seventies, qui annonçait autre chose).
Le mouvement hippie, c’est les années 60 et absolument pas les seventies qui vont au contraire inverser la tendance avec des courants Glam, Hard, Punk, négations successives du Peace and Love.
Tout ceci rend le film étrange, presque décalé, un bouquet final d’adieux, avec des choix de séquences de public faussement idyllique : cheveux blonds, turbans, fleurs, baignades, baisers et coucher de soleil, carte postale. Il faut vendre l’utopie, c’est la dernière chance…
Monterey a eu lieu en 1967, et le premier Festival de l’île de Wight en 1968… et Altamont, trois mois plus tard, sonnera la fin du trip.
Pour moi, le plus grand absent symbolique fut Arthur Lee avec son groupe Love, précurseurs de toutes les facettes du grand style hippie original, déjà loin et marginalisé, même par les maisons de disques.
Voilà pourquoi le film qui sert de clip géant et de vitrine au Flower Power me paraît anachronique (pour ne pas dire ARNAQUronique !), plus du tout en accord avec la moindre avant-garde du début, ni même avec ce qui se passe déjà en 1969 (même s’il y a quelques fantastiques artistes dans ce flot disparate).
La partie cachée de ce gros iceberg fondant et dérivant est bien plus intéressante, pertinente, et sortira peut-être un jour…
Mais le commerce du spectacle underground ne faisait que commencer.
Le film
Woodstock, 3 jours de musique et de paix de Michael WADLEIGH (durée : 200 mn)
Avec Joan Baez, Paul Butterfield Blues Band, Canned Heat, Creedence Clearwater Revival, Joe Cocker & The Grease Band, Country Joe McDonald, Country Joe & The Fish, Crosby, Stills & Nash, Grateful Dead, Arlo Guthrie, Richie Havens, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Mountain, Santana, John Sebastian, Sha Na Na, Sly & The Family Stone, Ten Years After, The Who, Johnny Winter.
Les Bonus
Woodstock : histoires inédites
Plus de 2 heures de performances musicales inédites avec Joan Baez, Paul Butterfield, Santana, Jimi Hendrix,…
Nouvelle rétrospective
La visite du musée de Bethel Woods : l’histoire des années 60 et de Woodstock
Woodstock : du festival au film
Galerie de documentaires retraçant l’histoire du festival, le tournage du film, de sa création à sa réalisation, avec des interviews de Martin Scorsese, de Grace Slick, du réalisateur Michael Wadleigh, du producteur du festival Michael Lang et bien d’autres encore
Woodstock, Three Days of Peace & Music. Livre de 168 pages, incluant plus de 130 photos | 2 Blu-ray. Sortie le 22 novembre 2018 | 168 pages | 49,90 € TTC
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