Pop Corn
Chaque semaine, Nova fait le tri pour vous dans les sorties en salles. S’il n’y a qu’un seul film à voir, c’est celui-là.
par Alex Masson
Épisodes
AU CŒUR DES VOLCANS X NOSFERATU
L'idée d'un volcan est celle qui peut s'associer le plus au cinéma de Werner Herzog. Depuis le début des années 70, ce cinéaste allemand n'a cessé de signer des films en ébullition, que ce soit dans leurs sujets ou leur conception, transformant leurs tournages en épopées épiques ou conflictuelles, pour un résultat tumultueux, à la fois lyriques et intérieurs, démesurés et philosophiques. Soit un cinéma aux allures de lave en fusion, incandescent, dangereux et inarrêtable. Ce magma qui gronde depuis plus de cinquante ans devait en toutes logique croiser les aventures de véritables vulcanologues. Ce sera Katia et Maurice Krafft, un couple qui se sera baladé sur la planète jusqu'à trouver la mort lors d'une expédition au Japon en 1991. Ils avaient laissé derrière eux près de 200 heures d'images, Herzog les a décortiquées, réassemblées pour le bien nommé Au cœur des volcans, requiem pour Katia et Maurice Krafft, portrait qui tient plus d'une course que d'un biopic, tant les Krafft semblent y échapper à un funeste destin, quand ils embarquent en bateau quelques minutes avant une éruption en Indonésie où réchappent de justesse d'un nuage toxique provoqué par une autre en Alaska. Herzog rendant tout autant compte de la manière dont leur filmage des volcans évolue, capturant la beauté hypnotique des volcans en actions comme leurs conséquences sur la nature et les populations environnantes. Mais tout autant la dévotion des Krafft à une curiosité qui les aura menés jusqu'à la mort, par envie d'aller au plus près de la lave, jusqu'au sacrifice. C'est probablement cette combinaison entre héroïsme vain et inconscience suicidaire qui a convaincu Herzog de s'attaquer à ce film fou par ses images comme par les fascinantes personnalités nourrissant une seule et même fournaise.
L'écho d'Herzog se retrouve forcément dans une nouvelle version de Nosferatu, qui sera en salles la semaine prochaine. En 1979, le réalisateur allemand s'était attaqué à un remake du classique de Murnau, lui-même inspiré du Dracula originel, celui écrit par Bram Stoker. Robert Eggers y revient avec la même idée d'en extraire non pas l'essence horrifique, mais celle romantico-sexuelle via l'emprise fiévreuse du vampire sur une jeune femme. Chez Herzog, c'était Adjani qui lui donnait corps, dans cette nouvelle version, c'est une phénoménale Lily-Rose Depp, sous claire influence de l'actrice française, notamment lors d'impressionnantes séquences de transe. Quoiqu'il soit encore présent via la performance hantée de Willem Dafoe en Van Helsing du jour, on pourra cependant regretter le sens du chaos qui possédait les films précédents d'Eggers, de The Lighthouse à The Northman, son Nosferatu, bien moins furibard, n'en reste pas moins un formidable conte gothique d'hiver pour adultes, par sa collection de somptueuses images, parfaite galerie de tableaux animés ou sa trajectoire vers un mélancolique final tragique, qui, contrairement à son décevant vampire, manquant étonnamment de mordant quand il n'est résumé qu'à une silhouette, a tout pour devenir mémorable.
Nosferatu, en salles le 25 décembre / Au cœur des volcans : Requiem pour Katia et Maurice Krafft, en salle le 18 décembre
20 décembre 2024
2:59
LES FEMMES AU BALCON X VINGT DIEUX
En septembre dernier, Noémie Merlant tenait le rôle principal d'Emmanuelle, film qui, plus qu'une revisite du classique du cinéma érotique, s'essayait à redéfinir l'érotisme, autour de la notion de désir. Trois mois plus tard, l'actrice revient avec son second film de réalisatrice, lui aussi taraudé par cette question, mais sous un angle opposé. À l'inverse de la glaciation d'Emmanuelle, Les Femmes au balcon s'échauffe via une bande de trois copines qui en pincent pour un voisin dans l'immeuble d'en face qu'elles ne cessent de mater. Avant même qu'elles ne le rencontrent, Merlant s'est emparée de la question du regard posé sur les femmes pour le retourner, se le réapproprier. Les Femmes au balcon est un film qui en met plein la vue, par l'audace de son mélange des genres, de la comédie loufoque au gore en passant par le drame. Mais aussi dans son rapport au corps féminin, ici dénudé pour le désacraliser, recentrer le quotidien de ses trois personnages autour de lui et l'exfiltrer des violences sexuelles auxquels les hommes peuvent le soumettre. Merlant en profite pour déshabiller le cinéma de ses conventions et le faire respirer à l'air libre. Les Femmes au balcon et son trio fantasque et fantastique – Merlant donc, Sanda Codreanu et Souheila Yacoub – y trouvent la possibilité de se lâcher, dans tous les sens du terme, pour une très joyeuse célébration de la sororité comme un endroit de tous les possibles, de la consolation à la jouissance en passant par l'affirmation de soi.
Si Les Femmes au balcon a tout pour faire parler de lui, l'autre sortie de la semaine veut faire tout un fromage. Littéralement, quand dans Vingt dieux, Totone, un fils d'agriculteur plus porté sur les fêtes de village que sur la ferme familiale, décide, pour la sauver, de se lancer dans la fabrication d'un Comté pour remporter un concours agricole doté d'un beau magot. Le premier film de Louise Courvoisier fait mijoter dans son chaudron naturalisme à la Pialat et bienveillance humaniste d'un Ken Loach. Vingt dieux est à la fois brut de décoffrage et nourri d'une tendresse pour ses personnages plus nature que pittoresque, ou l'intime est filmé en scope, les stéréotypes effacés par la franchise. Y compris dans le regard sur le monde paysan d'aujourd'hui, ses souffrances et ses transformations. Splendide film d'apprentissage du métier comme de la vie, peaufiné dans ses moindres détails, Vingt dieux tient de la noblesse de l'artisanat et du travail manuel.
Les Femmes au balcon / Vingt dieux. En salles le 11 décembre.
11 décembre 2024
2:48
WICKED X LEURS ENFANTS APRES EUX
Au plus haut du panthéon de la culture populaire américaine, il y a Le Magicien d'Oz. Et plus que son point de départ, un livre pour enfants, son adaptation qui révolutionne le cinéma dès 1939, que ce soit par sa production colossale, ses avancées techniques ou plus simplement ses audaces narratives. Un succès au long cours qui a fait des aventures de Dorothy, transportée dans un monde parallèle par une tornade, un pilier de l'imaginaire made in USA. Plusieurs films ont tenté, sans succès, par la suite de revenir à Oz, mais c'est une comédie musicale revenant sur les jeunes années de la future Méchante sorcière de l'Ouest qui l'a réimplantée chez de nouvelles générations. Depuis vingt-et-un ans, Wicked se joue sans discontinuer sur les scènes de Broadway. De quoi appâter Hollywood qui a fini par la porter à l'écran. Curieusement, c'est là que saute aux yeux, l'essence même d'un show ayant décuplé le fond du Magicien d'Oz (où Dorothy rassemblait toutes les espèces face à la sorcière). Wicked, via la naissance de l'amitié entre deux ados d'abord rivales, se fait ode à la tolérance globale, n'oubliant aucune identité, pour les fédérer face au complot d'un ultra-patriarcal Magicien. Cet aspect woke irritera probablement les conservateurs de tous poils sans empêcher un possible triomphe public, quand Wicked se réapproprie l'esprit des Harry Potter et plus encore en se faisant via ses valeurs positives, doudou rassurant dans une époque qui l'est de moins en moins. Ou simplement en ravivant la magnificence des grands spectacles. Du moins pour ceux qui supporteraient le mélange hypercalorique de meringue des décors, effets spéciaux en pagailles et performances vocales en mode Céline Dion puissance dix, le tout sur les 2h40 de ce qui n'est que la première partie d'un dyptique.
Du pays d'Oz et ses enluminures aux forêts des Vosges, il y a un sacré bout de chemin, et pourtant Leurs enfants après eux et Wicked se rejoignent dans leur chronique d'une rivalité ou l'émancipation difficile d'une jeunesse. L'adaptation du best-seller Goncourtisé de Nicolas Matthieu par les frères Boukherma ramène aux années 90 d'un Est français en pleine désindustrialisation pour raconter l'accélération d'un déclassement social d'une génération à la suivante, renforçant la fureur de vivre d'ados, rongée par l'ennui et le déterminisme. Film cousin de L'Amour ouf (par son sujet, la présence de Gilles Lellouche ou un best-of des années 90, façon juke-box aléatoire en guise de Bande originale), Leurs enfants après eux est tout autant porté par ses ambitions ou son casting central – Paul Kircher, Angelina Woreth, Sayyid El Alami- que par sa fièvre, mais pèche par certains excès de zèle à ne pas avoir su tailler dans les chapitres du livre, voire là encore, une durée fleuve qui pousse un récit tout en non-dits vers la crue artificielle d'une rivière de sentiments. À moins d'y voir confortée la mélancolie d'un état des lieux, Leurs enfants après eux portant en lui les dégâts d'un déluge social qui n'en finit plus de tout submerger.
Wicked / Leurs enfants après eux. En salles le 4 décembre.
04 décembre 2024
2:55
LES REINES DU DRAME X HERETIC
Les anglo-saxons sont beaucoup plus forts que nous en matière lexicale. Comment traduire en français ce qu'est le camp. Rien à avoir avec le camping, mais avec un mouvement culturel basé sur l'extravagance, le subversif et l'ironie. Depuis les années 60, c'est devenu une des constantes de l'univers gay, avant même qu'on le rebaptise queer. Pour faire simple, on peut y intégrer autant les comédies provocantes de John Waters que les mélos haut en couleurs de Douglas Sirk ou les expérimentations de Kenneth Anger. Jusque-là, il n'y avait pas d'équivalent pleinement français. C'est désormais le cas avec Les Reines du drame. La romance contrariée entre deux chanteuses, une punk et une petite-bourgeoise tient autant d'un concentré de toute la pop-culture actuelle, des émissions de télé-réalité aux YouTubeurs aux drag queens, qu'à une cinéphilie allant d'Une étoile est née à Phantom of the Paradise. Le tout pour un résultat décapant suturant l'esprit naïf des sitcoms d'AB production au regard franc d'un Fassbinder, la flamboyance romanesque des grandes histoires d'amour maudites à un discours ouvertement politique sur l'intégrité artistique. Le plus touchant restant une sincérité de tous les instants, y compris dans ses excès. Les Reines du drame revendiquant, au-delà de celle queer, l'envie de faire de l'identité de manière globale, un lieu d'inclusion absolue. Le film d'Alexis Langlois y gagne une part fédératrice jusque dans ses chansons, composées par Yelle, Rebeka Warrior ou Mona Soyoc, artistes loin de la sphère mainstream signant pourtant ici des morceaux acidulés au potentiel d'authentiques tubes ultra-populaires à reprendre en chœur.
De ce probable film culte au denier du culte, il n'y a étonnamment qu'un pas franchi cette semaine avec la sortie concomitante d'Heretic, autre drôle de film, désireux lui aussi de casser les barrières, pourquoi pas autour d'un paroissien pas très catholique quand il cache un psychopathe. Lorsque deux mormones le visitent pour tenter de le convertir, il va les convier à une joute rhétorique autour de la possible intox des religions avant de les séquestrer pour leur proposer d'assister à sa propre conception d'un miracle. Heretic démultiplie son jeu de chat et de la souris en déguisant un film d'horreur en passionnant débat théologique et vice-versa. Voir vice tout court, en ayant confié le rôle principal à un Hugh Grant très loin de ses rôles de gendre idéal. Sa composition de papy aussi érudit que manipulateur en fait un formidable méchant de cinéma, charmeur et pervers, mais avant tout troublant quand sous sa folie percent de vraies questions autour de la notion de croyance. Et s'il se sacrifie un peu sur l'autel du grand guignol dans sa dernière partie, le scénario d'Heretic, particulièrement retors quand il combine malignement mystique et démystification, achève de faire foi d'un cinéma de genre encore capable d'être ultra-divertissant et profondément philosophique.
Les Reines du drame / Heretic. En salles le 27 novembre
27 novembre 2024
3:02
PIECE BY PIECE x LA PASSION SELON BÉATRICE
On en aura décidément jamais fini avec les biopics de chanteurs. La liste de films revisitant en long, en large et en travers les parcours de stars iconiques ne cesse de s'allonger, souvent pour aligner les mêmes ficelles scénaristiques. Piece By Piece se distingue du lot. Sans doute parce que son sujet est, lui aussi, un cas singulier dans le monde de la musique : Pharrell Williams. Et plus encore par sa forme, puisque réalisé... en figurine Lego. Où en assumant d'être un documentaire, entre entretien central avec Williams et témoignages de ses proches. Le recours à l'animation essayant de traduire l'univers mental et philosophique de la star, tout en amenant une inattendue distance dans un registre souvent hagiographique. Pour autant, Piece By Piece passe souvent d'un rigolo trip Lego à un égotrip, quand il reste essentiellement à la gloire d'un artiste qui se considère comme un éternel outsider. Dès lors, les passages les plus intéressants mettent en parallèle des tubes aux mélodies et titres galvanisants, "de Get Lucky" à "Happy", et phases, à l'inverse quasi dépressives d'un Williams enchaînant les crises existentielles. Idem pour la peinture d'un music-business bouffi par l'argent et le cynisme, n'attendant des artistes que la répétition de recettes lucratives. Et même si à la longue, Piece By Piece se laisse gagner par une certaine monotonie - qu'il tente pourtant d'endiguer par un discours meta - ce drôle de biopic n'a de cesse, par son originalité formelle d'assumer son sujet profond, à savoir la préservation de la créativité dans un milieu qui ne jure que par le formatage.
Autre personnalité atypique sur les écrans cette semaine : Béatrice Dalle. En surface, La Passion selon Béatrice l'emmène en périple mémoriel en Italie sur les traces d'une de ses idoles, Pier Paolo Pasolini. Le beau documentaire de Fabrice Du Welz prend rapidement un autre chemin : plus les rencontres avec de multiples intervenants esquissent un Pasolini comme le premier marxiste punk, plus la personnalité quasi jumelle de Dalle s'y superpose, plus c'est elle qui raconte sa philosophie de vie. Elle se propage autant dans la parole d'une femme à part que dans d'incroyables séquences sans mots, comme celle où Du Welz filme le visage de Dalle, lors d'une projection privée de L'Évangile selon Saint-Matthieu, où elle entre en état de quasi-fusion avec le film de Pasolini, le vivant littéralement dans sa chair, ses larmes. La Passion selon Béatrice est empli de ces moments à fleur de peau, observant Dalle dans une quête de soi sans concessions, mais allant à confession à cœur ouvert sur son parcours personnel. Le nôtre se serre définitivement dans une scène clôturant ce chassé-croisés entre deux âmes qui avaient tout pour être sœurs, où l'actrice en rencontre une autre, Rossano di Rocco, qui tenait le rôle d'un ange dans L'Évangile selon Saint-Matthieu. Leur étreinte, signe de reconnaissance mutuelle, d'une infinie tendresse, est une bouleversante épiphanie de cinéma.
Piece By Piece / La Passion selon Béatrice. En salles le 20 novembre
19 novembre 2024
2:49
LE ROYAUME X GLADIATOR II
Et si le cinéma français allait vers une certaine idée d'appellation contrôlée ? Depuis quelque temps maintenant, il est devenu acquis que le terme de territoire a quasiment remplacé celui de régions. Ça fait plus noble, mais surtout, ça commence à donner des idées à des cinéastes qui intègrent pleinement à leur récit, des endroits, une terre. Ainsi, le principe d'un cinéma made in Corscia creuse son sillon. Récemment, c'était À son image qui entremêlait parcours d'une photographe et histoire de l'île de beauté, aujourd'hui voici Le royaume, immersion dans un clan vu par le prisme de la fille d'un de ses parrains, qui va devoir accompagner son père dans une fuite en avant. Julien Colonna propose tout autant à son film de prendre le maquis en racontant la Corse et ses complexités sans jamais s'aventurer sur le terrain du politique. Le royaume se concentrant sur des liens du sang qui vont épaissir une vendetta. Et à travers ce duo père-fille qui s'apprivoise tout en voyant les cadavres s'amonceler autour d'eux, faire le constat d'un cycle de la violence qui se perpétue, devient un héritage tragique de générations en générations. Si Le royaume, film de gangsters antispectaculaire mais d'une rare puissance pour s'infiltrer dans l'intimité tient d'un requiem, il est aussi celui d'une naissance : celle de Ghjuvanna Benedetti, renversante apparition d'une actrice de caractère.
Bien loin de la Corse, il y a un autre royaume, celui du cinéma hollywoodien. Où quelque chose est en train de pourrir. J'aurais adoré évoquer la sortie de Gladiator II, la sortie maousse de cette semaine, ce ne sera pas le cas, faute d'avoir eu accès à ses projections presse, verrouillées à l'extrême par son distributeur. Une tendance qui s'amplifie, les grands studios américains décrétant de plus en plus, comme un empereur romain selon son bon plaisir, quel média est digne ou non de voir leurs films, estimant qu'une campagne d'affichage maousse et des tapis rouges d'avant-premières commentés par des influenceurs sont plus profitables qu'une chronique. Paul Mescal est-il donc un successeur notable de Russell Crowe dans le nouveau néo-péplum signé Ridley Scott ? Cette suite était-elle nécessaire ? Aucune idée. À l'inverse, il est certain que les relations entre ces studios et la presse cinéma tiennent désormais de tristes jeux du cirque, ouvrant une arène où les combats vont être rudes.
Le royaume / Gladiator II. En salles le 13 novembre
14 novembre 2024
2:48
THE SUBSTANCE X AU BOULOT !
Bien malin celui qui oserait dire que le cinéma d'horreur est resté domaine réservé au genre masculin. Depuis plusieurs années maintenant, les réalisatrices se sont emparées de ce genre. Normal, quand il peut être l'endroit où faire parler sa colère. Ainsi de The Substance, variation du Portrait de Dorian Gray, recontextualisée dans une époque contemporaine qui n'en a toujours pas fini avec l'objetisation des corps féminins. Voilà donc une présentatrice d'émission de fitness qui se fait virer du jour au lendemain parce que jugée trop vieille, à qui l'on propose un produit-miracle lui permettant de créer son double dans une version rajeunie. Seule contrainte, elles doivent partager leur temps, une semaine sur deux. La suite sera une fable gore sur le règne de l'image à outrance et des névroses profondes qui en découlent. The Substance se lit d'autant plus entre les lignes, que Coralie Fargeat a extirpé des limbes Demi Moore, actrice reine du box-office dans les années 80-90, quasi-portée disparue une fois la cinquantaine atteinte. C'est peu de dire que Demi ne fait pas les choses à moitié pour cette résurrection, pour une performance ahurissante, entre autocritique et règlement de comptes avec la sphère médiatique. The Substance tient de toute façon d'une cure de jouvence, en se ressourçant pleinement aux excès du cinéma d'horreur indépendant américain des années 80, parfois jusqu'à n'être que son recyclage. Dommage qu'en n'y apportant, à l'exception d'un final aussi débridé que dantesque, rien de plus en termes de transgression ou de propos, Fargeat se borne à une série B joyeusement malpolie, certes jouissive, mais donc au final sans autre substance dans son discours qu'une grosse gueulante, aussi roborative soit-elle.
À sa manière, François Ruffin, raconte aussi une autre transformation au féminin avec Au boulot ! À partir du pari lancé à Sarah Saldmann, avocate muée en chroniqueuse chez Pascal Praud, de vivre dans les conditions de travailleurs smicards, Ruffin l'embarque au contact du prolétariat. Le projet se fait rapidement flou, Au boulot ! se limitant à un épisode de Vis ma vie. Plus intéressante que la confrontation entre la bourgeoise et les travailleurs précaires, ne laissant aucun doute sur le retour de Saldmann à son monde une fois cette parenthèse refermée, celle, moins démago, avec Ruffin pour un jeu de chat et de la souris où l'on ne sait pas qui finira par croquer l'autre. Jusqu'à ce que Saldmann craque et disparaisse de l'écran pour retourner à ses élucubrations sur les plateaux de CNews, laissant Ruffin avec un film certes en rade, mais surtout désabusé quand il confirme la séparation entre les France d'en haut et d'en bas, vestes pailletées à 2800€ pièce et Gilets jaunes rapiécés, chacun toujours plus proches d'un entre-soi. Et de fait qu'il y a encore beaucoup de boulot avant que leur réconciliation ne s'opère...
