9 couronnes sonores distribuées par les fistons de Kemet, à 9 reines militantes, qui ont marqué l’histoire des droits civiques.
Dans l’antiquité, les Égyptiens appelaient leur pays « Kemet », que l’on pourrait traduire par « la terre noire » ou « la terre des noirs ». Une poignée de millénaires plus tard, les jazzmen londoniens Shabaka Hutchings Tom Skinner, Theon Cross, Eddie Hick forment le groupe Sons Of Kemet, se posant donc comme des fils de cette terre, avec toute la symbolique afrodescendante que cela implique. Prenez donc ce nom comme un message : leur jazz sera politique, et n’hésitera pas à remuer le passé, aussi trouble soit-il.
9 Reines
Parfois le combat politique, c’est donner écho aux vies et travaux de militantes. C’est ce que font ces fistons avec Your Queen is A Reptile, album paru en 2018 qui rend hommages à des figures marquantes des droits civiques et des droits des noirs. 9 femmes, 9 queens, 9 morceaux. Un coup d’œil à la tracklist permet de comprendre l’intention, chaque piste commence par les mots « My Queen Is… » (« Ma reine est… »), suivis du nom d’une femme qui a marqué l’histoire par son combat. Le morceau d’ouverture est la seule exception à cette règle, bien qu’il donne bien ses fleurs à une reine, celle-ci s’appelle Ada Eastman, grand-mère du saxophoniste des Sons of Kemet, Shabaka Hutchings.
La Black Panther Angela Davis, l’abolitionniste Harriet Tubman ou la figure anti-apartheid Albertina Sisulu sont donc incarnées par les cuivres et la section rythmiques des Sons of Kemet, aux côtés d’Anna J. Cooper, plume du féminisme noire, Doreen Lawrence, lanceuse d’alerte sur le racisme institutionelle de la police londonienne, Nanny, alliées des Marrons (esclaves fugitifs) ou de Yaa Asantewaa, qui s’est dressé contre les colons britanniques dans l’empire Ashanti (actuel Ghana). Il fallait bien 9 couronnes sonores pour les célébrer.
Des reptiles dans la porte d’entrée
En associant des noms peut être moins identifiés à des symboles de luttes, l’album de Sons of Kemet fait office de porte d’entrée, qui emmène des esprits hameçonnés par un nom familier vers de nouveaux épisodes de l’histoire des droits civiques. À tout cela se mêle une référence aux théories complotistes, avec la mention de reptiles, clin d’œil aux reptiliens que certains internautes sont prêts à tenir responsable de tous les maux. Ici le complot viendrait directement de la couronne british, comme le suggèrent les notes inscrites sur le vinyle “Your Queen is not our Queen / She does not see us as human” (Votre reine n’est pas notre reine, elle ne nous voit pas en tant qu’humains). C’est donc un disque de jazz qui invoque les Black Panthers, la lutte anti-esclavage et traite Her Royal Highness de reptile. Rien que ça.
Dans ce disque-trombinoscope militant, on vous recommande « My Queen is Mamie Phillips Clark », déjà pour son histoire, celle d’une psychologue qui, en inventant le test de la poupée, a permis de démontrer les effets néfastes de la ségrégation sur les enfants, mais aussi car c’est le seul morceau du disque qui invite un toaster (Congo Natty) pour donner une bonne touche dub/reggae à la sauce jazz présente tout du long. C’est fanfaronnant, et ça rappelle qu’on peut être mobilisé tout en battant le sol des pieds.