Le nouvel objet filmique non identifié de Mr Oizo est sorti dans d’obscures salles… Décryptage de l’univers fantasque de Quentin Dupieux.
Avec Wrong, Quentin Dupieux met les théories de Rubber dans la gueule d’un chien.
Son cinéma s’en porte encore mieux.
Avec Quentin Dupieux, tout est une question de règles. Que le musicien-cinéaste s’amuse à tripatouiller au gré des morceaux et des films.
Il y a deux ans, il élaborait avec Rubber la théorie du « No reason », selon laquelle il fallait se libérer de toute préconception, ne pas chercher à comprendre ou décrypter les aventures d’un pneu serial-killer. On se doutait bien qu’il y avait un lièvre à lever autour de cette philosophie.
La chose se confirme avec Wrong, le nouveau long-métrage de Dupieux, qui dans la logique d’un esprit de contradiction, va à l’inverse du précédent. Non pas qu’il aie renoncé à un ton déconcertant : il le déplace, en fait la teinte de base d’une toile de fonds.
Car Wrong est finalement une antithèse de Rubber lorsqu’il est absolument rationnel, déroule une histoire parfaitement lisible et cohérente – celle d’un type lambda à la recherche de son chien adoré.
Qu’un réveil-matin indique 7h60 minutes, ou qu’il pleuve en permanence à l’intérieur d’une agence de voyage n’est qu’une norme dans le monde de Wrong.
Cette peinture d’une vie de banlieue américaine middle-class ne dénoterait pas dans les albums de Daniel Clowes (David Boring, Comme un gant de velours pris dans la fonte), pourrait même être une extension de la zone pavillonaire de Blue Velvet. Comme le bédéaste ou Lynch, Dupieux ne désigne jamais du doigt cet univers comme étrange ou bizarre: ce n’est qu’une réalité alternative à la nôtre, avec ses propres codes.
Wrong ne déplairait d’ailleurs sans doute pas aux surréalistes dada dans ses principes d’expérimentation – Dupieux s’empare de nouveau d’un matériel technique (sauf erreur, Wrong est, comme Rubber, tourné avec un appareil photo) qui n’est pas celui usuel des équipes de cinéma- et de licence poétique transgressive (Cf. une séquence ou on entre en connexion astrale avec la mémoire d’un étron !) .
Comme chez Bunuel ou Man Ray, rien n’est gratuit, tout fait sens et raconte vraiment quelque chose. Sous l’écorce du récit, on devine aisément un propos sur la nécéssité de profiter de l’instant présent, de savourer des relations qui ne sont ordinaires qu’en apparence, ou sur l’apprentissage du lâcher-prise comme remède aux névroses du métro-boulot-dodo.
Mieux, Dupieux semble mettre en pratique cette idéologie, en mettant de côté le cynisme qui pouvait s’emparer de Rubber – à y réfléchir le discours meta sur le lien entre cinéma et spectateurs sous-entendait clairement que ces derniers sont des cons. Wrong reste malgré tout pollué par certaines digressions (la sous-intrigue avec une employé d’une pizzeria, l’interlude onirique autour du jardinier), mais s’abandonne a quelque chose qui ne faisait qu’effleurer dans Steak ouRubber : une vraie, belle et submergeante émotion.
Elle est en grande partie propagée par Jack Plotnik, exceptionnel en homme qui perd ses repères et son chien et William Fichtner, pas moins méritant en gourou pratiquant la télépathie canine. Mais aussi par Dupieux qui gagne à s’affirmer de moins en moins théoricien et de plus en plus formidable cinéaste.