The Substance / Au Boulot ! En salles le 5 novembre
06 novembre 2024
3:00
MONSIEUR AZNAVOUR X THE KILLER
Les biopics de chanteurs, c'est désormais un peu comme la fashion week : on ne sait jamais vraiment quand ça s'arrête. Après ceux d'Amy Winehouse et de Bob Marley au printemps, en attendant ceux, plus intrigants, de Pharrell Williams, en lego ou de Robbie Williams incarné par… un singe en images de synthèse (!!!), voici celui de Charles Aznavour. Ce n'est rien de dire que l'on était intrigué par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, jusque-là dépositaires de bonnes comédies sociales, aux commandes de ce projet. Et plus encore par Tahar Rahim, casté pour incarner l'auteur-interprète de "La Bohème" ou "Emmenez-moi". Malgré un maquillage un brin envahissant, comment pourtant ne pas clamer "vient voir le comédien" devant son impressionnante performance caméléon ? À l'inverse, la mise en scène, dans un même registre que La Môme, modèle clairement visé, souffre parfois d'un côté tape-à-l'œil. Sans doute pour éviter de regarder un peu trop près les raccourcis d'un scénario occultant nombre de moments clés de la vie d'Aznavour. Heureusement, c'est au profit d'une idée centrale, elle judicieuse, quand Monsieur Aznavour descelle un minimum une statue du commandeur de la chanson française par le portrait d'un homme avide de succès, quitte à y sacrifier sa vie de famille. Pas de quoi faire un film "formi-formi-formidable" – en dépit d'un casting de rôles secondaires, notamment Marie-Julie Baup, géniale en Edith Piaf qui lui l'est - mais au moins un biopic qui sort un minimum des clous pour ne pas être qu'une séance de karaoké.
John Woo, lui y est retourné avec un auto-remake de The Killer. Le film qui avait fait connaître au monde entier le réalisateur hong-kongais est donc revu et corrigé 35 ans plus tard. Nathalie Emmanuel y reprend le rôle de tueur à gage tourmenté rendu iconique par Chow Yun Fat et Omar Sy celui du flic lui courant après. Woo pensait peut-être boucler la boucle en venant tourner à Paris ce remake d'un film originel en partie sous influence du Samouraï, le classique de Jean-Pierre Melville. Encore aurait-il fallu que cette nouvelle mouture ne soit pas sabrée par un scénario réduisant ses personnages à des caricatures, amplifiées par un casting unis dans un cabotinage digne d'un épisode de Capitaine Marleau. Il subsiste un savoir-faire dans les scènes d'action ou certains effets signatures de Woo, d'une vision romantique du Bien et du Mal ou un lâcher de colombes au ralenti. Rien qui n'évite cependant l'impression, d'être cette fois-ci pris pour des pigeons.
Monsieur Aznavour/The Killer. En salles le 23 octobre
30 octobre 2024
2:57
JURÉ N°2 X HUNDRED OF BEAVERS
En mai dernier, Clint Eastwood fêtait ses 94 ans. Un âge ou même les légendes d'Hollywood ont généralement raccroché les gants. Mais pas lui. Quelques semaines avant de souffler ses bougies, il était en train de mettre les dernières touches à Juré n°2 son quarantième film de réalisateur. Si c'était - et ce sera probablement le cas - le dernier, ce serait une bonne manière de boucler la boucle. Juré n°2 revient sur le motif qui aura sans doute le plus traversé la carrière d'Eastwood, devant ou derrière la caméra : la justice et son fonctionnement. À travers la trajectoire morale d'un clampin lambda se retrouvant juré devant statuer du sort d'un accusé d'un crime dont il est peut-être responsable, Juré n°2 tient peut-être d'une introspection d'Eastwood, de ses propres dilemmes moraux. Sans renouer avec les très grands films que furent Impitoyable ou Un monde parfait autour de ces questions, ce film de procès au rythme pépère a quelque chose d'attachant par ce qu'il est sans doute le dernier aveu d'un Eastwood à l'opposé de l'image d'américain ultra-conservateur qu'on lui a toujours accolé. Il est d'autant plus crève-cœur que sa sortie américaine ne lui rend pas justice, car sacrifié là-bas par son distributeur qui condamne cet ultime plaidoyer à l'échec, ne le diffusant que sur une cinquantaine de salles dans tous les USA.
Hundred of beavers n'a pas eu droit à beaucoup plus, mais a gagné sa visibilité dans la centaine de festivals où il a circulé à travers le monde pour devenir un mini-phénomène. À juste titre, pour ce film improbable sur le papier, entre hommage au cinéma muet et comédie loufoque. Soit les aventures de Jean Kayak, un trappeur novice découvrant comment chasser des castors qui vont lui donner beaucoup de fil à retordre. Le tout pour une succession de saynètes sans dialogue, empruntant autant aux bricolages géniaux des maîtres du burlesque qu'au chaos des cartoons, façon Bip-Bip et Vil Coyote quand Kayak se fait encore et encore piéger par ses propres tentatives de capturer son gibier. L'obstination de ce trappeur-loser comme celle d'un réalisateur s'échinant à trouver un gag absurde ou une idée surréaliste par scène tout en restant au premier degré font d'Hundred of beavers bien plus qu'un ovni, une comédie impressionnante dans son stakhanovisme jusqu'à l'épuisement par le rire ou la créativité.
Juré N°2 en salles le 30 octobre / Hundred of beavers sur Filmotv.fr
30 octobre 2024
2:59
NORAH
Jusqu'en 2018, il n'y avait plus de salles de cinéma en Arabie Saoudite, fermées depuis 35 ans par le gouvernement religieux y voyant une source de divertissement impur. Paradoxe, il existe pourtant un cinéma saoudien, de tournages dans le pays à la production certes des plus minoritaires et contrôlées, de longs métrages.
Norah est un exemple encore plus visible, pour avoir été le premier film issu de ce pays sélectionné au festival de Cannes. Un accessit valant passeport diplomatique pour le film de Tawfik Alzaidi d'autant plus nécessaire quand il s'attaque frontalement à un tabou religieux : la question de la représentation de l'art. Le tout dans un village reculé, en toutes logiques sous main mise du conservatisme, dans les années 90. Dernière transgression, le personnage déclencheur est un instituteur chargé d'apprendre à lire et écrire - autrement dit éduquer - des enfants dont la destinée était jusque-là toute tracée.
En face de lui, voici Norah, jeune femme, qui justement ne veut pas de la vie qu'on lui impose via un mariage forcé. Lorsqu'elle apprend que l'instituteur dessine à ses heures perdues, elle lui commande un portrait, objet prohibé et donc forcément sacrilège qui pourrait leur valoir les pires ennuis. Alzaidi se concentre sur cette intrigue dans un cadre quasi-désertique, donc idéal pour faire place à un discours progressiste, jusque dans la figure de cet instituteur à la masculinité déconstruite face à une caste féminine aux racines inféodées. Comme le rappelle la tante de Norah "tu nais ici, tu meurs ici". De quoi nourrir un beau mélo pudique, la relation entre la jeune femme qui rêve d'ailleurs et ce professeur qui la conforte dans son envie d'émancipation, étant surtout pour Alzaidi, une manière de dire qu'une discussion est aujourd'hui ouverte, que les choses bougent, même de manière minime en Arabie Saoudite.
Le portrait au cœur de ce film aussi inattendu que délicat tient d'une esquisse de lendemains meilleurs. Allez savoir, il se pourrait même que Norah finisse par être montré dans quelques-unes des quarante salles de cinéma aujourd'hui ouvertes en Arabie saoudite...
Norah, en salles
22 octobre 2024
2:22
L’AMOUR OUF x BARBÈS, LITTLE ALGÉRIE
2024 aura donc été pour le cinéma français, le retour aux ambitions. Et aux moyens accordés pour cela. Que ce soit pour rivaliser avec les blockbusters américains, en finançant Le Comte de Monte-Cristo, ou en alignant une trentaine de millions d'Euros pour L'Amour Ouf. Le nouveau film de Gilles Lellouche, est donc un film qui déborde. D'argent certes, mais surtout d'envies. De cinéma comme de romanesque ou de romantisme. L'épopée sentimentale de Clotaire le délinquant et Jackie la petite bourgeoise, revisite prolo de Roméo et Juliette dans le Nord français ouvrier des années 80 et 90 tient d'une boulimie, d'un surrégime volontaire.
Au-delà de celui de ses personnages, L'Amour Ouf, c'est aussi celui de Lellouche pour le cinéma. Pour les réalisateurs, via une stylisation opératique, citant entre autres les Scorsese ou Coppola des grandes heures, comme pour les acteurs, au vu d'un casting offrant pléthores de seconds rôles – parfois jusqu'à la fugace apparition. Une générosité jusqu'au ras la gueule, parfois au détriment d'un film qui finit par s'essouffler ou à se perdre dans une sur-démonstration formelle, là où l'écriture aurait pu être moins éparpillée, mais qui pousse malgré tout à la sympathie par son envie de cinéma populaire ET spectaculaire ou celle d'entretenir pour mieux la porter la flamme d'une fureur de vivre adolescente.
Des centaines de kilomètres séparent les Hauts-de-France de L'Amour Ouf de Barbès, Little Algérie, chronique de quartier qui venge au minimum des clichés ripolinés d'Emily in Paris. La redécouverte par un Franco-Algérien de retour à Paris de ses origines se débarasse de la sempiternelle vision pittoresque de Barbès pour en faire une enclave de solidarité méditerranéenne. Il y a quelque chose du cinéma néo-réaliste italien, en version blédarde, dans cette collection de vignettes socio-culturelles, par sa combinaison de truculence pour dépeindre une communauté pleine de vie et de gravité mélancolique via la peinture des affres identitaires des bi-nationaux. Sofiane Zermani (alias Fianso) y confirme sa mue de rappeur en acteur des plus doués pour incarner ces dualités. À travers lui, comme à travers une galerie d'attachants personnages se dépatouillant d'un système D, se diffuse un humanisme à la Ken Loach, mais aussi une passerelle inattendue avec L'Amour Ouf. Bien qu'à l'opposé économique ou de modestie. Barbès, Little Algérie s'y jumelle dans ce qu'ils dévoilent de leurs réalisateurs, Hassan Guerrar novice derrière la caméra, mais connu dans le milieu en tant qu'attaché de presse fort en gueule ou Gilles Lellouche se trimballant encore une étiquette de virilisme bourrin.
Leurs films, autoportraits entre les lignes, tout en sensibilité et pudeur, sont aussi particulièrement touchants quand ils osent y tomber le masque, pour une même quête de reconnaissance. Voire d'amour.
L'Amour Ouf / Barbès, Little Algérie. En salles le 16 octobre
16 octobre 2024
3:02
THE APPRENTICE X LE ROBOT SAUVAGE
Un mois. Le compte à rebours pour l'élection présidentielle américaine est lancée. Avec de vraies incertitudes sur le sort de Donald Trump. Au point que la sortie aux Etats-unis de The apprentice soit devenue un enjeu. La chronique des jeunes années de Trump auprès d'un mentor lui ayant enseigné la conquête du pouvoir serait-il trop partisan ? Pas si sur. La relation entre Roy Cohn, autre figure ultra-sulfureuse, grand prosécuteur du McCarthysme et son nouveau protégé est aussi un cours d'histoire américaine sur la transition entre deux générations, formées aux abus de pouvoir. A ce titre, The apprentice renoue avec les amers mais lucides constats de société que pouvait réaliser un Sidney Lumet dans les années 70. Dommage que la concision du scénario soit portée par une mise en scène scolaire de téléfilm pour HBO. A l'inverse le parfait casting, conforte bien l'idée d'un éternel cycle de la corruption morale : non seulement Sebastian Stan et Jeremy Strong sont exceptionnels en Trump et Cohn, mais surtout ce choix ricoche, sur leurs rôles précédents, Stan étant connu pour les Captain America, éloge Marvel de la démocratie et de la justice et Jeremy Strong pour son Roy Kendall, héritier aussi amoral qu' ultra tourmenté, dans la série Succession. Cette ironie mordante soutient l'idée centrale de The apprentice, bien moins biopic de Trump que mode d'emploi de la création des monstres engendrés par le capitalisme made in USA.
Roz est à sa manière une autre machine de guerre économique. Ce robot domestique échoué sur les côtes d'une forêt terrestre va apprendre à se reprogrammer au contact d'une faune qui va lui révéler conscience et sentiments. Avec Le robot sauvage, Chris Sanders poursuit sa thématique fétiche déjà abordée dans Dragons ou Les Croods, à savoir comment la famille peut aussi être une source d'émancipation, que l'on soit parent ou enfant. Tout en s'aventurant sur le terrain d'un Wall-E, du Géant de fer ou du Château dans le ciel, par une écriture subtile dans le soin donné au moindre personnage ou cette capacité folle à donner âme à une machine mécanique. Plus ahurissants encore, le graphisme et l'animation entre fluidité totale et immersion physique absolue tenant quasiment d'un relief naturel. Tout comme Roz, doit apprendre à trouver sa voie, dans tous les sens du terme, Sanders confirme plus que jamais la sienne, celle d'un auteur à part au sein de la production hollywoodienne industrielle de cinéma d'animation. Mise à jour des grands récits initiatiques d'aventures à la Jack London, Le robot sauvage est appelé à devenir un indémodable classique.
11 octobre 2024
2:56
JOKER : FOLIE À 2 x WOLFS
Joaquin Phoenix est une énigme. A la fois comédien impeccable impliqué dans des films généralement audacieux et boule de nerfs à vif, connu pour ses revirements et un caractère des plus introvertis. Ça en faisait peut-être l'acteur idéal pour jouer le Joker. Il y a cinq ans, il triomphait dans un film consacré à la genèse de l'ennemi juré de Batman. Revisite du personnage de BD, ce premier opus, plus proche de Taxi Driver que d'un film de super-héros scrutait les névroses américaines, à travers la psychose d'un anti-héros poussé à bout, basculant dans la démence criminelle. Joker : folie à deux l'enferme dans un hopital psychiatrique et une salle de tribunal, décors quasi uniques de ce second volet. C'est étonamment, à la barre de danse que vont défiler les personnages, Joker : folie à deux délaissant la part de brûlot attendue pour se faire comédie musicale décalée autour d'un duo Phoenix/Lady Gaga, en psychopathes roucoulant une romance. L'idée est gonflée, mais la petite musique de Joker : folie à deux est désacordée jusqu'au dissonant. Il y est question de masques et de schizophrénie, mais en lieu et place de la tribune anarchiste haute en couleurs du premier film, celui-ci se fait toujours plus opaque, notamment autour du rôle tenu par Gaga, qui tient de l'attrape-gogos. 2h19 d'ennui chanté plus tard, plus que le rire cabossé du Joker, c'est l'impression d'une pénible et bien trop longue blague qui persiste.
Autre duo , autre pas de danse avec Wolfs, lui aussi porté par un casting très séduisant sur le papier : Brad Pitt et George Clooney. Potes à la ville les voilà antagonistes à l'écran : ils sont ici deux nettoyeurs de scènes de crimes concurrents mais se retrouvant sur un seul et même job. Parti comme une comédie policière, Wolfs fait rapidement le ménage pour s'assumer comme un buddy movie rétro. Qu'importe les écarts de route d'un scénario foutraque, passant par une course poursuite après un gars en slip dans Chinatown ou une virée chez les mafias croates et albanaises, la seule chose qui compte ici est ce duo de loups solitaires qui s'apprivoisent et se reconnaissent. Clooney et Pitt rivalisant d'attitudes cools et dialogues croustillants pour ressusciter un cinéma d'acteurs américain à l'ancienne. Et s'il y a de quoi hurler au loup devant l'écriture particulièrement nonchalente voire feignante de Wolfs, la jubilation de voir ces deux là retrouver la formule entre charisme et décontraction, qui fait les tandems les plus iconiques, jusqu'à un beau final façon Butch Cassidy et le Kid, n'est vraiment pas négligeable.
Joker : folie à deux. En salles le 2 octobre. Wolfs sur Apple TV+
02 octobre 2024
2:51
MEGALOPOLIS x RIVERBOOM
Forcément à entendre le titre Megalopolis, on en retient surtout le côté mégalo. Encore plus si c'est Francis Ford Coppola qui est aux commandes. Le réalisateur d'Apocalpyse Now et du Parrain a marqué l'histoire d'Hollywood par un caractère independant bien trempé, des projets insensés, et des tournages dantesques. Mais aussi par sa part d'expérimentateur, sa volonté de faire du cinéma un audacieux laboratoire mêlant avant-gardisme technologique et récits adultes. Megalopolis est, à l'écran comme en coulisses la synthèse de tout ça, d'une interminable gestation en ayant fait une arlésienne depuis quarante ans à un scénario fusionnant mythologie antique et considération sur le déclin du monde actuel. Soit donc l'affrontement entre un visionnaire sur le point de découvrir une matière révolutionnaire pouvant changer la société et le maire despote d'une cité rongée par la corruption et le libéralisme. Le tout dans un ton mi- péplum, mi-art contemporain, conte moderne et de tragédie shakespearienne revue par le Cirque du Soleil. Ça fait beaucoup ? Oui, surtout quand l'ensemble se perd dans ses circonvolutions ou une touffue galerie de personnages. Cet etouffant trop plein est pour autant compensé par les idées formelles ou la mise en scène, quasi-cure de jeunesse pour un Coppola octogénaire retrouvant son inventivité des années 80, pour un film traversé par tant de séquences extraordinaires. Le geste industriel – Coppola finance un budget pharaonique sur ses propres deniers – ajoutant au phénonémal panache de l'ensemble. De quoi faire de Megalopolis, une oeuvre de tous les excès, de sa grandiloquance à sa magnificence, mais surtout, un film titanesque jusqu'au fascinant comme on en voit très rarement.
À son échelle, bien plus minime, Riverboom fait aussi se décrocher la mâchoire. Le périple de deux suisses et un hollandais s'improvisant correspondants de presse pour aller voir ce qui se passe en Afghanistan, en pleine intervention américaine pourrait n'être que les tribulations insensées d'un trio de pieds nickelés. Sauf que ce documentaire devient surtout une capsule temporelle quand il exhume des images du pays en 2002, coincé entre Talibans et G.I's. L'odyssée de ceux qui se fantasmaient Joseph Kessel mue en inattendu journal intime, carnet de bord d'une insouciance touchant à l'irresponsabilité. Aux images inédites, parce que prises sur le vif, d'un quotidien afghan, lui même révolu, se superpose un cahier de nostalgie et de regrets, Riverboom empruntant d'autres chemins de traverse quand son réalisateur livre alors son histoire familiale. Ce double chemin intérieur, d'un pays et d'un individu, mêlant intime et géopolitique se révèle n'être qu'un même processus de deuil, émouvant quand il mène à une renaissance à soi.
Megalopolis / Riverboom. En salles le 25 septembre
25 septembre 2024
3:09
LES BARBARES x LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE
Faire une bonne comédie est une gageure. Faire une bonne comédie sociale tient encore plus du pari. Il se résout souvent en prenant le parti pris de faire rire du malheur des autres. Où en essayant de prendre à rebours les vertus de l'époque. Avec Les barbares, Julie Delpy réunit ces deux axes. À savoir raconter la crise migratoire et une chronique de mœurs. Le postulat : faire débarquer dans un petit village de bretagne des réfugiés qui auraient du être ukrainiens mais s'avèrent syriens, soit rescapés d'un conflit oublié, mais qui va faire remonter les préjugés et la peur de l'étranger. Les barbares est donc une histoire de délit de faciès. Mais aussi celle, tout aussi éternelle, des lachetés ordinaires. Delpy renoue avec une galerie de personnages empêtrés dans leur médiocrité ou leur ignorance, quelque part entre le Joel Seria et le Mocky des années 70, par son portrait d'une France profonde. À la différence près qu'elle parle d'aujourd'hui, du pays de ceux qui sont biberonnés aux intox des chaînes d'infos comme de celles qui confondent bonne volonté et bonne conscience. Ça pourrait être d'une redoutable franchouillardise façon comptoir de café du commerce, entre les histoires de couple adultère et les petites magouilles des uns et des autres, c'est bien plus une vision en coupe caustique d'une réalité. Et plus encore un appel à la réconciliation avant qu'il ne soit trop tard pour le vivre ensemble. À rire collectivement pour conjurer la crainte qu'il ne reste demain que les yeux pour pleurer.
