Les chroniques d’Usbek & Rica : #15.
Y aura-t-il des grands hommes après Mandela ? Autant le dire tout de suite : la réponse est non. Qui sont les grands hommes connus ? Gandhi, pour la non violence et la lutte contre la colonisation ; Che Guevara, pour le romantisme de la révolution ; Martin Luther King, pour les droits civiques ; Mandela, pour la lutte contre l’apartheid.
Leurs points communs ? Des circonstances exceptionnelles qui les ont rendus exceptionnels ; le souffle de l’Histoire qui leur a » mordu la nuque » ; d’être allé contre la meute, ne pas avoir hésité à vexer les leurs pour tendre la main au camp opposé (Luther King versus Malcom, Gandhi contre les radicaux, le Che qui est reparti sur les routes faire la révolution au lieu d’aider Fidel à construire le « socialisme réel », et Mandela avec la commission « vérité et réconciliation », contre les durs de l’ANC) ; avoir donné leur vie pour la cause ; avoir dépassé leurs propres zones d’ombre ; être devenus des figures, des icones, pour entrer dans l’Histoire et finir en poster dans les chambres d’ado ou sur des tee-shirts ; être des icones planétaires, totalement universelles, sans nationalité véritable. On notera dans ma liste des absences remarquées : Churchill ou Roosevelt (pas assez glamour) ; Hitler, Mao ou Staline (pas assez tee-shirt) ; De Gaulle (trop français) ; pas de femme (Thatcher trop brutale, Mère Teresa trop catho).
Aujourd’hui, on est juste un grand homme « de niche ». On existe dans sa communauté, mais pas dans le cœur de tous les hommes
La question est : pourquoi n’y aura-t-il plus de grand homme après Mandela ? Parce qu’il n’y aura plus de circonstances historiques fortes. Il y a bien quelques guerres par ci par là, quelques injustices profondes, mais rien qui ne vaille la peine de fabriquer un héros. Globalement, on se fait un peu chier, et même les dictateurs mettent la pédale douce. D’ailleurs, l’écrivain sud-africain JM Coetzee, prix Nobel de littérature, a déclaré dans le New York Times, à propos de Mandela : « Il pourrait bien être le dernier des grands hommes, alors même que le concept de grandeur est en train de disparaître dans les ombres de l’Histoire. » Parce qu’avec la dictature de la transparence, c’est difficile de devenir une icône. Si Gandhi ou Che Guevara avaient vécu au temps d’Internet, on leur aurait découvert des pulsions sexuelles inavouables, des comptes en banque cachés ou des appartements de fonction. Parce qu’il n’existe plus rien de rassembleur.
Aujourd’hui, on est juste un grand homme « de niche ». On existe dans sa communauté, mais pas dans le cœur de tous les hommes. Il existe : les grands hommes businessman : Steve Jobs, Bill Gates ; les grands hommes redresseurs de torts : Assange, Snowden ; les grands hommes écolo comme Al Gore. Bref, il n’y a pas à l’horizon de « grand homme tout court ». Ok, je suis un peu de mauvaise foi ! Le Huffington Post, après la mort de Mandela, proposait des candidats au poste de « grand homme » ou « grande femme » du futur : le Dalaï Lama, Mohammed Yunus, Vandana Shiva, Aung San Suu Kyi. On remarque que ce sont toutes des personnalités venues d’Asie, ce qui est très à la mode, et qui répondent à quelques critères requis. Mais est-ce que ce sont vraiment des gens que les ados mettraient en poster dans leur chambre ? Et puis il y a un cas isolé, toujours selon le « Huff » : Obama. Mais lui, c’est différent : il a commencé sa carrière comme grand homme (il a même reçu le prix Nobel de la Paix), et depuis c’est juste un homme politique. Dommage : c’est dans l’autre sens qu’il faut faire le chemin !
Si Gandhi ou Che Guevara avaient vécu au temps d’Internet, on leur aurait découvert des pulsions sexuelles inavouables
Ne nous en plaignons pas : la fin des grands hommes, c’et aussi la fin des grandes tragédies. Pas de Mandela sans apartheid, pas de Gandhi sans colonisation, pas de Luther King sans ségrégation. Si on devait avoir recours demain à un grand homme, ça voudrait dire que ça craint et qu’il est temps de se barrer. Alors oui : Nelson Mandela a été le dernier des grands hommes. C’est peut-être le plus bel héritage qu’il nous ait légué.
Image à la une : supporters de Nelson Mandela à Berlin © Gabriele Senft, 1986