À Paris, cet écrivain et éditeur fomente la révolte « horizontale » de « l’an zéro virgule un », lors d’une « panne d’oreiller interactive » des Français.es, épuisé.e.s par « les excréments de langage » et « la guérilla psychique du capital-risque ».
Son livre est délicatement dédié « aux quantités négligeables ». Dans Il était une fois sur cent, drôle de recueil de « rêveries fragmentaires sur l’empire statistique » publié ce printemps aux éditions La Découverte, Yves Pagès rassemble des centaines de pourcentages glanés pendant des années sur un carnet, l’oreille tendue, l’œil alerte, en lisant les journaux, en écoutant la radio. « Vertigineux inventaire », qu’il se hasarde à interpréter pour insuffler du vivant et des « utopies discordantes » et « traquer les failles implicites » au pays des chiffres. « Il était une fois – entendez une fois sur cent – un seul aristocrate au sang bleu parmi cent Français de toutes extractions sous l’Ancien régime ou, pour revenir à notre immédiat contemporain, un rare mec développant un cancer du sein pour quatre-vingt-dix neuf femmes atteintes d’une tumeur mammaire. De même, il n’est qu’un rouquin de naissance pour chaque centaine de têtes blondes, brunes, auburn, châtaines, qu’un seul mâle repenti à s’être fait retirer son tatouage ou qu’une adulte sur cent sondées de sexe féminin à se déclarer bisexuelle. Pareil pour l’infime proportion d’ados sachant siffler au moyen de 2 fois 2 doigts calés à la commissure des lèvres, sans négliger que, sur les millions de courriers publicitaires envoyés dans nos boîtes aux lettres, 1% d’entre eux reviennent à l’envoyeur avec la mention N’habite plus à l’adresse indiquée. »
Et que faire du 1% de diagnostiqués schizophrènes, de bouddhistes pratiquants, de citoyens gardés à vue dans un commissariat, « de petiots non encore scolarisés en maternelle », de « kleptomanes aux deux tiers plutôt woman », d’« automobilistes sans permis d’ainsi se conduire », de femmes « encartées dans une société de chasse », ou de « profils Facebook s’affichant à titre posthume » ? Peut-être sont-ils liés, allez, par un sentiment commun d’aliénation qui commence sérieusement à leur courir sur le haricot (bio à 66,66%). Celui d’être épuisé.es par « le grand bla-bla managemental » qu’Yves Pagès décrit avec humour dans cette vision d’anticipation en hommage à L’An 01, cette merveilleuse bande dessinée signée Gébé en 1970, où la société dans son ensemble se met à l’arrêt pour réfléchir – influence première de L’Arche de Nova.
Co-directeur des éditions Verticales, auteur d’une quinzaine de livres (romans, essais, photos), l’écrivain parisien fomente la révolte « horizontale » de « l’an zéro virgule un », lors d’une « panne d’oreiller interactive » des Français.es devenu.e.s « grêveuses et grêveurs » en quête d’« anonymaginaires en libre partage ». Suivons-le à 100% !
Réalisation : Mathieu Boudon.
Yves Pagès sera statistiquement présent ce jeudi 10 juin à 19h à la Maison de la Poésie de Paris lors d’une rencontre animée par Sophie Joubert, ainsi que samedi 12 juin à 17h pour un goûter-lecture à la librairie L’Atelier, 2 bis rue de Jourdain, métro Jourdain, Paris.
Image : L’An 01, de Jacques Doillon, Alain Resnais et Jean Rouch (1973).