Ce fameux vivre ensemble est aussi en filigrane des Graines du figuier sauvage. De manière encore plus intime quand la femme et les filles d'un juge iranien fraîchement promu se comprennent de moins en moins. Lui devient un rouage d'une machine à écraser en confondant promotion et servilité en étant réduit à signer à la chaine des mandats d'éxecution ; elles, en se ralliant de plus en plus à la cause de femmes en lutte contre l'oppression du régime théocratique. Mohammad Rasoulof s'émancipe de la fiction, en intégrant des réelles images des répréssions des manifestations depuis la mort de Mahsa Amini. C'est le conflit qui anime toute la société iranienne qui s'incarne dans ce huis-clos familial aussi explosif qu'étouffant, virant au champ de bataille entre deux camps. À la fois thriller électrique et courageux, puisque très frontal, manifeste de la défiance envers les dirigeants du pays, Les Graines du figuier sauvage croient en l'ensemencement d'une révolution qui continue à secouer l'Iran. Son final dans le labyrinthe d'un village quasi-abandonné, prenant définitivement les choses par les cornes, en prophétisant la chute prochaine du pouvoir envisagé comme un minotaure désormais fragilisé.
Bande annonce Les Graines du figuier sauvage
Les barbares / Les graines du figuier sauvage. En salles le 18 septembre.
18 septembre 2024
2:49
BEETLEJUICE BEETLEJUICE x KILL
Il y a trente-six ans, beaucoup ont découvert Tim Burton avec Beetlejuice. L'ex animateur de chez Disney y plantait son décor naturel, entre décorum gothique, fantaisie débridée, bricolages rigolos et passions pour les freaks et marginaux en tout genre. Burton aura donc eu une place à part, celle d'un gamin aussi effronté que créatif, mais aussi véritable anomalie dans le cinéma de studio américain. Pendant plusieurs années, ce bras de fer s'est engagé, Burton parvenant à conserver sa patte sur des projets de commandes, avant de se voir formater pour des films aussi mercantiles qu'à grand succès comme son Alice au pays des merveilles ou sa relecture de La planète des singes mais totalement dévitalisés. La nouvelle aventure de Beetlejuice est une bonne nouvelle quand le cinéaste revient à ses racines. Evidemment à sa manière avec le retour d'un trublion prêt à tout pour revenir du monde des morts vers celui des vivants. Difficile de ne pas y voir une envie de renaissance pour Burton. On parlera plutôt de convalescence, ce nouveau Beetlejuice a beau avoir retrouvé le tonus et l'esprit des débuts, son plus grand fantôme reste un scénario tout raplapla, dispersé entre trame confuse et galerie de personnages secondaires inutiles. Pour autant, on y trouve parmi les séquences les plus inventives et poétiques tournées depuis longtemps par son auteur. Notamment une où sa nouvelle muse, Monica Bellucci doit rassembler les membres de son corps et les rafistoler à coup d'agrafeuse. Si cette séquence est aussi somptueuse que touchante, c'est sans doute parce qu'elle incarne les cicatrices d'un Burton qui commence à reprendre pied.
Bande annonce Beetlejuice Beeteljuice
Des cicatrices, il n'y en a pas dans Kill, film de castagne venu d'Inde. Au premier abord cette affrontement en huis clos entre un militaire et une inépuisable armée de bandits dans un train semble essentiellement empiéter sur les plates-bandes de John Wick et consorts, avec son héros invincible qui remplit les wagons de cadavres. L'objectif de cette série B musclée est pourtant moins bourrin, quand il bastonne les codes du cinéma d'action, jusqu'à casser certaines de ses règles, que ce soit avec un sidérant twist à mi-parcours ou en évitant à son extrême d'être gratuite, en l'étoffant d'une vision acide d'une Inde sociale à deux vitesses ou en incarnant pleinement certaines victimes du carnage. Confirmant l'avènement d'un nouveau cinéma indien populaire survitaminé, Kill décroche aussi la mâchoire par son envie d'en découdre avec les blockbusters usuels. En résumé : Kill, ça tue !
Beetlejuice Beetlejuice / Kill. En salles le 11 septembre
11 septembre 2024
2:44
Noémie Merlant au micro de Nova : sa passion pour le cinéma étrange
L’Étrange Festival a 30 ans, un rendez-vous toujours réussi des bobines "bizarres". Du 3 au 15 septembre, au forum des images à Paris, le festival met à l'honneur les films déviants, hors normes, louches, les thrillers, et films d'horreurs.
On y retrouve ceux que l'on connaît déjà, comme Enter the void de Gaspar Noé, mais aussi des inédits, comme une version “director’s cut” du film Tusk d'Alejandro Jodorowsky. Sont également à l'affiche La colline a des yeux de Wes Craven, ou le mythique Freaks de Tod Browning. Ces deux derniers ont été sélectionnés par Noémie Merlant, qui a carte blanche pour le festival. L’actrice, vue aux cotés d’Adèle Haenel dans Portrait de la jeune fille en feu, ou plus récemment dans l’Innocent de Louis Garrel.
Au micro de Nova, elle raconte sa passion pour l’étrange, une bizarrerie qui sera à l’oeuvre dans ses deux prochains films : Emmanuelle, en salles le 25 septembre et Les Femmes au balcon, qui verra le jour en décembre. Noémie Merlant est souvent associée au female gaze, et pourtant, elle a choisi trois films réalisés par des hommes, elle nous explique son choix au micro d'Alex Masson.
10 septembre 2024
10:43
Tatami x L’étrange festival
Il n'aura échappé à personne que les Jeux Olympiques et Paralympiques parisiens auront été aussi un marathon de la récupération politique, quitte à envoyer valser une demande présidentielle souhaitant que le sport ne soit pas politisé. Tatami se déroule loin de la Tour Eiffel en Georgie, pendant des championnats du monde de judo et met plus que pleinement sur le tapis ses enjeux. Quand la meilleure judokate iranienne risque de finir en finale face à son équivalente israélienne, les mollahs se mettent à faire pression sur l'athlète et son entraineuse pour qu'elle simule un désistement afin d'éviter un éventuel déshonneur à la république islamique. Tatami se déroule bien plus dans les vestiaires que pendant les matches. Logique pour un film qui veut parler de l'oppression qui se trame dans l'ombre. Et plus encore quand il est, chose impensable pour leurs gouvernements respectifs, co-réalisé par une iranienne et un israélien. Zar Amir Ebrahimi et Guy Nattiv se révèlent pour autant parfaits sparring partners, ce tandem inattendu procurant à Tatami à la fois un sens électrisant de thriller à suspense qu'un parfait cours de realpolitik.
Il faudra être particulièrement sportif pour pouvoir cavaler entre les séances de L'étrange festival, qui réouvre ses portes cette semaine. La manifestation qui fête ses trente ans a depuis longtemps démontré son endurance dans l'envie de montrer et partager des cinémas hors des clous. Cette édition est donc à nouveau l'occasion de parcourir une cartographie de productions méconnues ou transgressives. Polar turc ou kazakh, science-fiction chinoise, actioner indien, animation australienne, film d'horreur autrichien, film fantastique français et bien d'autres encore sont conviés dans cette désormais rituelle sarabande, gargantuesque festin pour qui serait affamé d'images et pensées « différentes » du cinéma mainstream. Au delà de ce panorama d'inédits, on notera, parmi la floraison d'invités, les deux cartes blanches données à deux voix féminines françaises singulières, Coralie Fargeat et Noémie Merlant. La réalisatrice et la comédienne, ayant en commun, au moins dans leurs films, une volonté de parole émancipatrice des codes, y présenteront des films de leur choix, en phase avec l'essence de L'étrange festival : pousser les curseurs pour mieux ouvrir les yeux sur le monde. Et pour ceux qui ne seraient pas rassasiés, le bonus d'un livre édité pour les trente ans, revenant sur l'aventure de ce festival vraiment pas comme les autres, sera une manière supplémentaire de souffler les bougies.
Tatami. En salles / L'étrange festival du 3 au 15 septembre au Forum des images, Paris
04 septembre 2024
2:47
The legend of the sacred stone x Gamera
Soyons lucides, la rentrée cinéma dans les salles n'est pas pour cette dernière semaine d'août, encore un peu mollassonne du côté des sorties. L'actu se fait bien plus trépidante du côté des sorties vidéo avec au minimum une découverte singulière venue de Taïwan. Là bas le studio Pili est une institution qui s'échine depuis quarante ans à entretenir deux traditions asiatiques, le film de sabre et le théâtre de marionnettes. En 2000, la structure familiale décide de transposer au cinéma une série télé très populaire. Legend of the sacred stone organise une rencontre inespérée. La trame autour de la quête d'une très convoitée pierre aux pouvoirs mirifiques est l'occasion de scènes aussi graphiques que dynamiques, invoquant autant les classiques du cinéma d'art martiaux des années 70 que ses expérimentations formelles dans la décennie suivante. En émane l'étonnante sensation d'une chair vibrante (parfois jusqu'à exploser dans des gerbes de sang) chez ces marionnettes sous speed. Impression confirmée par Demigod, un second film Pili inclus dans le même coffret de blu-ray. Plus récente, cette autre saga épique intègre à la perfection les progrès établis par les effets-spéciaux entre temps, au profit d'une mise en scène encore plus inventive comme d'un goût pour les séquences spectaculaires jusqu'au délirant. De quoi donner un sacré coup de vieux à nos séances de Guignol.
Bande annonce Legend of the sacred stone - Spectrum Films
Autre variation sur un registre asiatique, Gamera aura agrandi le bestiaire initié avec Godzilla. Initialement apparue au milieu des années 60, pour séduire un public enfant, cette tortue atomique géante est devenue beaucoup moins inoffensive lors d'un reboot pour célébrer son trentième anniversaire. Une nouvelle trilogie de films aura envoyé bouler gâteau et bougies pour une étonnante résurrection prenant un ton bien plus réaliste, réinventant l'interaction entre la bestiole et les humains. Gamera s'y débarrasse de son statut d'iconique mascotte doudou pour concentrer les inquiétudes terrestres, d'une imprégnation écolo aux cas de conscience des victimes collatérales causées par les affrontements dantesques entre créatures belliqueuses. Au moment où Godzilla s'empêtre dans les filets de remakes américains de plus en plus ineptes, la réapparition de cette remarquable trilogie rend grâce aux Kaiju, ces films de monstres géants japonais, en rappelant que le plaisir des blockbusters n'est pas incompatible avec une écriture d'une rare maturité.
28 août 2024
2:35
Emilia Pérez x Zénithal : il n’y a pas que la taille qui compte
Parcours d’une transgenre chez les narcos ou comédie conjugale loufoque, les sorties de la semaine ne sont qu’amour.
Passé un certain âge, certains cinéastes s'installent dans une routine. Un axiome réfuté par Jacques Audiard, cinéaste septuagénaire qui n'a cessé de prendre des chemins de traverse. Du moins formellement. Pour ce qui est des sujets, il reste arrimé à une vision profondément romantique et sentimentale des rapports amoureux. L'enveloppe, elle change à chaque film. Au point de devenir un pitch en soi pour Emilia Perez, film sur la transition d'un narco-trafiquant en femme, épousant son principe jusqu'à lui même faire différentes mues, passant de la comédie musicale au mélo façon télénovela. Vous avez dit film transgenre ? Oui, dans son épiderme. Sa chair elle reste la matrice même du cinéma d'Audiard, cette envie de déconstruction des valeurs morales des personnages ou au minimum des valeurs virilistes. Cette fois-ci pour une vision baroque – et parfois roccoco – des choses, assez estomaquante en terme de spectacle ou dans un questionnement identitaire, superposant ceux de son personnage-titre et d'un cinéaste chercheur de formes. Ça a ses limites quand Emilia Perez laisse rapidement de côté certaines questions, du maelström qu'est un Mexique écartelé entre l'ordre et la violence à certaines fractures sociales, mais n'en reste pas moins surprenant et inédit dans sa proposition de cinéma transformiste.
Des limites, Zénithal n'en connait pas beaucoup. Il est aussi question d'une altérité homme-femme dans cette comédie secouée mêlant machiavélique complot masculiniste pour asservir la gent féminine, combats de kung-fu et greffe de cerveau dans... des pénis géants ! Foutraque ? Oui, assurément mais surtout totalement assumé par l'alliance entre premier degré de la croisade d'un loser pour reconquérir son couple et un concept de base loufoque. Le potentiel de nanardisation asphyxie souvent la réflexion sur la conjugalité moderne, mais l'entrain d'un casting à fond les ballons pour accompagner ce franc délire a quelque chose de réjouissant. Au minimum par une désinhibition totale pour s'essayer à une réécriture, malgré tout sensible, de la rom-com ou en tordant le cou à la pensée Incel en assurant définitivement qu'elle est con comme une bite.
Emilia Perez / Zénithal. En salles le 21 août.
21 août 2024
2:36
Alien: Romulus x City of darkness : le retour du cinéma monstre.
Certaines mythologies de cinéma sont increvables. En l'occurence celles d'Alien et du film d'action hong-kongais des années 90, qui font leur retour en salles cette semaine. En 1979, lorsque le premier Alien sort et révolutionne le cinéma de science-fiction, personne n'aurait cru qu'il donnerait lieu à une franchise qui perdurerait quarante-cinq ans plus tard. Qui plus est une des plus passionnantes dans sa gestion, où se sont entrechoquées entre autres les visions de David Fincher, James Cameron ou Jean-Pierre Jeunet avant que Ridley Scott ne se la réapproprie pour aller sur un terrain plus ésotérique avec Prometheus ou Alien : Convenant. Avec Alien : Romulus il a confié les commandes à un réalisateur uruguayen qui a déjà relifté d'autres franchises, d'un pertinent remake d'Evil dead à une solide suite à Millenium. Fede Alvarez revient aux sources, que ce soit en situant ce nouvel opus entre le premier Alien et Aliens mais surtout en renouant avec une part purement organique . En ayant recours à minima aux effets numériques, Alien : Romulus ressuscite l'essence même de la saga, cette incarnation ultra-physique de la peur, a travers une course poursuite entre la créature et une poignées d'humains. C'est du moins la promesse faite par les très efficaces et alléchantes quelques séquences montrées en amont de la sortie, laissant penser que ce nouvel épisode n'est pas un vain raval de façade , mais plutôt un inespéré retour aux racines.
Celui de City of darkness l'était tout autant. A partir d'une immersion dans la citadelle de Kowloon, authentique cour des miracles ayant accueilli tous les parias hong-kongais avant sa destruction dans les années 90, Soi Cheang réinvestit le thriller d'action de l'ex-colonie Britannique. A l'époque, Kowloon avait été démoli dans le cadre de la rétrocession à la Chine, dans un esprit de nettoyage. City of darkness lui restitue un sentiment de fourmilière tant par la profusion de personnages que par de dantesques décors arachnéens se resserrant autour d'une guerre des gangs. De quoi édifier un paradis perdu de cinéma kinétique, entre générosité des scènes de combats et participation de légendes d'un âge d'or révolu, de Sammo Hung, compagnon de Bruce Lee et Jackie Chan, imposant en super méchant à Philip Ng, émérite chorégraphe d'art martiaux. Au delà des phénoménales prouesses physiques, City of darkness fait l'éloge de la transmission d'un code de valeurs, ravivant celui d'un cinéma voyou incroyablement revigoré, tout en fureur et chaos soufflant sur les braises incendiaires d'une identité culturelle hong-kongaise qu'on pensait dissoute dans une production chinoise désormais aux ordres du gouvernement. Et si le personnage central de ce film ultra- épique est un clandestin cherchant asile, City of darkness s'impose clairement comme un refuge sanctuarisé pour tout les nostalgiques du cinéma urbain made in Hong-Kong.
Bande annonce City of Darkness
Alien : Romulus/ City of Darkness. En salles le 14 août.
14 août 2024
3:27
MaXXXIne x We are zombies : Un goût d’années 80
Les années 80 ne sont pas mortes. La preuve avec une revisite musclée des slahsers urbains et un film de zombies.
Finalement, le cinéma c'est peut-être plus qu'autre chose une question de codes, de règles narratives. Et surtout de savoir comment les contourner, les détourner, pour mieux y revenir, rappeler qu'ils sont une base, un pilier. Encore plus quand il s'agit de films de genre. Ainsi MaXXXine et We are Zombies s'élancent comme des variations nourries d'envies de pas de côté et de références mais sans trop se perdre dans un discours meta de petit malin, lui préférant un premier degré à peine teinté d'ironie.
Ainsi MaXXXine, dernier volet d'une trilogie dédiée à l'empouvoirement féminin revisite - après les univers du porno américain, du cinéma d'horreur indépendant ou du mélo dans les deux premiers films)-, celui des séries B urbaines des années 80 à travers une actrice prête à tout pour devenir vedette, quitte à être rattrapée par son passé et un tueur qui se met à dézinguer les starlettes. Hommage à la production américaine déviante MaXXXine s'évertue pourtant à raconter des évolutions parallèles, celle d'une femme désireuse de s'émanciper et d'un cinéma essayant de ne pas s'aseptiser, de maintenir une certaine rébellion. Soit quelque part, quelque chose qui n'est pas si loin du chant nostalgique d'un Tarantino et son Once upon a time in Hollywood. MaXXXine se rapprochant d'une version plus réaliste du rêve américain, parce que portrait plus rugueux, plus crasseux de son quotidien et ses désillusions.
De son côté We are zombies s'assume en version ludique du film (donc) de zombies, tout en brocardant une époque libérale ayant anesthésié les valeurs : les cadavres ambulants étant sur le point de surpasser numérairement les vivants, ils sont devenus un nouveau prolétariat exploité, y compris par un trio de crevards réduits au trafic de morts-vivants devenus cobayes de l'industrie pharmaceutique. Plus anar que contestataire, We are zombies s'essaie à la comédie sociale, où la pulsion de dévoration serait issue du virus capitaliste. Pas de militantisme pour autant dans cette pochade canadienne, le ton est plus à la déconnade. Un petit filet de bile amère sinuant parmi les moments de bravoure gore ne laisse pour autant pas de doute sur l'idée d'un monde où ce serait aux vivants de se réveiller plutôt qu'aux morts. Du fond de sa tombe, George Romero, le fondateur de films de zombies ayant autant de cervelle que de tripaille, doit être ravi de cette descendance potache.
MaXXXine / We are zombies. En salles.
07 août 2024
2:50
LE COMTE DE MONTE-CRISTO x CAMPING DU LAC : Au bout du comte
Le milieu du cinéma français n'a jamais trop su comment traduire ni s'approprier le Blockbuster. Pas par défiance des anglicismes, mais sans doute par complexe culturel. Enfin ça, c'était avant que le grand public ne sature des films de superhéros, ouvrant une brèche pour un retour du héros à la française.
Et pourquoi pas alors aller piocher dans le creuset de la littérature populaire ? Après une tentative peu concluante avec un patapouf Les 3 mousquetaires l'an dernier, Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, qui l'avaient écrite, ont pris les choses en main pour réaliser une nouvelle version du Comte de Monte-Cristo. Alexandre Dumas ne se retournera pas dans sa tombe devant cette version tout en panache, updatant le classique patrimonial en récit de vengeance. Edmond Dantès y devient quasiment un personnage à la Bruce Wayne/Batman, justicier toxique par ses proches, dévoré par le masque de sa croisade personnelle. De La Patellière et Delaporte retournent eux aux valeurs d'un formidable cinéma de cape et d'épée à l'ancienne : pas de temps mort, des personnages pleinement incarnés par un casting uniformément impeccable et ne pas lésiner sur la direction artistique. Et si les bons « Comtes » font les bons amis, ce Monte-Cristo, évidente réussite, devrait rameuter dans les salles bon nombre de spectateurs.
Bande-annonce Les 3 mousquetaires
Bien qu'à l'opposé absolu en termes de budget et d'ampleur, Camping du lac cultive lui aussi un sens de l'épique. Les tribulations d'une jeune femme au gré de ses rencontres dans un camping breton où vivrait une créature millénaire parvient lui aussi à prendre le large. Avec trois bouts de ficelles, Eleonore Saintagnan tisse son monde, pour y faire se côtoyer, entre autres, légendes celtes et blues américain. Du cinéma façon histoires qu'on se raconte au coin d'un feu de camp. Minimaliste sur la forme, cette élégie du fantasque ravive la force des folklores comme autant d'inépuisables boîtes à contes et a des airs de baignade en eaux douces : une fois qu'on est dedans, aucune envie d'en sortir. Juste celle de se laisser flotter, porter par le puissant charme d'un film petit par la taille, grand par son imaginaire.
Le comte de Monte-Cristo / Camping du lac. En salles le 19 juin.
01 juillet 2024
2:34
"THE SUMMER WITH CARMEN" x "CALIGULA, THE ULTIMATE CUT" : Fesse ce qu'il te plaît
Bientôt l'été, forcément la saison des chaleurs, donc moment propice pour aller à la plage se débrailler un peu.
Demos, le personnage central de The summer with Carmen, passe beaucoup de temps sur celles d'Athènes. C'est là-bas qu'il cherche l'inspiration avec un ami de longue date pour écrire un scénario lui permettant de faire le deuil de sa dernière rupture amoureuse. Sur les rochers alentours, les hommes se dénudent très facilement, lui lutte pour se mettre psychologiquement à poil. The summer with Carmen réinvente la comédie romantique queer pour y ajouter de multiples tiroirs, où viendraient se ranger les cinémas de Xavier Dolan, Pedro Almodóvar ou Éric Rohmer. Le tout sans devenir une auberge espagnole, plutôt une salade grecque aux ingrédients idéalement dosés. L'identité gay en ressort solaire, d'un érotisme assumé à un discours déculpabilisant, plus dans une idée de déconstruction des clichés, y compris dans son alliance de fantaisie débridée et d'introspection existentielle.
En 1979, l'ambition de Bob Guccione et Tinto Brass était tout autre quand ils se lancent dans Caligula. L'alliance d'un patron de la presse porno américaine et du plus érotomane des cinéastes italiens aura accouché d'un film monstre. Autant dans son idée folle d'un péplum de luxe ultra-désinhibé, excessif jusque dans son casting haut de gamme, réunissant autour de Malcolm Mc Dowell la crème de la crème britannique que dans sa Genèse des plus tumultueuses. Aux deux versions précédemment exploitées, celle de Brass déjà pas piquée des hannetons, et celle de Guccione encore plus dépravée, s'ajoute désormais une troisième, baptisée The ultimate cut. Elle est conçue à partir d'une centaine d'heures de rushes qui n'avaient pas été utilisées. Les scènes les plus trash des deux versions précédentes, qu'elles soient gores ou pornographiques en sont excisées, mais Caligula : the ultimate cut n'en est pas moins fou dans sa peinture d'un empire Romain en pleine dégénérescence. La décadence pointée du doigt par Brass et Guccione fait place à une vision quasi putride des enjeux de pouvoir autour d'un empereur aveuglé par l'amour incestueux pour sa sœur, retrouvant sa part de tragédie shakespearienne. Le stupre des films de départ s'est quelque peu dissout dans cet Ultimate cut, pas la démesure. Mieux que d'éviter à cette version-là un statut de curiosité, elle démontre la vertu principale du projet initial : transformer l'exploration d'un des plus grands cas de folie de l'histoire en monument de cinéma.
The summer with Carmen et Caligula : the ultimate cut, en salles le 19 juin.
12 juin 2024
2:36
C’EST PAS MOI x JIM HENSON, L’HOMME AUX MILLE IDÉES : LIBERTÉ DE PENSER
Il suffit parfois de prononcer le nom d'un cinéaste pour entrer dans un monde à part. Prenons le cas de Léos Carax. Rien que ce patronyme qu'il s'est choisi, anagramme de sa véritable identité, est une manière de ne pas vouloir entrer dans des cases, d'affirmer une personnalité. Ses films, tous hors normes, l'ont encore plus appuyé. Alors, il faut forcément prendre le dernier comme une ironie dès son titre. C'est pas moi. Drôle d'incipit pour un autoportrait, qui n'aurait d'ailleurs même pas dû être un film, mais l'accompagnement d'une exposition commandée par le Centre Pompidou qui n'aura finalement pas lieu. Carax en a fait une visite de son musée intime ; 40 minutes pour faire un bilan à ce jour de l'homme comme du cinéaste. Un collage d'images, assemblant scènes nouvelles tournées pour l'occasion et extraits ou images d'archives, questionnant autant le passé que le futur pour des raisonnements à la maraboud'ficelle, parfois déconcertants, souvent fulgurants. Le lien avec le Godard de la grande période se fait d'autant plus que C'est pas moi reprend la forme de ses Histoire(s) de cinéma, pour une sorte d'épisode inédit piraté par Carax. Il arrive à cette lettre ouverte à tous les vents de s'éparpiller, mais jamais de s'écarter du ludisme, pour un film qui ressemble bien à son auteur, entre créativité inventive et mélancolie chevillée au corps. On regrettera juste que son meilleur trait d'esprit n'ait pas été suivi : puisque c'est un film qui travaille du chapeau, il a été un temps question que ses spectateurs fixent eux-mêmes le tarif du billet en donnant ce qu'ils veulent. Pour le coup, c''est pas lui qui a empêché cette idée d'aller à son terme.
Avec Jim Henson, le public en a toujours eu pour plus que son argent : le créateur des Muppets à l'a comblé pendant des décennies au point d'avoir été occulté par les géniales créations que furent Kermit et ses acolytes. L'homme aux mille idées retrace sa carrière, avant, pendant et après les Muppets, pour révéler son foisonnement créatif, équivalent à celui d'un Walt Disney. Raconté par ses collaborateurs et ses enfants, Henson s'y incarne dans son génie comme dans ses failles, à la fois au service de valeurs familiales quand il supervisait Sesame Street mais absent à sa propre famille, pratiquant de techniques artisanales pour ses marionnettes mais féru des technologies les plus avancées pour les mettre en scène. L'homme aux mille idées – et autant de paradoxes- est un hommage d'autant plus vibrant qu'il ne fuit pas la complexité d'Henson, ayant cherché à accomplir ses ambitions un peu folles d'adulte via une vie d'artiste dédiée avec sérieux aux enfants. Les témoignages emplis d'admiration qui s'égrènent au long de ce beau documentaire confirment que c'est aussi pour cela que l'oeuvre d'Henson continue à nous toucher, même quand on est devenus grands.
"C'est pas moi" en salles le 12 juin/ Jim Henson : L'homme aux mille idées. Sur Disney +
12 juin 2024
2:38
BAD BOYS RIDE OR DIE x LA GARDAV’ : Mais que fait la police ?
Cela fait toujours un drôle d'effet de voir apparaître à l'écran le logo des productions Don Simpson/ Jerry Bruckheimer.
Au minimum parce que cela ramène aux années 80-90, quand ces deux-là ont profondément transformé le cinéma hollywoodien en lui apportant le principe du High concept. Késako ? L'idée qu'un film puisse résumer à une idée forte centrale autour de laquelle on brodera un scénario. C'est ainsi que sont nés Top Gun, Le flic de Beverly Hills ou encore Bad Boys. Trois énormes succès normatifs de toute une économie de cinéma, qui y a vu une formule magique à laquelle elle n'a de cesse de retourner. Ainsi, un nouveau Bad Boys et un nouveau Flic de Beverly Hills débarquent ce mois-ci en salles ou sur Netflix. Enfin, nouveau, c'est beaucoup dire, dans le cas de Bad Boys : Ride or Die, tant il n'est qu'un recyclage du moule initial, soit une combinaison de scènes d'action et de vannes entre Will Smith & Martin Lawrence. Un syndrome de la redite qui a gagné jusqu'à Adil El Arbi & Billel Fallah, tandem de réalisateurs belges, qui avaient plutôt pas mal pimpé la franchise en 2020 avec Bad Boys for life, mais enferment ici un scénario des plus poussifs dans des tics déjà périmés, de plans faisant de l'œil aux gamers fans de FPS à un déluge d'effets numériques privant ce film de toutes parts organique.
Bande-annonce de Bad Boys : Ride or Die, 2024
Bad Boys : Ride or Die va jusqu'à confirmer son incapacité à régénérer sa franchise en ressuscitant un personnage assassiné dans l'opus précédent, redevenu central dans l'intrigue mollassonne. Alors « Bad boys, bad boys/ What you gonna do ? » Peut-être enfin penser à prendre la retraite.
La chanson-gimmick de Bad boys est justement citée dans une scène de La gardav'. Ironie du sort quand le film de Dimitri & Thomas Lemoine est aux antipodes économiques et pratiques du blockbuster. Le récit du tournage d'un clip de rap qui tourne mal ploie sous le bricolage amateur forcé par une autoproduction, mais déborde de sincérité, y compris dans l'envie de démonter certains clichés sur la population des banlieues. Les maladresses de rythme ou d'écriture, sans doute dues à l'autodidactisme des deux frères aux commandes, sont compensées par une énergie comique supérieure à celle de certains films mieux lotis financièrement. Au-delà de l'expérience de vétérans vus dans Kamelott, Caméra Café ou Les Tuche, Thomas Lemoine renoue avec un comique burlesque dans un hilarant rôle de benêt naïf façon Bourvil de cité.
Bande-annonce de La Gardav', 2024
La Gardav' dérouille ainsi les mécanismes et quiproquos des bonnes comédies de boulevard pour les amener sur le territoire des quartiers. Même avec ses imperfections, la claire envie de bien faire ou le bon esprit de l'ensemble laisse penser qu'il va effectivement falloir garder à vue les frères Lemoine après ce premier essai modeste, mais prometteur.
Bad boys Ride or die / La Gardav'. En salles le 5 juin 2024.
05 juin 2024
3:09
MEMORY x SALEM : Du coeur à l'ouvrage
En cette époque particulièrement chaotique, toute dose d'empathie est plus que bienvenue. On la trouvera cette semaine au cinéma, avec un doublé de sorties pour autant inattendu.
La période doit vraiment être redoutable pour que Michel Franco, cinéaste reconnu pour sa misanthropie profonde, signe avec Memory un film essentiellement tourné vers l'humain. En l'occurrence deux, une assistante sociale et un veuf. Ils se sont connus à la fac, se retrouvent des années plus tard à une réunion d'anciens élèves. Elle est une ancienne alcoolique jamais loin de replonger, lui vient se découvrir être atteint de démence précoce. Usuellement chez Franco, ce duo aurait sombré dans leurs failles et leurs traumas. Memory leur offre la force de s'émanciper de leurs milieux toxiques. Là où d'habitude ce réalisateur anesthésie à force de scénario retors et nihiliste, le voilà qui s'essaie au mélo doux pour cicatriser les plaies de deux écorchés vifs. Bien sûr, l'horizon sombre de la dégénérescence s'annonce, mais Memory émeut à s'efforcer d'être un film de réparation de corps et de cœurs brisés.
Bande-annonce de Memory : https://youtu.be/_w6Wkui3A9c?si=tS0i-B0_X1-HvqNr
Jean-Bernard Marlin, s'était, lui aussi, révélé capable d'un regard cru avec Shéhérazade, sidérant premier film autour d'un amour impossible entre deux minots marseillais. Salem démarre comme un Roméo et Juliette ado dans les quartiers nord de la ville. Djibril, le comorien et Camilla, la gitane, s'aiment au point de faire un enfant. La guerre entre cités va envoyer Djibril en prison, où il devient obsédé par l'idée de sa fille grandissant sans lui. Il en sort convaincu d'avoir le don de guérison universelle et que sa rejetonne sera une prophète pouvant sauver le monde de son cycle de violence. Porté par une envie de pacifisme jusque dans son titre, Salem sait pour autant que son vœu de transmission de bienveillance à la jeune génération est sans doute idéaliste. À travers la relation qui se noue entre un père et une fille, il propose pour autant une voie alternative, y compris dans un imaginaire de cinéma entremêlant film noir et néo-mysticisme. Cette alliance stupéfiante pour conjurer la malédiction des déshérités sociaux, reste peut-être un peu naïve face à la réalité des cités, mais la conviction de son réalisateur comme de son récit font léviter Salem bien au-dessus du cinéma naturaliste usuel.
Bande-annonce de Salem : https://www.youtube.com/watch?v=hg_KzrEZDcQ
Memory / Salem. En salles le 29 mai
29 mai 2024
2:30
CLAP DE FIN DU FESTIVAL DE CANNES : Tous comptes faits
Voilà, Cannes 2024, c'est fini. Une fois le palmarès tombé, tout le monde rentre chez soi. Certains même avant, pour lesquels la cérémonie de remise des prix sera devant la télé. Samedi après-midi, on a même croisé Adèle Exarchopoulos faisant pépère la queue dans le wagon-bar du train. C'était déjà un indice que L'amour ouf, le film de Gilles Lellouche, n'allait pas décrocher quoi que ce soit.
Beaucoup ont senti, eux, leur mâchoire dégringoler en entendant qu'Anora se voyait décerner la Palme d'Or plutôt que l'ultra-favori, Les graines du figuier sauvage, médaillé, lui, du Prix Spécial du Jury. Un choix en fait peut-être prudent : Dans la période actuelle où en Iran, il vaut mieux y aller mollo avec les Mollahs, La récompense suprême aurait de quoi signifier mise au gnouf illico pour toute l'équipe du film restée au pays. De toute manière, décortiquer un palmarès cannois n'a pas beaucoup de sens : c'est à l'aube de l'édition suivante, quand les films auront connu leur carrière en salles, que les vertus de la présente devront être analysées. Cependant, si, comme souvent, elle devrait s'avérer le haut du panier de l'année cinéma, il est d'emblée clair qu'au vu d'une sélection assez terne, 2024 ne devrait pas rester mémorable.
Au final, qu'est-ce qu'on a vu cette année à Cannes ? Sans doute un reflet de l'époque et de son chaos. Toutes sections confondues, ce festival aura été celui des films désarçonnants à force de malaxer les narrations et les registres, quitte à étouffer leur propos. Il n'est d'ailleurs sans doute pas anodin que Greta Gerwig et son jury aient globalement récompensé les films les plus limpides de la compétition. De ce flou sont toutefois ressortis quelques motifs : En premier lieu, la récurrence de personnages féminins, la plupart bataillant encore contre l'emprisonnement d'un vieux monde, mais avec une certaine avancée, quand, au-delà d'une maigre délégation féminine (quatre réalisatrices seulement en compétition), beaucoup des films signés par des hommes mettent en scène des femmes et plaident leur cause.
Pour autant, ce qu'on aura donc le plus vu à Cannes, c'est du cul. Ou plutôt des culs, quand les plans s'attardant sur des postérieurs auront été aussi innombrables que très charnels. Pour le coup, avec une certaine équité, ces fessiers étant aussi bien masculins que féminins. Était-ce une manière de mettre encore plus à nu le monde, dire que, malgré son état, il restait encore désirable ? Ou de sous-entendre qu'il est en train de nous péter à la gueule ? Allez savoir.
27 mai 2024
2:33
CANNES JOUR 8 : La mode, la mode, la mode
À 24 heures du palmarès, les bookmakers de festival sont en berne. C'est un vrai pari de pronostiquer qui repartira de la croisette avec la Palme d'or dans ses bagages. Au minimum parce qu'il reste encore deux candidats à être montrés, La plus belle des marchandises, le dessin animé signé Michel Hazanavicius et La graine de la figue sacrée de l'Iranien Mohammad Rasoulof. Encore plus quand aucun film de la compétition n'a jusque-là pleinement fait l'unanimité.
Toutefois, un grand gagnant peut d'ores et déjà être annoncé : l'industrie de la mode.
La relation entre les grands groupes et le festival n'est pas nouvelle. Depuis que la fameuse montée des marches sur tapis rouge a été inventée, celle-ci est un showroom à ciel ouvert pour les grands couturiers, qui en retour y trouvent le catwalk le plus médiatisé au monde. Cannes y trouve son compte par une présence strass et paillettes dans toutes les gazettes de la planète. Mais ce rapport win-win prend cette année une nouvelle dimension.
Après une première étape l'an dernier en accompagnant le moyen-métrage de Pedro Almodóvar en tant que producteur, Saint-Laurent est pleinement passé de l'autre côté des marches en finançant cette année trois films de la compétition, ceux de David Cronenberg, Jacques Audiard et Paolo Sorrentino. Une étape fondamentale autant pour Cannes que pour le monde du cinéma, où l'industrie du luxe est de plus prégnante. En plus des filiales de production, jusqu'à CAA, une des agences hollywoodiennes les plus puissantes, a récemment été rachetée par François-Henri Pinault, le patron du groupe Kering auquel appartient Saint-Laurent.
À ce stade, il est inquiétant que la mode finance ce type de cinéma, parce que cela signifie à quel point des auteurs comme Audiard ou Cronenberg et d'autres ne parviennent plus à trouver de financements traditionnels, même si cela leur permet de continuer à faire des films. Mais il faudra scruter de près l'évolution rapide de ce phénomène -on pourrait tout autant mentionner l'importante présence financière de Chanel dans le budget de certains festivals nouvellement créés. D'autant plus quand une riposte ne serait tarder de la part de LVMH, qui vient créer 22 Montaigne entertainment, dédiée, elle aussi, à la production. Il n'est donc pas impossible que dès 2025 à Cannes, on regarde des films sous cette bannière… Jusqu'à faire de la compétition un porte-manteau de ces groupes ? On préfèrerait y découvrir, dans quelques années, un thriller économique qui raconterait les coulisses de leur nouvelle rivalité.
Photo : L’équipe du nouveau film d’Almodóvar, Extraña Forma de Vida, avec Anthony Vaccarello, producteur et directeur artistique d’Yves Saint-Laurent, à Cannes en 2023. Patricia DE MELO MOREIRA, AFP.
24 mai 2024
2:27
CANNES JOUR 7 : Enfin, la compet’ !
On ne va pas se mentir, Cannes 2024 ne devrait pas rester parmi les crus les plus éclatants.
À vrai dire, l'industrie le savait avant même que cette édition démarre, au vu de projets ayant eu souvent du mal à être financés, de grands noms qui ne seront prêts que l'année prochaine, de cinématographies malmenées par des politiques fermant les robinets ou d'un cinéma américain qui doit encore se remettre de la longue grève des scénaristes. Le plus important festival de cinéma au monde ne pouvait qu'être la caisse de résonance d'un contexte morose.
La chose semblait même entendue au vu d'une compétition jusque-là molle, entre films confus, anecdotiques ou ne sortant pas des rails usuels de leurs auteurs. Seul Emilia Perez,l'inattendue comédie musicale de Jacques Audiard, avait éveillé un intérêt de la foule cannoise. On pensait donc l'affaire pliée.
Lorsque soudain, une triplette de films ont remis les pendules à l'heure. Coup sur coup, Paolo Sorrentino, Sean Baker et Miguel Gomes ont rappelé que Cannes est aussi une affaire d'excellence. Avec Parthenope, Anora et Grand Tour, les enjeux ont été relancés, avec la chronique d'une vie de femme napolitaine, une peinture de la nouvelle génération capitaliste déguisée en comédie policière, ou encore une course-poursuite rêveuse entre deux fiancés. Un tiercé qui a tout pour être gagnant lors du palmarès à tomber samedi soir, tant ils sont de forts candidats, au minimum concernant les prix de la mise en scène ou d'interprétation.
Les choses ne sont pourtant pas si simples alors que ces films devront aussi passer le contrôle douanier de l'époque. Vrai qu'aussi sublimement mis en scène qu'il soit, le fond du film de Paolo Sorrentino est encombrant à l'ère #MeToo quand il sur-sexualise son héroïne ou laisse la plupart de ses personnages masculins effarés d'être face à une femme belle ET intelligente. Quant à la narration hyper arty de Grand Tour ou le rythme indolent d'Anora,ils vont à l'encontre des attentes d'un public de moins en moins patient ou ouvert aux expériences formalistes. Mais au minimum, on doit être gré à ses trois films d'avoir donné l'impression que la compétition (et les débats animés qui vont avec) vient enfin de commencer.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
23 mai 2024
2:20
CANNES JOUR 6 : Hard corps
Au bout de dix jours de festival, le moindre accrédité a le sentiment d'avoir pris dix ans dans la vue, vit dans un état second, sous perfusion non-stop de café qui a fini par remplacer le sang dans les veines.
Soit en parfait accord avec des films tournant autour du rapport à la mort ou au vieillissement. Dans The substance, une ancienne star de cinéma reconvertie en animatrice d'émission d'aérobic le refuse tellement qu'elle accepte la proposition d'une mystérieuse société qui lui fournit un clone rajeuni. Seule condition express, les deux versions doivent alterner leurs semaines de vie, et si l'une ne respecte pas la règle, l'autre se met à décrépir. Coralie Fargeat revisite donc Le portrait de Dorian Gray pour une mise à jour à l'heure d'un retour à l'obsession pour la célébrité et son endoctrinement des corps. L'idée est d'autant plus sensée que la réalisatrice a convoqué Demi Moore et Margaret Qualley, soit une actrice mise au placard et une valeur montante, en alter egos. Fargeat a eu l'intelligence de mettre de côté la charge contre les hommes (même relativement – il y a dans cette histoire un producteur de télécompilant tous les usages des prédateurs, qui, plus est, est nommé Harvey, comme un certain...Weinstein) pour se concentrer sur son pacte faustien, virant au mégacrêpage de chignon. Il reste dommage que The Substance se maquille comme un camion volé à coup d'effets tapent-à-l’œil où qu'il s'embarque dans un gorissime final grand-guignol, certes amusant, mais digressif. Toutefois, la rogne maintenue jusqu'au bout confirme que, même en se laissant aller au potache, les réalisatrices qui s'emparent du cinéma fantastique ne sont plus là pour jouer les potiches.
On savait à l'inverse, depuis quelques films, que David Cronenberg avait mis de côté l'horreur graphique pour se concentrer sur celle plus intime. Sans pour autant renoncer à des concepts dérangeants. Les Linceuls invente une technologie permettant de rester en lien permanent avec les morts. Difficile de ne pas faire le lien entre un veuf qui refuse de faire son deuil et un réalisateur qui a lui-même perdu sa femme. Encore moins quand Vincent Cassel s'est fait la tête de Cronenberg jusqu'à la coupe de cheveux. Ce parallèle rend Les linceuls poignant, quand il est pétri de l'impossibilité d'adieux. Cette matière émotionnelle rabiboche avec un cinéaste dont les derniers opus devenaient de plus en plus stériles. Un réchauffement de maigre durée, Les linceuls se drapant dans une intrigue complotiste aussi fumeuse qu'abstraite, qui étouffe des théories passionnantes sur la subsistance des êtres face aux capacités des images virtuelles. Vincent Cassel et Diane Kruger offrent encore un peu de chair, mais les vraies larmes sont celles que l'on verse sur un Cronenberg qui embaume son inconsolable chagrin dans le suaire d'une trop grande rigidité.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
22 mai 2024
2:51
FOUDRE : coup de tonnerre dans le cinéma Suisse
Foudre porte remarquablement son titre. Le premier long métrage de Carmen Jacquier est autant traversé par des zébrures érotiques que par une humeur orageuse. Celle d'Elisabeth, une jeune femme qui doit quitter le couvent où elle était entrée pour prendre la place d'aînée dans la ferme familiale, après la mort soudaine de sa sœur.
Foudre passera du mystère entourant ce décès à une approche quasi mystique de l'émancipation d'Elisabeth, s'éveillant à ses désirs de liberté, d'esprit ou sexuels, dans une Suisse rurale du début du XXe siècle sous emprise de la religion catholique. Foudre réveille le cinéma helvète par sa puissance picturale comme par sa sensualité, transcende une quête d'identité par celle des corps, le tout dans un esprit de communion, mais pour un film préférant le sensoriel au solennel. Le monde intérieur d'une adolescente et les rugosités de celui réel s'y entrechoquent de manière tellurique, faisant d'emblée du cinéma de Jacquier un égal de ceux de Jane Campion ou de Terrence Malick. Comme eux, cette réalisatrice transforme une introspection méditative en fulgurante épiphanie.
Et pendant que Foudre s'essaie à un dialogue franc avec Dieu, Carmen Jacquier, s'est, elle, confiée au micro de Nova.
Foudre, en salles le 22 mai.
22 mai 2024
24:53
CANNES JOUR 5 : Fromage et dessert
Il faut parfois savoir être discret pour se faire remarquer à Cannes. En coulisses du vacarme omniprésent de la compétition, certains films à profil plus bas finissent toujours par trouver la lumière.
Cette année, c'est au sein de la section Un certain regard que deux d'entre eux ont ravi par leur humilité. Vingt Dieux ! et My Sunshine partagent aussi une identité de terroir. Le premier se pose dans le Jura, pour suivre la débrouille de Totone, 18 ans, qui se retrouve du jour au lendemain à devoir gérer tout seul la ferme familiale. Pour sortir de la mouise, il se lance dans la fabrication de Comté, espérant décrocher un substantiel prix du meilleur fromage. Louise Courvoisier ne fait pas cailler le lait de ce pitch improbable, l'ingrédient principal de son film restant l'initiation d'un grand gamin à la solidarité comme à l'amour. L'environnement, monde rural dans la dèche, est rugueux, le casting de comédiens non-professionnels aura été sauvage, mais Vingt Dieux ! charme par sa tendresse. Courvoisier gagne illico ses galons d'appellation contrôlée en se situant idéalement entre les cinémas de Ken Loach et de Maurice Pialat, naturaliste, mais sans sentimentalisme, âpre, mais qui soutient ses personnages pour qu'ils restent debout.
Pendant que Vingt Dieux ! s'échauffe au soleil d'un été, My Sunshine fait tomber la neige sur deux ados japonais, Takuya et Sakura, pris sous l'aile d'un coach de patinage artistique. Hiroshi Okuyama fait de jolies arabesques autour de ce trio pour explorer les grands chagrins de l'enfance comme les regrets de l'âge adulte. Les rares éclats de My Sunshine résonnent d'autant plus dans une atmosphère aussi cotonneuse que minimaliste, tout comme les fissures, qui vont s'attaquer au lien entre ces deux sportifs en herbe et leur mentor, sont invisibles à l'œil nu. Okuyamadéveloppe avec la même grâce le discours sur les stéréotypes de genre qui prend peu à peu sa place dans ce dispositif épuré. S'ouvrant sur un début d'hiver, My Sunshine se clôt sur les premiers bourgeons d'un printemps. Ce film délicat se révèle alors comme une ultime bulle protectrice pour Takuya et Sakura, glissant désormais vers les réalités, parfois cruelles, de la vie.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Photo : Vingt Dieux !, 2024
21 mai 2024
2:23
CANNES JOUR 4 : Tous au balcon !
Un des rituels du festival de Cannes est la déclaration préalable de Thierry Frémaux, son délégué général, avec une immuable parole : ce sont les films qui définissent le fond de l'édition en se faisant un écho du monde et non une ligne éditoriale prédéfinie.
À mi-parcours du cru 2024, il est évident que, pour aussi différent qu'ils soient, ils se retrouvent dans un reflet du chaos généralisé du moment. Certains, pour ne pas dire la quasi-totalité des films de la compétition présentés jusque-là, sous des formes improbables et souvent confuses. D'autres en prenant à ras le corps des interrogations contemporaines.
Emilia Perez, le nouveau Jacques Audiard, embrasse rien que par son pitch le bordel ambiant. Soit une comédie musicale sur le boss d'un cartel de narcotrafiquants mexicains qui veut changer de sexe, le tout sur des chansons signées Camille. Brillant en ce qui concerne la mise en scène autour de la question du genre, Emilia Perez l'est bien moins en ce qui concerne l'approche des cinémas de genre, surtout dans une dernière partie se pliant à la fois aux codes de la télénovela et du film d'action. Le discours féministe progressiste devient alors inaudible, envoyé dans le décor par ce virage vers un cinéma beaucoup plus banal.
Si Les femmes au balcon, seconde réalisation de l'actrice Noémie Merlant, s'engouffre lui aussi dans de multiples registres, de la franche comédie au gore en passant par le film de fantômes, il ne dévie jamais de son propos autour des violences sexistes et sexuelles. Mieux : il le revendique via une bande de copines se retrouvant avec le cadavre d'un homme sur les bras. Les femmes au balcon n'a de cesse de marcher hors des clous pour mieux les enfoncer. Merlantn'y a peur de rien, et certainement pas de s'emparer de tous les tabous autour de la représentation du féminin à l'écran, de la nudité ultra-frontale à la sexualité assumée en passant par la charge mentale ou le consentement. Merlant et ses formidables colocs, Soueilha Yacoub et Sanda Codreanu, osent avec naturel jusqu'à d'hilarantes blagues prouteuses, toutes les transgressions pour une ode à la sororité. Les femmes au Balcon annoncent avec ce film débridé qu'un vent est en train de se lever, avec avis de tempête pour le patriarcat. Que Merlant le fasse avec une humeur aussi volontariste que joyeuse et généreuse ne le rend que plus enthousiasmant. À l'inverse, il y a de quoi se dire que la cause n'est pas gagnée quand Les femmes au balcon est relégué par Thierry Frémaux en séance de minuit, là où la mèche de cette ultra-jouissive bombe comique aurait mérité d'être allumée en plein jour.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
Photo : Les femmes au balcon, 2024
20 mai 2024
2:43
CANNES JOUR 3 : Empire d'essences
George Miller et Francis Ford Coppola sont de retour sur la croisette, pour de spectaculaires recarossages de leurs cinémas.
Double programme maousse ce jeudi à Cannes. À commencer par Furiosa, à la fois spin-off et prequel de Mad Max Fury Road, se passant dans le même univers mais consacré à son personnage féminin et, plus encore, virage à 180°. Quand Fury Road réjouissait à vouloir revenir à un cinéma purement physique et incarné, dégraissé jusqu'à l'os pour se concentrer sur l'action, Furiosa se nourrit de chapitres et de variations de rythme pour transformer une gamine rebelle en gladiatrice vengeresse. George Miller assumant pleinement vouloir faire un péplum de fer et de feu, mais surtout s'écarter de la route des blockbusters contemporains sans âme. Furiosa tient moins de l'exceptionnel morceau de bravoure pyrotechnique qu'était Fury Road, mais il renoue avec la puissance d'une grammaire de cinéma à l'ancienne. Plus que l'adrénaline de courses-poursuites dantesques, c'est l'efficacité des plans et d'un montage allant à l'essentiel, ravivant avec une science originelle qui fait vrombir de jubilation. Furiosa s'achève sur un dialogue entre son héroïne et sa Némésis, formidable méchant, qui s'interroge sur ce qu'il restera d'eux et s'ils portent la capacité de devenir des mythes.
Quant à la projection de Megalopolis, le très attendu film de Francis Ford Coppola, il a de quoi entrer dans la légende cannoise, tant cela restera un moment de sidération totale. À vrai dire on ne sait pas trop ce qu'on a vu, tant Megalopolis alterne fulgurances visuelles et propos méandreux, séquences révolutionnaires et autres dont la direction artistique semble avoir été abandonnée à une IA façon Midjourney. Un film autant en roue libre qu'ultra-personnel jusqu'à être un concentré de Coppola : enjeux de pouvoir et de clans familiaux en écho du Parrain, chaos à la Apocalypse Now, héros idéaliste à la Tucker et profusion sensorielle de son Dracula, toutes les facettes sont là. Reste à comprendre de quoi parle Megalopolis, entre allégorie d'une Amérique en redite de la chute de l'empire romain, éloge du sentiment amoureux qui pourrait réenchanter un utopiste et citations de Shakespeare ou de Marc Aurèle dans le texte. Tout cela érige une tour de Babel aussi fascinante qu'agaçante, quand on ne sait plus s'il faut applaudir la noblesse d'un geste fou de cinéma autofinancé ou s'attrister de devoir assister à une autodestruction doublée d'un évident suicide commercial. Comme une flamboyante chute de l'empire Coppola en quasi-direct.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
17 mai 2024
2:26
CANNES JOUR 2 : Contrôle d'identités
Après les starting-blocks de l'ouverture, Cannes entre dans le vif du sujet, avec les lancements successifs de la compétition et des deux principales sections parallèles, La Semaine de la critique et La Quinzaine des cinéastes. Étonnamment, généralement étanches les unes aux autres, elles conversent indirectement cette année via le thème commun d'une crise d'identité.
Coté compétition, Diamant brut s'empare de celle d'une jeune femme d'aujourd'hui, happée par les promesses de célébrité des émissions de télé-réalité. L'ambition de Liane ne tient qu'aux likes qu'elle récolte sur les réseaux sociaux et à un casting pour un show façon Les Marseillais à Miami. À travers elle, Agathe Riedinger infiltre la culture bimbo, cette hyperféminité assumant crop tops et seins refaits. Diamant brut surprend en refusant la superficialité des reportages sur les néo-cagoles qui scrollent sur TikTok ou Instagram. Riedinger déplace la question sur celle des transfuges de classes à l'heure où l'échelon suprême social serait de devenir une influenceuse. Proche d'un cinéma anglais dans sa compassion pour ses personnages ou son naturalisme, Diamant Brut sait envoyer valser le misérabilisme ou la démagogie, pour se faire récit d'émancipation contemporain. Dommage que le ventre mou du scénario ralentisse un film courageux dans sa manière de tailler les facettes d'une époque de plus en plus basée sur le paraître.
À La semaine de la critique, Les fantômes ravive la tragédie du peuple syrien. La traque en France d'un tortionnaire par un réfugié passé entre ses mains dans les geôles de Bachar El Assad se fait bourreau des légendes, en dissimulant dans un récit d'espionnage l'impossible reconstruction psychologique de tout exilé. Rescapé de la répression, hanté par sa fuite forcée, le premier long métrage de Jonathan Millet doit beaucoup à Adam Bessa, acteur très impressionnant en bloc de douleur collective. Malgré tout freiné par une mise en scène restant, à l'inverse de son personnage central, en sur-contrôle, brillante de maîtrise, mais qui étouffe toute possibilité d'empathie avec lui et anesthésie ses cicatrices physiques et mentales.
Enfin, La Quinzaine des cinéastes fait le pari casse-gueule de faire naître son édition avec un avis de décès. Sophie Fillières est morte avant d'avoir pu finir de monter Ma vie, Ma gueule. La quête d'équilibre d'une quinquagénaire dépressive prend forcément des airs d'évocation de la réalisatrice. Un film attachant quand elle amène son quasi-double fictionnel vers une reconquête de soi, bouleversant dans une dernière partie où cette mère décide littéralement de rester à quai, de laisser ses enfants partir faire leurs vies loin d'elle. Transcendé par une Agnès Jaoui parfaite en femme en vrac ramassant peu à peu ses morceaux, cet involontaire opus posthume est d'une belle tristesse, car éloge funèbre le plus vivant qui soit.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
16 mai 2024
2:53
CANNES JOUR 1 : Dont acte
Émouvante, la cérémonie d'ouverture du festival de Cannes hier soir. Au minimum par la gorge serrée de Greta Gerwig, présidente du jury, visiblement toute chose d'être à cette place, mais aussi par les larmes partagées entre Juliette Binoche et Meryl Streep récipiendaire d'une palme d'or d'honneur.
Une entrée en matière touchante et joyeuse, y compris dans l'introduction de Camille Cottin, pince-sans-rire juste ce qu'il fallait, truffée d'allusions aux divers sujets qui s'entrechoquent cette année avec le festival. Un moment chaleureux n'ayant pas empêché le côté deux salles, deux ambiances, alors qu’aux alentours du Palais les divers services de sécurité semblaient un peu plus sur les dents à l'idée que cette inauguration soit perturbée par la moindre intervention d'un collectif, qu'il soit féministe ou de travailleurs précaires. Si, à l'intérieur, Zaho de Sagazan se lançait dans une impeccable reprise du Modern Love de Bowie, l'ambiance n'était pas vraiment à l'amour et la tendresse à l'extérieur...
Plus de perplexité pour autant devant Le deuxième acte, le film de Quentin Dupieux, une antithèse de la déclaration d'intention chaleureuse de cette cérémonie. Dans la prolongation de Yannick, qui interrogeait littéralement le principe de la société du spectacle en interrompant une pièce de théâtre, Le deuxième acte poursuit cette thèse, égratignant cette fois-ci le milieu du cinéma, quand quatre acteurs se mettent à commenter le film qu'ils sont en train de tourner. Comme souvent, Dupieux organise un jeu de poupées gigognes entre premier et deuxième voire troisième degrés, mais à force d'accumuler les couches de discours méta, Le deuxième acte vire à la tartine indigeste de situations répétitives en flou, fut-il artistique, dans le propos. Excepté un passage furtif sur l'emprise possible des intelligences artificielles sur la création culturelle, le rire se fait rapidement sarcasme gausseur. L'autocaricature de Vincent Lindon, Léa Seydoux, Louis Garrel et Raphaël Quenard se mue en galerie de personnages ultra – suffisants entérinant les clichés sur leur monde au lieu de s'en moquer. La figure tragique d'un figurant, ou une ultime digression sur le statut de fiction ou de réalité achèvent de rendre le film confus. Et quand Dupieux fait savoir qu'il ne fera pas de promotion de ce Deuxième acte, estimant que le film parlait de lui-même, il y a de quoi se demander si tout ceci ne tient pas d'un cynisme vain.
Pendant le Festival de Cannes, retrouvez tous les jours la chronique Pop Corn d’Alex Masson, notre envoyé à la croisette, à 7h37 dans « T’as vu l’heure ? », la matinale de Radio Nova.
15 mai 2024
2:47
77e FESTIVAL DE CANNES : MÉTÉO ORAGEUSE EN VUE
À Cannes, pour le moment, il fait beau, avec un ciel sans nuages, mais ça ne va peut-être pas durer. Alors que la météo annonce l'arrivée de la pluie d'ici à deux-trois jours, ce sont d'autres orages qui menacent cette édition.
À vrai dire, on ne sait même pas d'où ils vont tomber : d'une possible grève initiée par le collectif Sous les écrans la dèche, qui rassemble toutes les petites mains du festival, en état de précarité de plus en plus prégnante, aux éventuels articles #MeToo autour d'une prétendue liste de prédateurs et de la venue annoncée du controversé directeur du CNC, bientôt en procès pour agression sexuelle.
Cela pourrait tout aussi bien être un écho de la guerre à Gaza, ou même tout ça à la fois.
Lors de la conférence de presse annonçant les agapes, son délégué général Thierry Frémaux affirmait que cette 77ᵉ édition du festival serait « pacifique, pacifiée et qu'on n'y parlerait que de cinéma », mais avant même son ouverture ce soir, cette déclaration est clairement devenue un vœu pieux.
Quoi qu'il en soit, ce soir, le rideau se lèvera sur une édition qui, malgré elle, sera placée sous le signe d'un changement d'époque en cours. Il y a deux ans, la toute dernière scène d'un film de Quentin Dupieux, Fumer fait tousser, présenté ici, montrait un robot en plein bug quand il essayait justement de rebooter son époque. Ce soir, Le 2eme acte, nouvel opus de Dupieux sera projeté en ouverture. Comme souvent avec ce réalisateur, on ne sait pas grand-chose de son contenu, si ce n'est qu'il commenterait, autour d'un dîner entre quatre acteurs, et de manière très frontale, comment le monde du cinéma français gère la situation de crise actuelle, de la cancel culture à la révolution #MeToo. Seules certitudes, cela ne lui prendra qu'1 h 25, tandis que le festival est bien parti cette année pour passer beaucoup plus de temps à être l'épicentre de tous les débats sociaux du moment.
Retrouvez Alex Masson au Festival de Cannes tous les matins à 7h37 dans la matinale "T'as vu l'heure ?" sur Nova.
14 mai 2024
2:03
UNE AFFAIRE DE PRINCIPE x THE FALL GUY : EN COULISSES
Thriller juridique à la française ou reboot d’une série télé U.S, tout est une affaire de métier.
Plus les élections européennes approchent, plus on voit remonter à la surface des problématiques d'ingérences et autres implications des différents lobbies au sein du Parlement. Une affaire de principe organise une visite guidée sur ce dernier point en réouvrant le dossier John Dalli, du nom d'un commissaire européen à la santé qui avait été démissionné de l'institution en 2012, suite au soupçon de magouilles avec l'industrie du tabac. Un certain José Bové, alors député européen s'était lancé dans une véritable enquête pour voir de quoi il en retournait vraiment. Antoine Raimbault s'en empare avec Une affaire de principe, pas tant pour relancer l'affaire que pour un double décryptage, du fonctionnement du parlement et des mécanismes de corruption. Soit un registre de thriller politique grand public à la française qui semblait mis au placard depuis les années 80 avec la retraite anticipée d'un Yves Boisset ou d'un Henri Verneuil, derniers grands représentants du genre. Raimbault en réactive l'efficacité avec un supplément de rogne civique faisant friser jusqu'à la moustache d'un Bouli Lanners, impeccable en Sherlock Bové. La ligne du film l'est peut-être un peu moins, quand elle s'écarte de son dossier pour aller vers une sanctification d'un député justicier drapé dans ses convictions citoyennes ou d'archétypales intrigues secondaires digressives du factuel de cette histoire. Pas de quoi tendre pour autant vers un conflit d'interêts, Une affaire de principe, film aussi divertissant que pédago, donnant plutôt envie d'autres exemples d'un cinéma mi-Cash Investigations, mi-Wikipedia, certes dogmatique, mais plus que jamais utile pour éclairer les zones d'ombres de plus en plus opaques de nos institutions.
The fall guy revient lui aussi sur un vieux dossier en ressuscitant une madeleine de Proust de la télé américaine des années 80 : L'homme qui tombe à pic. Il n'est pas impossible que cette série sur un cascadeur, détective privé à ses heures aie nourri la vocation de David Leitch, réalisateur lui-même longtemps coordinateur des cascades de nombreux films d'action hollywoodiens des Matrix aux Jason Bourne. Sa version cinéma de la série n'a plus grand-chose à voir avec le matériau d'origine, si ce n'est la mollesse avec laquelle The fall guy essaie d'intégrer une intrigue policière inepte. Leitch rédige bien mieux une très généreuse ode au dévouement des cascadeurs, montrant autant les coulisses que le résultat de scènes aussi efficaces que spectaculaires. La véritable cascade de The fall guy à ne surtout pas reproduire étant ce scénario maniant très mal le dérapage contrôlé entre blockbuster pyrotechnique, comédie romantique et second degré. Le charme d'un Ryan Gosling déconstruisant, après Ken, la figure virile des Action Man n'étant pas suffisant pour empêcher de passer de Barbie à un divertissement amusant mais à la longue barbant.
Une affaire de principe / The fall guy. En salles le 1ᵉʳ mai
01 mai 2024
2:58
NOTRE MONDE : en toute indépendance
Entre le Kosovo d’hier et l’Europe d’aujourd’hui, Luana Bajrami sonde les espoirs de la jeunesse. Rencontre.
On avait repéré Luana Bajrami comme pousse montante du cinéma, via des seconds rôles marquants chez Céline Sciamma, Bruno Podalydès ou les Nakache/Toledano. Il y a trois ans, l'actrice était passée derrière la caméra avec Là où rugissent les lionnes, chronique d'adolescence kosovare inattendue de maturité au vu d'une réalisatrice qui entrait à peine dans la vingtaine. Avec Notre monde, son second film, Bajrami retourne dans le pays de ses origines familiales, pour en remonter le temps et se replonger en 2007 quand le Kosovo était sur le point d'accéder à l'indépendance. Logique alors, qu'elle y raconte celle qu'essaient de prendre Zoé et Volta, deux jeunes femmes fuyant l'ennui d'un village rural pour aller faire des études à Pristina. Plus que dans la plupart des cas, Notre Monde s'affirme comme une œuvre de jeunesse. Pas tant à cause d'un âge que partagent à la fois Bajrami et ses personnage que par le très juste portrait générationnel qu'esquisse Notre monde, film qui va au delà du Kosovo quand il raconte à la fois l'hier d'un pays de l'est négligé vu d'ici, que l'aujourd'hui d'une jeunesse entravée, où qu'elle soit, par les pratiques et le conservatisme de l'ancien monde, écrasant la possibilité de prendre son envol. Beau film maniant autant l'initiatique que le politique quand il met en parallèle construction de deux jeunes femmes et reconstruction d'un état, Notre monde sait faire se rejoindre l'individuel et le collectif, pour un état des lieux plus global que prévu quand il interroge les yeux dans les yeux autant un passé qu'un présent toujours aussi incertain.
Notre monde en salles le 24 avril
24 avril 2024
24:37
Back to black x Notre monde : toute une histoire
On pensait connaître la chanson des biopics d'artistes musicaux, celui consacré à Amy Winehouse est bienvenu quand il s'essaie à un regard en travers...
À sa manière, Luana Bajrami prend aussi les choses sous un angle singulier : immersion dans le Kosovo de 2007, sur le point d'accéder à l'indépendance. "Notre monde" passe par le regard de deux jeunes femmes essayant de lutter contre un manque de perspective en fuyant leur village pour aller étudier à Pristina.
"Back to Black" et "Notre monde" en salles le 24 avril
24 avril 2024
3:02
Monkey Man x Riddle of fire : épris de vengeance ou insolents, les enfants sont formidables
La mondialisation n'a pas que du mauvais. Elle aura au moins permis une perméabilité des cultures. Surtout dans le cinéma de genre d'aujourd'hui où il n'y a plus vraiment de frontières, pour une sorte de revigorant melting-pot. Dev Patel en a été le témoin il y a longtemps, quand Slumdog millionnaire a fait de cet acteur anglais d'origine indienne un symbole international et transversal. Pour son passage à la mise en scène, il a inventé une ville imaginaire dans une Inde contemporaine pour une histoire de vengeance, mais surtout une hybridation du cinéma d'action, Monkey Man assimile autant le jusqu'au boutisme des thrillers sud-coréens que la précision des cascadeurs indonésiens, le savoir-faire visuel des blockbusters américains, ou la part de fable de ceux indiens. En surface, l'inextinguible soif de revanche d'un fils dont la mère a été tuée par un policier ripou n'en ferait qu'un John Wick délocalisé, mais Patel y ajoute un ingrédient inattendu : un sous-texte abordant autant le nationalisme qui gangrène actuellement l'Inde que le système de castes qui y perdure. Cet aspect là est certes bien moins maitrisé que les ahurissantes séquences de combat, n'a pas la force d'un réel commentaire politique, mais empêche Monkey Man de n'être qu'un spectacle gargantuesque de violence graphique, quand sa fureur est mûe par une colère furibarde contre une sphère politique gouroutée par des mentors usurpateurs, ou quand Patel s'autorise à casser ici et là certains codes du film de baston. Tout ca reste encore à dégrossir, mais la rogne de Monkey Man en fait un passionnant galop d'essai dépassant un certain exotisme ou sa part de défouloir.
À sa manière, Weston Razooli rend lui aussi exotique le registre purement américain qu'est le film d'aventures pour enfants. Bricolé avec trois dollars six cents, son Riddle of fire et sa bande de marmots en quête d'une recette parfaite de tarte aux myrtilles pour avoir accès au code parental de leur console de jeu, s'aventure dans une Amérique de fiction oubliée, à mi-chemin entre Twin Peaks et les productions Disney des années 60. Razooli renouant à la fois avec l'innocence enfantine et la mythologie bucolique d'un Tom Sawyer, dont ce film inattendu partage l'esprit libre, Mais plus encore avec l'idée d'une foi organique dans un cinéma où tout est terrain de jeu et d'imaginaire. Soit une alternative au cinéma de divertissement américain actuel de plus en désincarné par les effets numériques. Mieux que de passer par le regard de gamins pour réinventer le monde, Riddle of fire invite surtout les adultes à se remettre à leur hauteur pour retrouver sa part chevaleresque comme sa potentielle magie. Weston Razooli s'est lui invité au micro de Nova pour une interview à retrouver ici.
Monkey man / Riddle of fire. En salles le 17 avril
17 avril 2024
2:55
Riddle Of Fire : Retour en enfance. L'interview de Weston Razooli
Où se trouve l'aventure dans le cinéma américain actuel ? Sans doute du côté de Weston Razooli, réalisateur autodidacte s'étant lancé dans un drôle de pari avec Riddle of fire. Bricolé avec trois dollars six cents, ce premier film envoie une bande de marmots en quête de la recette parfaite de tarte aux myrtilles pour pouvoir accéder au code parental de leur console de jeu. L'occasion de revisiter une Amérique de fiction oubliée, à mi-chemin entre Twin Peaks et les productions Disney des années 60. Razooli renouant à la fois avec l'innocence enfantine et une mythologie à la Tom Sawyer, Mais surtout avec l'idée d'une foi organique dans un cinéma où tout est terrain de jeu et d'imaginaire et proposer une alternative au cinéma de divertissement américain actuel de plus en désincarné par les effets numériques. Mieux que de passer par le regard de gamins pour réinventer le monde, Riddle of fire invite surtout les adultes à se remettre à leur hauteur pour retrouver sa part chevaleresque comme sa potentielle magie. Weston Razooli, lui s'est invité au micro de Nova.
En salles le 17 avril.
16 avril 2024
10:06
S.O.S Fantômes : La menace de glace x Hitcher : so 80’s
Les deux derniers énormes triomphes du cinéma de studio américain, Barbie et Oppenheimer, laissaient espérer un renouveau que ce soit dans le ton où les sujets. C'était peut-être aller trop vite quand en 2024, Hollywood prolonge sa marche arrière en recyclant ses succès des années 80. Sont annoncées dans les mois qui viennent des resucées entre autres d'Alien, Karaté Kid, Y'a-t-il un flic pour sauver la reine ?ou Le flic de Beverly Hills.. Ce n'est pas pour autant signe d'une régression façon doudou. En atteste un nouvel avatar de S.O.S Fantômes, confortant ce qui se dessinait dans une précédente tentative voici trois ans. La menace de glace joue encore plus la carte du passage de relais à une nouvelle génération de chasseurs de spectres, sans pour autant évacuer la mauvaise idée de vouloir faire du neuf avec du vieux. Paradoxalement, en reprenant et amplifiant le concept du tout premier film, à savoir déguiser une comédie familiale en film d'aventure, ce S.O.S Fantômes dégraissé de séquences surnaturelles jusqu'à se foutre royalement de gérer une intrigue de menace venue de l'outre-monde paraît presque rafraichissant dans une ère de blockbusters aux faméliques scénarios, ne jurant plus que par une surenchère dans l'action. La menace de glace préfère affiner l'écriture de personnages moins ectoplasmiques, peu à peu attachants. Reste la part de parasitage d'un gênant fan service extirpant le casting originel, de Dan Aykroyd à Bill Murray, de la naphtaline, mais rapidement cireux quand un aspect Musée Grévin tire malgré tout cet énième volet plus inattendu que prévu vers une glaciation que vers une émancipation.
Cette semaine cinéma est décidément sous le sceau des années 80, avec la réapparition d'un des meilleurs films de psycho-killers de la période. En 1986, Hitcher avait justement ressourcé ce genre, alors basculé dans le cinéma d'horreur avec les déjà increvables Freddy Krueger et Jason des Vendredi 13. La traque entre un jeune convoyeur de voiture et un autostoppeur machiavélique dans le no man's land des highways rétablissait la figure inquiétante du croque-mitaine, en mettant sur le siège passager de l'Amérique un pur prédateur. Ravivant l'efficacité comme la sécheresse des premiers John Carpenter ou du Duel de Spielberg, le film de Robert Harmon y ajoutait une dose anxiogène par un supplément de nihilisme. Soutenu par la performance hallucinante de Rutger Hauer en psychopathe ultime, Hitcher se faisait perturbante étude du mal incarné. Soumis lui aussi à la loi du recyclage, Hitcher connaîtra en 2007 un piètre remake, confirmant la position d'astre noir du film de départ. Mais aussi qu'il faut finalement toujours préférer l'original à la copie.
S.O.S Fantômes : la menace de glace & Hitcher. En salles le 10 avril
10 avril 2024
3:01
DRIVE-AWAY DOLLS x LE SQUELETTE DE MADAME MORALES : crises de couple
Pendant qu’un frère Coen fait son coming-out queer, une perle mexicaine des années 60 fait un mariage de déraison.
Les frères Coen ont tellement portraituré l'Amérique profonde au gré de leurs films, qu'on aurait pu y voir une forme de fétichisme. Maintenant qu'ils sont séparés et font des films chacun de leur côté, l'affaire paraît plus compliquée. En apparence, Drive-away dolls joue leurs cartes usuelles : intrigue de polar déglingué, galeries de personnages excentriques et course-poursuite virant roadtrip entre la Pennsylvanie et la Floride. Le premier film d'Ethan Coen en solo va pourtant sur un terrain que la fratrie avait jusque-là toujours laissé à l'écart : le sexe.
Et autant dire que Drive-away dolls se met au goût du jour avec un couple de lesbiennes émoustillées, quasi sorti d'une version hardcore et prolo de Sex & the city. L'intrigue policière autour du mystérieux contenu d'une valise n'est qu'un prétexte pour virer une cutie vers l'univers queer. Si Jamie et Marian se retrouvent rapidement avec des hommes de main au cul, Drive-Away dolls marque surtout à la culotte les codes des séries B masculinistes, pour les rallier à ceux d'une rom-com délurée, appelant une chatte une chatte. Pour autant, à l'exception de Margaret Qualley et Géraldine Wiswanthan, parfaites en remix goudou d'un duo de buddy movie, cette cavalcade se fait peine-à-jouir par sa réalisation de cartoon en carton ou ses interludes psychédéliques bariolés métamorphosant la modernité du fond en coup de provoc périmé.
On pourra trouver Le Squelette de Madame Morales plus incisif, plus transgressif. Cette autre histoire de cornecul, autour d'un médecin mexicain taxidermiste à ses heures et de sa femme aussi bigote qu'infirme, a pourtant été tournée en 1960. Luis Alcoriza, un scénariste récurrent de Luis Bunuel y malaxe une nouvelle de folk-horror mexicaine l'amenant vers une féroce chronique de faits divers. L'arme la plus tranchante de cette tentative de meurtre parfait est un humour noir, tailladant autant la religion catholique que le machisme ou le confort conjugal. Faisant traverser le Rio grande au mauvais esprit des comédies cinglantes italiennes ou anglaises de l'époque, Le squelette de Madame Morales frictionne un jouisseur égoïste et une grenouille de bénitier odieuse pour dédiaboliser gaillardement une hantise de la sexualité, égratigner joyeusement les hypocrisies sociales de la petite bourgeoisie mexicaine dans une satire vivifiante qui plus de soixante ans plus tard n'a décidément rien d'empaillé.
Drive-Away dolls & Le squelette de Madame Morales. En salles le 3 avril
03 avril 2024
2:40
LE JEU DE LA REINE x O CORNO : histoire(s) de femmes
Sous Henry VIII ou sous Franco, la condition féminine était déjà sine qua non.
Allez savoir ce qui se serait passé si #MeToo avait eu lieu dans l'Angleterre du XVIe siècle. Peut-être qu'Henri VII n'aurait pas collectionné les épouses, ni envoyé deux d'entre elles à l'échafaud. Karim Aïnouz revient sur cette page d'histoire pour la réécrire selon le point de vue de sa sixième épouse Catherine Parr. Le jeu de la reine la voit en femme progressiste qui se heurte autant à son époux qu'à une cour prête à comploter contre elle pour hérésie. Le thriller paranoïaque en costume ne cache pas son ambition d'une lecture ultra-déconstruite. Pourquoi pas, si ce principe ne se faisait pas au nez de cette évocation du Barbe-bleue anglais, résumé à un psychopathe, pourrissant littéralement de l'intérieur, une gangrène lui attaquant les jambes. Le trait très épais du propos coupe l'herbe sous le pied d'une tentative – pourtant séduisante sur le papier – de chronique de palais patriarcal reliftée féministe. L'écrin nacré par une splendide photo qui ressuscite les clairs-obscurs des grands peintres flamands n'enrobe dès lors qu'un duel, lui royal au bar, entre Alicia Vikander, en pré-suffragette et Jude Law, qui s'en donne à cœur joie en monarque dégénéré.
O corno accouche bien mieux de son discours. Littéralement dans une séquence d'ouverture où une femme donne douloureusement naissance à un bébé. Dix minutes intenses annonçant le programme du film de Jaione Camborda, exploration de la condition féminine dans l'Espagne des dernières années du franquisme. Le parcours d'une avorteuse de village devant fuir après la mort accidentelle d'une fille qui ne voulait pas être mère est celui d'une femme qui apprend à se redresser après avoir du tant courber le dos. Aux douleurs de la chair, Camborda superpose la sensorialité d'une terre malgré tout nourricière et la part consolante d'une sororité, fut-elle clandestine. Pour sa sortie française, O corno voit son titre original complété de la mention « une histoire de femmes ». Camborda en fait aussi celle de leurs corps, via l'épopée aussi physique que spirituelle d'une héroïne, prise entre les coups de cintre de la loi et celui qu'elle a utilisé pour s'avorter. Cette scène-là est ici sous-entendue ; pas le prix qu'avaient à payer les femmes pour disposer de leurs corps dans l'Espagne des années 70. O corno, se faisant utile piqûre de rappel universel dans une période où les droits à l'IVG sont menacés dans nombre de pays.
Le jeu de la reine & O corno. En salles le 27 mars
27 mars 2024
2:47
HORS SAISON/ SMOKE SAUNA SISTERHOOD : en thalasso ou au sauna, on se décrasse
Cette semaine au cinéma, 2 salles, 2 ambiances : en tête d'affiche, Hors Saison, le nouveau film de Stéphane Brizé qui fait un ménage de printemps : terminé le cycle sur le monde du travail avec Vincent Lindon en chevalier pourfendant les injustices sociales. C'est toujours la crise, mais cette fois-ci de manière plus introspective autour d'un vrai-faux autoportrait de Guillaume Canet dans le rôle d'un acteur parti en thalasso bretonne pour faire le point sur sa vie. C'est celle d'avant, via les retrouvailles avec son grand amour abandonné qui va remonter à la surface. On pourrait presque rebaptiser ça Un homme et une flamme. En tous les cas, ça rappelle énormément le Claude Lelouch des grandes heures, y compris dans ses chabadabadas et digressions inattendues. On peut trouver cet esprit de comédie romantique sentimentale suranné, mais le couple Canet/Alba Rohrwacher, tout en atermoiements, fait plus que le job. Brizé a fait appel à Vincent Delerm pour la musique de son film. C'est un choix cohérent : Hors Saison y ressemble dans son humeur lymphatique, mais à la mélancolie attachante.
Pendant que Guillaume Canet est donc en thalasso à Quiberon, en Estonie, la communauté Voro entretien la tradition du sauna pour les femmes. Celles de Smoke Sauna Sisterhood en font un espace protégé, lieu où elles peuvent tout se dire, tout exprimer. La parole est encore plus à nu que les corps dans ce surprenant documentaire qui dissipe tout écran de fumée. Ici, des femmes de tous âges, de tous physiques se livrent comme dans un confessionnal bienveillant, où elles peuvent autant se marrer joyeusement en parlant de dick pics que se délivrer du traumatisme d'un viol ou du diagnostic d'un cancer. Anna Hints enveloppe ce choeur féminin souvent brut de décoffrage dans une douceur sensorielle et une abstraction sensuelle, achevant de faire de Smoke Sauna sisterhood une bulle de chaleur humaine qui agit comme un gommage, nettoyant ces femmes de la culpabilité du silence. Ce sauna a été reconnu par l'UNESCO comme un inaliénable lieu d'héritage culturel. Un label que mériterait ce documentaire décrassant autant les yeux que les esprits.
Hors Saison et Smoke Sauna Sisterhood, en salles le 20 mars
20 mars 2024
2:34
TIGER STRIPES : quand les adolescentes sortent les griffes
Comment vivent les jeunes filles d'aujourd'hui ? Sans doute comme toujours quand la préadolescence reste ce moment de transformation où tout change. Avec Tiger Stripes, Amanda Neill Eu le prend au pied de la lettre quand une collégienne malaisienne mue en créature suite à l'apparition de ses premières règles. Provocant ce premier long-métrage ? Plutôt porté par une belle insolence qui lui fait faire un réjouissant doigt d'honneur aux conventions, que ce soit pour bousculer le cinéma de genre ou pour rappeler que les jeunes filles en fleur ont de belles épines. Amanda Neill Eu confirme leur piquant au micro de Nova.
En salles le 13 mars.
13 mars 2024
9:26
L’Homme qui fixait des vertiges : Busby Berkeley, corps et âme
Dans les années 30, Broadway et Hollywood se tiraient la bourre pour proposer les comédies musicales les plus endiablées. Un homme fit basculer la donne du côté du cinéma : Busby Berkeley. Les numéros créés par ce chorégraphe ont transformé à jamais le registre, Ses ballets, créations mathématiques combinant prouesses techniques les plus folles et abstractions poétiques ayant durablement imprégné les arts visuels. Des Frères Coën dans The big Lebowski au clip d'"Around the world" par Michel Gondry ou ceux de Beyoncé, de l'ouverture d'Indiana Jones et le temple maudit aux pubs Evian, son empreinte est restée partout, mais que savait-on de lui ?
Si Berkeley filmait ses numéros selon un point de vue zénithal, Pierre-Julien Marest et Séverine Danflous posent, avec L'homme qui fixait les vertiges, un regard en symétrie pour synchroniser les parcours, tout aussi démesurés, d'un créateur et d'une industrie. Divisé en deux parties, ce livre reprend à son compte un art de la géométrie cosmique : aux tableaux mouvants, assemblages de corps composés par Berkley à l'écran, se superpose sur les pages l'enchevêtrement des complexités d'un homme et d'un âge d'or hollywoodien.
Le récit de L'homme qui fixait les vertiges se faisant lui aussi kaléïdoscopique par ses extensions – de minibiographies de danseuses en chroniques des enjeux de pouvoir, chassés-croisés avec la censure, rapport érotomane à la féminité où connexion avec les années Pop'art à venir. Soit près de 500 pages prodigieusement acrobates, balancier entre apesanteur de la folie et rigueur rythmique de métronome ; L'homme qui fixait les vertiges reprenant les enseignements de la caméra de Berkeley qui se faufilait partout pour mieux être en quête de hauteur, se poser en surplomb pour mieux reformuler le monde.
L'homme qui fixait les vertiges (Editions Marest)
05 mars 2024
2:00
DEBÂCLE : Le poids assourdissant du silence
En Belgique, Veerle Baetens est une des actrices les plus connues du moment (en France, on se souvient d’elle dans Alabama Monroe). Avec Débâcle, son premier film de réalisatrice, elle s'attaque à quelque chose qui tient de l'invisible : la douleur d'un grave traumatisme d'enfance qui va construire l'identité d'une femme, jusqu'à littéralement l'étouffer une fois adulte. Puisqu'elle ne sait pas l'exprimer oralement, Eva va échafauder un plan radical pour en finir avec le poids de ce passé. Plus qu'une adaptation d'un best seller belge, Debâcle affine le phénomène #MeToo : ici ce n'est pas tant la libération de la parole qui compte que la mèche lente d'un insupportable silence que Veerle Baetens allume avec un film aussi fort que stupéfiant, hardi quand il sait sortir des discours convenus sur la capacité à la résilience comme sur celle du désir de vengeance.
En salles le 28 février
Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur notre antenne et tout le temps, sur Nova‧fr et toutes les plateformes de podcasts.
27 février 2024
17:55
BYE BYE TIBERIADE : Histoires de famille, famille de l’Histoire.
Il y a trois ans, Lina Soualem, racontait l'impact du déracinement de ses grands-parents paternels, octogénaires qui se séparaient après soixante ans de vie commune dans Leur Algérie. Son nouveau documentaire, Bye Bye Tibériade fonctionne par effet autant inverse que miroir, en suivant le retour de sa mère, dans une Palestine natale qu'elle avait fui pour devenir actrice en France. Cette remontée des branches féminines de l'arbre généalogique est forcément une histoire de racines, celle de générations successives de femmes mais aussi celle de cette si singulière partie du monde. Le prisme de l'intime et de ses traumatismes qui émanent des archives familiales ricoche sur celui d'une Palestine aussi complexe que ce chemin vers une reconquête d'identité. Les deux s'entrelaçant au travers du récit d'une femme qui a décidé, il y a longtemps, de quitter sa terre pour échapper à un destin tracé par avance, superposé à celui d'un pays dont le sort reste plus que jamais entre les mains de ses colonisateurs. Les questionnements incessants d'une fille portant en elle un déracinement par procuration, dont elle est désireuse de s'en émanciper en visitant le passé dissimulé de sa mère, se font pour autant avec tendresse. Voire émotion quand elle se veut consolante des douleurs d'un ADN familial ou s'est implantée la géo-politique et ses tragédies. Bye bye Tibériade n'en est pas moins douloureux par les souvenirs et les regrets que ce dialogue fait remonter à la surface, mais c'est bien sa volonté d'apaiser autant que possible, des béances incurables que ce documentaire qui sait être autant journal de bord à la première personne que collectif, qui le rend particulièrement poignant.
En salles le 21 février
20 février 2024
1:56
L’ENFER DES ARMES : Le cinéma hong-kongais des années 80 reste brûlant
Au début des années 80, le cinéma Hong kongais était l'un des plus stimulants. La colonie britannique hébergeait alors une génération de jeunes réalisateurs qui allait renouveler la production locale pour autant de films urbains déchainés, redonnant la fièvre aux polars. À l'époque, Tsui Hark a déjà deux films au compteur, mais L'enfer des armes va tout changer.
Sa matière (un attentat à l'explosif qui avait traumatisé puis effrayé l'opinion publique quand elle avait découvert que ses auteurs étaient des adolescents) est brûlante ; Hark la rend explosive en en faisant le portrait d'une jeunesse nihiliste face à une société ultraconservatrice. En délivrance de la frustration de ses personnages, L'enfer des armes développe une mise en scène éruptive, qui cogne encore plus frénétiquement qu'eux, confortant les principes d'un brûlot anarchiste que la censure d'alors réprimera par des coupes sévères. Quarante ans plus tard, le film, réapparaît dans son montage initial, quand le cinéma hongkongais n'est plus que cendres du volcan créatif qu'il fut, désormais sous la coupe d'une Chine lui imposant d'être sage, de n'allumer que la mèche politique du parti. La virulence de L'enfer des armes, film dont de nombreuses scènes figurent des barreaux ou des barbelés, n'en est que plus suffocante, ressuscitant une véhémente œuvre de jeunesse en puissant manifeste, qui résonne à la fois comme souvenir d'un cinéma aussi épidermique qu'insoumis et enragé coup de gueule. Amplifié par le joug d'un pouvoir plus que jamais répressif, ce requiem de la jeunesse entravée d'alors, sidère par ses airs d'Histoire du chaos et de la violence d'aujourd'hui, toujours plus embrasée par la colère.
En salles depuis le 7 février, prochainement en Blu-ray chez Spectrum films.
14 février 2024
2:00
GREEN BORDER : les zones grises de l’Europe
Faut-il franchir certaines frontières pour alerter sur l’horreur des crises migratoires ? Définitivement oui.
Il y a quasiment deux ans, la guerre en Ukraine éclatait. Les images de destructions sont restées dans les mémoires, pas celles d'une population fuyant son pays. Le principe d'une instrumentalisation de ces migrants par les pouvoirs politiques encore moins. Green border ne se déroule pas si loin : à la frontière entre le Belarus et la Pologne. Là-bas, une famille de migrants syriens tentant de passer en Suède s'y retrouve ballottée, les gardes-frontière de chaque pays se les renvoyant tour à tour.
Agniezska Holland multiplie les points de vue ( via cette famille, un jeune garde-frontière, des activistes) pour raconter l'horreur humanitaire. Green Border se pare de noir & blanc pour s'immerger dans cette zone grise, façonnée par des lois aussi ubuesques que xénophobes.
Holland la transforme en terrible examen de conscience, révélateur de la tragédie d'une impuissance citoyenne jusqu'à incarner littéralement le marécage répressif dans lequel l'Europe embourbe les migrants, parfois jusqu'à les en faire mourir.
Certains trouveront la méthode discutable. En Pologne, quand Green border est sorti à l'automne dernier, des membres du gouvernement alors en place l'ont d'ailleurs traité de pur cinéma de propagande. Holland en utilise effectivement certains traits dans sa dénonciation particulièrement appuyée. Mais c'est de bonne guerre, fut-elle trouble à jouer sur la corde du tragique et de l'insoutenable. Comment faire autrement pour pousser un retentissant cri d'indignation devant les choix politiques d'une désunion européenne ?
Résistant à la fureur des dirigeants du pays, le public polonais a fait un triomphe en salles au film, avant de chasser du pouvoir un parti de droit ultraconservateur, démonstration que tout n'est peut-être pas tout à fait perdu. Au-delà d'une puissance émotionnelle comme de réalisation, ce n'est qu'une raison supplémentaire de pousser à aller voir Green border, ici, dans une France qui s'apprête à vivre sous une loi immigration balafrant profondément sa devise, Liberté, Égalité, Fraternité.
En salles le 7 février.
06 février 2024
2:29
Moullet Jeunesse : le cinéma de Luc Moullet à encore de la cuisse
Vous l'avez entendu ce matin dans la matinale de Radio Nova, Luc Moullet est un cas particulier. Le moins connu des réalisateurs de la Nouvelle Vague est pourtant l'un de ses cinéastes les plus prolifiques, pour des dizaines de courts et longs métrages, moissonnant les genres les plus variés, du western au documentaire animalier, pour un regard sur le monde aussi amusé que sociologique. Un univers foisonnant, à mi-chemin entre loufoque et contestataire, lucidité et absurdité, rassemblée dans une rétrospective, bien nommée Moullet Jeunesse, puisqu'à 87 ans, ce réalisateur n'a rien perdu de son sens de l'observation, ni de sa cinéphilie. D'ailleurs, s'il est un homme de cinéma, c'est sans doute autant par son travail, qu'au sens littéral, quand les films ont participé à sa construction.
La voici, la voilà, l'interview en version longue !
05 février 2024
19:32
Le bonheur est pour demain : l’amour emprisonné.
Avec Le bonheur est pour demain, Brigitte Sy creuse son sillon. Comme ses deux films précédents, Les mains libres et L'astragale, celui-ci est lié à l'univers carcéral, que Sy connaît bien pour y avoir longtemps travaillé. Mais surtout, la relation contrariée entre une jeune femme et un braqueur, bifurque par sa part de romantisme, vers une flamboyante histoire d'amour emprisonnée par les aléas de la vie. Et si en fait, c'était le véritable sujet du film, comme de sa réalisatrice ?
31 janvier 2024
19:19
"Queendom", portrait fascinant d'une performeuse drag intrépide en Russie
Jenna Marvin est à l'affiche du documentaire "Queendom", dont on vous a parlé dans la matinale de Nova il y a quelques semaines. Cette artiste Russe incarne la radicalité du mot Queer, dans des performances esthétiques mais aussi profondément politiques où elle est costumée en créatures à l’esthétique sombre, étrange et magnifique. Jenna performe en drag dans les lieux publics en Russie, un pays qui, bien qu'il ait d'abord dépénalisé l'homosexualité, mène une croisade contre toute forme d'opposition au pouvoir, d'autant plus depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, et contre la communauté LGBTQIA+. "La communauté a été qualifiée d'extrémiste et aujourd'hui, vous pouvez aller en prison pour avoir porté un badge avec le drapeau arc-en-ciel" résume la réalisatrice.
La réalisatrice Agniia Galdanova façonne un portrait fascinant du courage et de l'audace de Gena, avec des scènes en tableaux de performances magnifiques, mais aussi sa vulnérabilité émotionnelle et physique alors qu'elle se bat pour sa liberté artistique. Un regard poignant et puissant sur la société russe contemporaine.
La bande-annonce du film est ici.
Le film n’a pour l’instant pas de sortie prévue en France, mais il est diffusé en exclusivité ce dimanche 28 janvier à 18h au Forum des images, en VO sous-titré, pour le festival “Un état du monde”. C'est la cinéaste Laura Poitras qui a choisi ce documentaire pour sa carte blanche.
Nous, on vous offre un avant-goût, une interview de Jenna Marvin et Agniaa Galdanova, la réalisatrice du documentaire. On y a parlé communauté queer en Russie, costume politique, bande originale et meufs méga badass.
26 janvier 2024
16:38
INCUBUS : réapparition d’une perle maudite
Injustement nanardisé par sa particularité (il est parlé en Esperanto), Incubus savait surtout prendre langue avec les meilleurs contes gothiques.
Mais qu'est-ce qui est passé par la tête de Leslie Stevens ? En 1968, ce cinéaste a acquis un statut d'excellent faiseur hollywoodien, insufflant à des registres variés, du drame social au film de chevalerie, un regard très personnel sur les rapports humains. Voilà qu'il se lance dans une aventure des plus singulières avec Incubus. C'est un film à mi-chemin entre les tourments existentiels d'un Bergman et l'imaginaire gothique autour d'une histoire de femme démon ensorcelant les hommes d'un village de pêcheurs jusqu'à tomber amoureuse d'une de ses proies. Sauf qu'Incubus sera l'un des deux seuls films de l'histoire du cinéma à être tourné en espéranto. La logique de rendre universelle le fond de ce récit via une novlangue farfelue, censée pouvoir être parlée par tout le monde, peut s'entendre. Mais elle fera d'Incubus un film énoncé dans un sabir improbable, lui procurant une telle réputation de nanar qu'il sombra quasi immédiatement dans les limbes de la cinéphilie. À tort, quand cette malheureuse particularité linguistique aura occulté une dream-team comme on en verra rarement (de Stevens à la mise en scène aux géniaux Conrad Hall et Dominic Frontier à la photo et la musique) comme une fable noire sur la dévorante part possessive de l'amour. Porté disparu jusqu'à la découverte d'une copie dans les caves de la cinémathèque française, Incubus réapparait aujourd'hui en Blu-ray dans une restauration étincelante, révélant autant sa splendeur visuelle expressionniste que révélant que la langue que ce film maudit parlait le mieux, était celle des grands drames mélancoliques. Il serait dommage de faire à nouveau échouer dans l'oubli cette relecture crève-cœur du mythe des sirènes.
Edité par Le chat qui fume.
24 janvier 2024
2:08
LES CHAMBRES ROUGES : noir comme le chagrin
Au rayon des perversités inaugurées par Internet, il y a les redrooms, ces salons ultra-privés disséminés dans les tréfonds du dark web où seraient mises en enchères des séances de sévices ultra-brutaux en vidéo. Un sujet parfait, entre légende urbaine et show de torture-porn, pour le cinéma d'horreur. Si Les chambres rouges se focalise sur une cliente de ces spectacles aussi cruels que sordides, ce n'est pourtant pas le terrain de Pascal Plante.
Kelly-Anne n'est pas une sadique sociopathe de série B. À travers son obsession pour les tueurs en série, Les chambres rouges ausculte la fascination plus globale d'une génération pour une violence jusqu'à l'anesthésie de la morale ; Plante préférant bien plus emprunter la glaciation d'un Michael Haneke ou la rigueur formelle d'un David Fincher plutôt que de se laisser aller aux débordements sanguinolents. Les chambres rouges n'en est pas moins suffocant, que ce soit par un sens sidérant de la tension ou sa manière d'éplucher patiemment la psychologie d'une jeune femme de prime abord insaisissable. Le plus perturbant restant la révélation progressive d'une solitude urbaine si insupportable qu'il lui faut la catharsis, d'une ultra violence radicale, jusqu'à la désintégration physique, heureusement ici hors champ, pour reprendre contact avec l'humanité. Plus impressionnant par son chagrin que par sa noirceur, Les chambres rouges s'impose parmi les grands films dérangeants. Que ce soit quand il interroge la propre curiosité morbide des spectateurs lors de séquences d'une terrassante intensité ou quand cette odyssée mentale se fait émouvante à aller une lumineuse sérénité pour panser ses plaies
17 janvier 2024
2:06
"Si seulement je pouvais hiberner"
Le cinéma mongol montre de quel bois il se chauffe.
Comment ça va à Oulan Bator ? Pas très bien quand on est Uzil, un ado qui se retrouve à avoir la charge de ses frères et sœur quand leur mère, partie pour trouver un emploi, les abandonne peu à peu. Encore moins quand un hiver bien au dessous de zéro commence à s'installer, et qu'il faut bien trouver de quoi alimenter le poêle pour se chauffer comme de quoi mettre dans celle pour se nourrir.
Si je pouvais hiberner, le premier film dela réalisatrice Zoljargal Purevdash, va au charbon pour extraire de toute mélasse sentimentale ce récit de pauvreté important une poisse à la Dickens sous une yourte . Sans renoncer à sa part de mélo, il s'illustre avant tout par sa retenue, la dignité avec laquelle est filmée cette fratrie a qui est imposée un sens de la démerde pour survivre.
Une combinaison de pudeur et d'émotionnel qui place d'emblée son réalisateur au même rang qu'un Ken Loach dans cette peinture des complexités d'un rapport de classe refusant l'apitoiement.
Récit d'apprentissage, Si je pouvais hiberner s'imprègne aussi, sans doute par l'éducation japonaise de Purevdash, des délicatesses du cinéma humaniste nippon, d'Ozu à Kore-Eda par son sens de la distance ou de l'empathie. Aussi crève-coeur que chaleureux, Si je pouvais hiberner, très beau premier opus invite à suivre un talent évident de cinéaste qui ne peut que bourgeonner.
Retrouvez le PopCorn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en replay !
10 janvier 2024
1:45
VERMINES : pris dans la toile
Le cinéma de genre français confirme sa belle chrysalide.
Il faudra commencer l'année cinéma 2024 en jetant un œil dans le rétro sur 2023. Pas tant pour rédiger un top des meilleurs films que pour déceler au minimum deux tendances dans la production française. D'abord un accès enfin autorisé à l'imaginaire, à des univers qui poussent enfin les murs. De franches réussites comme Le règne animal ou Mars express ont affirmé qu'il était bien possible d'élargir le champ de vision. Ensuite, une réappropriation de territoire, celui de la banlieue, redevenue pour les cinéastes un sol politique, de Bâtiment 5 à Avant que les flammes ne s'éteignent.
L'étape suivante pourrait bien être déjà franchie avec Vermines, film qui se place à la jonction de ces deux axes. Le premier long-métrage de Sébastien Vanicek hybride le film de monstre et la chronique urbaine en enfermant dans un immeuble HLM ses habitants et des araignées ultra-venimeuses qui prolifèrent à vitesse grand V. Et tout autant l'énergie des séries B fantastiques américaines et regard incisif du cinéma social européen, Vermines jouant sur une double échelle de Darwin en rapprochant espèce animale et catégorie de population pareillement rejetées par préjugés.
La bande annonce est à voir ici
Vanicek filme intelligemment cet enfermement, cadrant en quasi-scope son huis-clos resserré. Les détails du quotidien des cités, des murs lépreux aux ascenseurs perpétuellement en panne, mais aussi la solidarité d'un voisinage n'attendant plus rien du monde extérieur, n'en sautent que plus aux yeux. Tout comme les araignées, impeccable mélange d'effets numériques et artisanaux, dans cet inattendu conte moderne sur la survie, épatant quand il capture dans sa parfaite toile les peurs primitives et celles sociales, pour se demander lesquelles sont les plus flippantes.
En salles depuis le 27 décembre
Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en podcast !
04 janvier 2024
2:18
MON NOM EST PERSONNE : Quand Terence Hill devenait quelqu'un
Terence Hill s'est majoritairement fait connaître en s'associant avec Bud Spencer pour un duo ayant essaimé le buddy movie à l'italienne bon enfant. Avant cela, il n'était personne.
Littéralement dans l'un des meilleurs westerns spaghetti. Mon nom est Personne est même à part dans ce registre, quand il s'essaie à un ton de fable picaresque en associant un cow-boy buissonnier et un flingueur de légende. Mais aussi une remise à zéro des compteurs entre l'Amérique et l'Italie. En 1973, Hill est déjà une star en italie avec trois Trinita, fin de règne potache du western à l'italienne. En invitant Henry Fonda, et avec lui toute une mythologie américaine, Mon nom est Personne est un ultime acte de déférence, un adieu aussi épique que décontracté d'un cinéma européen à ses fondations hollywoodiennes. Que ce soit par des clins d'œil à La horde sauvage- jusqu'à faire figurer le nom de son réalisateur sur une tombe -ou en prenant au pied de la lettre « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende !», fameuse réplique de L'Homme qui a tué Liberty Valence, pour en faire son sujet. En découle un splendide Il était une autre fois dans l'Ouest, adoubé par un Sergio Leone omniprésent sur le film de Tonino Valerii, de sa participation au scénario au rythme déconstruit en passant par une des plus mémorables B.O d'Ennio Morricone. Hill y est magnifique en Sancho Pança déconneur mais philosophe, accompagnant un pistolero à l'ancienne dans son dernier baroud d'honneur : sa présence burlesque ne laisse pas voir venir l'inattendue mélancolie qui gagne un film sur la fin d'un monde et d'un genre. 50 ans après sa première sortie, ses images étincèlent dans une ressortie en version restaurée, mais lustrée par la patine d'une nostalgie crève-cœur pour un western décalé et flamboyant, comme il ne s'en fera plus ensuite.
En salles le 20 décembre.
Retrouvez le PopCorn d'Alex Masson, tous les mercredis à 9h30 et en replay !
20 décembre 2023
2:09
Censure et cinéma en Italie : vue en coupe(s)
Le nouveau volume d'une collection décortiquant les systemes de censure se penche sur le pays de Ferrerri, Fellini et Pasolini.
« Je pense que scandaliser est un droit. Être scandalisé est un plaisir. Celui qui refuse d'être scandalisé est un moraliste ». Cette citation de Pier Paolo Pasolini est en exergue d'un des chapitres de Censure & Cinéma en Italie. Normal, quand il est difficile de ne pas mentionner ce cinéaste dans un ouvrage dédié à ces thématiques. Au-dela de ses parties consacrées à Théoreme et Salo ou les 120 journées de Sodome, ce livre collectif opère un tour d'horizon des plus complets sur une cinématographie de choix quand, plus que les autres, elle aura fait fructifier de nombreux sous-genres provocants et transgressifs, de la nazisploitation aux comédies érotiques ou ripailles gores des films de cannibale pour ne citer qu'eux. Censure & cinéma en Italie n'est pourtant pas qu'un inventaire quand il revient autant sur les textes de loi que sur des cas d'études singuliers. Qui connaissait les aventures italiennes d'un film porno signé Wes Craven ? Qu'au début du XXe siècle l'Eglise interdisait aux prêtres d'entrer dans les salles de cinéma ? Qu'Il divo, le film de Paolo Sorrentino consacré au sulfureux premier ministre Giulio Andreotti était privé de diffusion télé ? Aussi factuel et précis pour égrener les motifs de coupes et restrictions que riche en anecdotes, ce nouveau volume d'une collection regarde le cinéma par le prisme de son rapport à l'interdit et aux bonnes mœurs préconisées par les autorités. Et lorsqu'il en vient à évoquer les coulisses de La grande bouffe, Gomorra ou Cannibal Holocaust, pour rappeler leurs visions sociale et politique, Censure & Cinéma en Italie, complète pleinement une collection de formidables livres d'histoire parallèle et méconnue du cinéma.
Censure et cinéma en Italie (Editions Lettmotif)
Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur Nova !
14 décembre 2023
1:59
GUERRE ET PAIX : quand un classique de la littérature russe donnait naissance à un monument de cinéma
Réapparition d’un sidérant film-somme oublié, l’adaptation du roman de Tolstoï taille de sacrées croupières au récent biopic de Napoléon.
Il aura suffi du biopic que Ridley Scott a consacré à Bonaparte pour que la Napoleonmania se réactive. Ce n'est pourtant pas le premier film d'ampleur qui est consacré à l'Empereur. En 1966, sortait même le plus impérial du lot. Pas tant parce qu'il s'agissait d'une adaptation du plus connu des romans de Léon Tolstoï, ni parce qu'il allait être accompagné de tous les superlatifs, de son budget faramineux qui, même converti en monnaie actuelle, ferait passer un blockbuster Marvel d'aujourd'hui pour un film indépendant à sa durée colossale, outrepasssant les sept heures. Monument de production, Guerre et paix en est aussi un de cinéma. De son introduction quasi expérimentale, impensable pour son statut de fresque populaire commandée par le Kremlin, à ses scènes de bataille réinventant déjà le cinéma immersif en passant par la peinture opératique des raoûts de l'aristocratie, cette évocation de la campagne de Russie sidère dans son alliance d'uber-spectacle et d'intime, Guerre et paix a l'ambition folle d'une vision à la fois concrète et symbolique d'une fin de règne. La puissance de la fiction et la démesure de l'Histoire avec un grand H achevant de faire du film de Sergeï Bondartchouk une des dernières grandes épopée du cinéma soviétique, aussi grand public qu'introspective. Cinquante-sept ans plus tard, elle réapparait, en salle, mais aussi dans un fastueux coffret Blu-ray, accompagnée d'un passionnant livre, ce serait vraiment connaître une bérézina de spectateur de ne pas découvrir ou redécouvrir cette saga pharaonique Napoléon est peut-être mort à Sainte-Hélène mais c'est ce film fou ou se disputent gigantisme et lyrisme qui l'a enterré.
En salles et en coffret Blu-ray (Potemkine)
Retrouvez le Pop Corn d'Alex Masson tous les mercredis à 9h30 sur Nova et en podcast !
06 décembre 2023
1:55
CONANN : Héroïque fantaisie
Mouliné par l’imaginaire surréaliste de Bertrand Mandico, le personnage symbole de l’heroïc fantasy mue dans une saga baroque et désenchantée, en guerrière tragique, damnée par l’amour.
Le Conann (oui avec deux n) de Bertrand Mandico n'est pas un remake du film avec Arnold Schwarzennegger. Ni même une relecture des romans de Robert E.Howard autour des aventures du guerrier cimmérien. Mandico remonte plus loin, que ce soit à des origines celtes ou en féminisant ce personnage icône du virilisme.
Initialement, ce n'était d'ailleurs même pas un projet de film, mais de spectacle pour le théâtre. Faute d'avoir pu se monter, Conann s'est transféré sur écran pour devenir un festin d'images fortes, autour de la descente aux enfers d'une guerrière revenant sur son passé. Mandico en fait un sabbat halluciné, entre imaginaire visuel débridé et art de la performance scénique, autour des multiples vies d'une héroïne et de sa trajectoire intérieure.
Pour incarner ce parcours, de la furie de la vengeance à la mélancolie des regrets, Conann se démultiplie, prenant non pas l'apparence d'une mais de six actrices, chacune incarnant un âge différent. À ces différentes mues, s'ajoutent celles, toutes aussi iconoclastes, d'un film se transformant à vue, invoquant différents genres, ressuscitant l'esprit de collage des surréalistes. Quoi de mieux pour porter un regard, à travers une étude de la barbarie, sur notre époque, actuel royaume de l'absurdie et du chaos ?
En salles le 29 novembre
29 novembre 2023
14:27
LA VENUS D’ARGENT : Un certain sentiment du monde
On avait découvert Héléna Klotz, avec "L'âge atomique, chronique des aspirations et des pulsions de la jeunesse d'aujourd'hui." Avec "La vénus d'argent", elle signe de nouveau un film ultra-contemporain. À savoir sur une époque où le besoin de retrouver ses repères, ses fondations, se fait grandissant alors que la société est elle de plus en plus floue. À travers la trajectoire de Jeanne, jeune femme qui infiltre le monde de la finance pour s'émanciper de blessures intimes, "La vénus d'argent" se fait récit de transformation en faisant des arcanes opaques du trading la chrysalide d'une reconstruction sentimentale, Héléna Klotz jouant avec les codes du thriller pour mieux décrypter les ressorts des rapports humains. Pour Nova, la réalisatrice revient sur les coulisses de son film.
En salles le 22 novembre.
22 novembre 2023
18:41
LITTLE GIRL BLUE : Un fascinant documentaire pour soigner un mal de mère
25 caisses. C'est la somme de documents à propos de sa mère que Mona Achache stockait chez elle. 25 caisses de lettres, photos et enregistrements longtemps mises à distance. Pas tant parce qu'elles symbolisaient un deuil difficile (cette mère s'étant suicidée) que par habitude de la réalisatrice d'avoir refoulé une enfance malheureuse. Ce décès soudain a pourtant forcé Achache à se confronter au parcours d'une génitrice qui aura côtoyé un milieu artistique, notamment celui littéraire, de Duras à Genet, qui aura brisé ses propres élans, embarquée dans la vague post-68arde pour faire les frais de ses excès libertaires. Par ricochet de l'inconscient, sa fille pâtira d'un mal-être qui l'a contaminée à son tour. Pour ne pas perpétuer cet héritage ultra-névrosé, Achache a déballé ces caisses mais aussi ressuscité sa mère par procuration, en demandant à Marion Cotillard d'incarner, à partir de ces archives, sa parole, son corps, ses pensées, jusqu'à être un saisissant double. Envoûtant dialogue avec un spectre, "Little girl blue" filme ce processus pour le transcender non pas en thérapie personnelle, mais en portrait collectif d'une génération de femmes ayant souffert d'une absence de clés pour comprendre celle qui les a précédées. Ouvrant les doubles-fonds de tiroirs psys, cet inhabituel documentaire fascine autant par ce qu'il montre d'une actrice accouchant d'un personnage que dans sa part d'exorcisme résilient permettant à Achache de rompre avec un cycle de douleurs. Incroyablement émouvant dans sa démarche introspective, "Little Girl blue" l'est encore plus quand il reconstruit le puzzle d'une mère pour mieux rassembler les morceaux émancipateurs de sa fille.
En salles le 15 novembre.
16 novembre 2023
2:36
CONSTRUIRE METROPOLIS : Un livre making-of pour le classique de Fritz Lang
Metropolis restera dans l'histoire du cinéma comme un des films les plus fondateurs. Par la puissance de son récit, son impact visuel ou la démesure même du projet de Fritz Lang pour cette dystopie prométhéenne devenue prophétique dans sa vision des rapports de classe. Rien n'a égalé cette œuvre monumentale depuis sa sortie en 1927, tant dans le gigantisme de sa production que dans son influence encore prégnante dans le cinéma de science-fiction. Pour autant, tout n'avait pas été dit ni écrit sur cet insurpassable classique. Un collectif (il fallait au moins ça pour s'attaquer à un tel film) s'y attelle avec Construire Metropolis, époustouflant livre making-of, reprenant ses fondations, du contexte historique à celui social ou culturel de l'Allemagne sous la république de Weimar. L'imposant ouvrage s'immisçant aussi dans la vision de Lang et sa fidèle Théa Von Arbou, notamment dans l'idée d'un film qui tiendrait autant d'une éternelle fable chrétienne que visionnaire du culte à venir pour la civilisation des machines industrielles. Construire Metropolis porte admirablement son titre quand le film s'érige au gré des pages, cette somme revenant sur absolument toutes ses étapes, jusqu'au feuilleton de la quête des différentes versions et matériel qui ont mené à sa réapparition, ses répercussions à sa sortie dans un XXe siècle au bord du chaos ou la perfusion persis-tante de son inépuisable héritage culturel. Soit un exceptionnel livre genèse, minutieux travail d'architecture narrative, décortiquant son sujet et ses complexités. Devenu une cathédrale de cinéma, Metropolis y trouve enfin une bible à sa hauteur.
En librairie (ou inclus dans un coffret Blu-ray en édition limitée) Editions Potemkine
09 novembre 2023
2:11
PORTRAITS FANTÔMES : entre intime et collectif, un émouvant carnet de bord d’une mémoire brésilienne
Pendant la mandature de Bolsonaro, Kleber Mendonça Filho, l'un des plus passionnants réalisateurs brésiliens apparus dans les années 2000, est venu s'installer en France. Avec le retour de Lula, il est rentré chez lui à Recife, sa ville. Pour ne pas dire sa vie, quand c'est là qu'il a nourri sa passion pour le cinéma, jusqu'à la mettre en scène dans son premier long métrage de fiction, Les bruits de Recife. Celui des projecteurs des salles de cinéma locales n'existe quasiment plus, la plupart ayant fermé, engloutis par la spéculation immobilière ou transformés en églises évangéliques, ne laissant à Filho que les souvenirs de séances. Avec Portraits fantômes, il revient sur cette disparition à laquelle il superpose celle d'une dolce vita à la brésilienne dans laquelle il a grandi, protégé par les murs de l'appartement familial. Ce journal intime tourne rapidement les pages de celui collectif d'une société qui s'est effrité dans un enfermement paranoïaque ou sécuritaire. Plus qu'un élan nostalgique, Portraits fantômes rédige un carnet de bord entre archéologie et sociologie, touchant quand il ne se veut pas pamphlétaire, mais empli de chagrin. Il en émane un spleen façon Saudade, mariant l'existentialisme d'un Antonioni à la curiosité du quotidien d'un Chris Marker, humeurs mélancoliques et ironiques. Mais aussi une foi dans le cinéma malgré tout, quand des traces de fictions s'insèrent dans ce portrait documentaire, comme une présence rassurante, un ultime refuge. Un récif d'images protectrices de la mémoire de Recife, faisant de Portraits fantômes une émouvante zone de résistance aux orages des temps qui changent.
Sortie le 1 novembre
02 novembre 2023
2:41
THE APPOINTMENT: un rendez-vous manqué à rattraper impérativement
Certains films sont uniques. Littéralement quand un réalisateur stoppe sa carrière après un seul essai. Ce fut le cas de Lindsay C.Vickers, un assistant de nombreux metteurs en scène à la Hammer films avant de se jeter à l'eau au tout début des années 80 avec The Appointment. Et encore qu'initialement, il n'aurait dû etre que le premier épisode d'une série fantastique pour la BBC. Celle-ci fut annulée, mais Vickers, qui en était co-producteur, récupéra son travail et essaya de le sortir en salles. A raison quand l'étrangeté de The Appointment se révèle pleinement sur grand écran. Cette histoire de rendez-vous manqué entre un père et sa fille combine forces surnaturelles et lecture psychanalytique jusqu'à être un sidérant croisement entre les univers familiaux tordus d'un Stephen King et les chroniques sociales aussi naturalistes que vachardes d'un Mike Leigh. S'y ajoute une touche de la so british folk horror par la présence d'une potentielle malédiction touchant des collégiennes. Vickers brouille habilement ces pistes par un montage détraqué renforçant la sensation d'un funèbre puzzle psy, instigant chez le spectateur le double soupçon d'un châtiment pour un père trop proche de sa fille ou d'une ado sorcière sur les bords. Le réel maléfice aura été celui qui aura mis au placard The appointment pendant quarante ans, ne le faisant apparaître en salles françaises qu'aujourd'hui. Il serait donc regrettable de louper ce rendez-vous avec un film effectivement unique, sur tous les points.
Sortie le 25 octobre
26 octobre 2023
2:22
LINDA VEUT DU POULET ! : du cinéma d’animation formidablement cuisiné
Dès son titre, Linda veut du poulet ! affiche une particularité. Il y a un point d'exclamation qui a toute son importance quand il se fait impératif,. En l'occurence qu'une gamine, Linda donc, puisse avoir, quoiqu'il arrive dans son assiette du poulet. Mais pas n'importe lequel, celui aux poivrons que cuisinait son père, décédé. Alors sa mère va se lancer à la recherche des ingrédients, sauf que c'est jour de grève générale. Il va falloir mettre toute une cité HLM sens dessus dessous pour pré-parer la recette chérie. Quitte à embarquer dans l'histoire, des copines, une mamie, un livreur à vélo, un fermier et même un policier. Mine de rien, le dessin (très) animé de Sébastien Laudenbach et Chiara Malta compose avec cette galerie de personnages, un étonnant panel d'une France ac-tuelle. Chacun est repérable par une couleur distincte, mais la teinte sociale est jaune gilet, tant Linda veut du poulet ! raconte l'énergie que demande la démerde dans une époque précaire. Elle se ressent jusque dans cette animation à la main, vibratile, à l'image d'un film aussi créatif qu'érup-tif, à la fois d'une évidente simplicité et d'une totale densité. Derrière la bourrasque de cette folle journée, surgit par moments la rogne d'une mère qui ne sait plus comment joindre les deux bouts quand ce n'est pas la mélancolie d'un deuil inachevé qui vient ponctuer une aérien sens de la co-médie loufoque. Une parfaite palette de nuances qui ajoute du pigment à celle des couleurs pas-tels. Curieusement, c'est la piteuse récente cérémonie d'ouverture de la coupe du monde de rugby qui vient en tête : là où elle se voulait hommage chromo à la France béret-baguette, Linda veut du Poulet ! vise bien plus juste avec une vision en coupe aussi enjouée que pertinente de l'actuelle France d'en bas, celle qui en a à la fois ras la casquette mais sait rester solidaire. Tout le monde se souvient de l'apparition étrange d'un comédien déguisé en coq lors de cette cérémonie, on peut, et de très loin, lui préférer ce poulet survolté qui vole joyeusement dans les plumes de la morosité ambiante.
Sortie le 18 octobre
Une chronique d'Alex Masson
19 octobre 2023
2:31
DES IDÉÉS DE GÉNIE ? La culture d’entreprise est-elle soluble dans celle de la com’ ?
C'est quoi un bon patron ? Celui qui obtient des résultats spectaculaires pour son entreprise ou celui qui pend en considération le bien-être de ses employés ? A moins que ce soit celui qui maîtrise à la perfection l'art du storytelling et de la communication. Celle de Philippe Ginestet, propriétaire des magasins GIFI parti de peu mais arrivé dans le classement des plus grosses fortunes françaises est entrée dans la mythologie des self-made men qui font la fierté du MEDEF. Y compris parce qu'il renoue avec la tradition de patrons ultra-paternalistes, jurant que leurs employés sont comme une famille qu'il doit chouchouter. Mais avec les nouveaux outils de la culture d'entreprise, de séminaires de motivation en concours de poker avec voyage offert à la clé. Initialement parti pour faire un documentaire sur ce mode de management, Brice Gravelle a fait bifurquer Des idées de génie ? en portrait de Ginestet. Il faut dire que le bonhomme est fascinant dans sa relation avec des employés qu'il vante comme collaborateurs. Une histoire trop belle pour y croire et qui va justement se fissurer. Des idées de génie ? se fait pourtant plus ambigu en devenant une histoire de lutte non pas des classes mais entre un réalisateur quasi-envouté et un entrepreneur gourou. Ce documentaire devenant aussi fascinant que son sujet, quand il s'avère être lui aussi incroyable metteur en scène de son entreprise, jusqu'au boutiste jusqu'à manipuler celui qui est derrière la caméra. Au delà d'un sidérant portrait de narcissisme, Des idées de génie ? trouve dans ce glissement d'un making of de la réussite à un face-à-face, l'expression de la farce dangereuse qu'est le néo-libéralisme. Elle est ici grinçante mais à sa manière parfait résumé des méthodes actuelles de fusion-acquisition telle qu'elles se pratiquent dans les groupes industriels, entre jeu de séduction et d'infiltration avant de s'imposer comme subordination totale. Gravelle signant un film ayant la toujours salutaire idée de rappeler comment le mauvais génie s'est emparé du monde de l'entreprise.
En salles depuis le 4 octobre
11 octobre 2023
2:41
LE REGNE ANIMAL : le cinéma français fait enfin sa mue
Enfin! Cela faisait tellement longtemps qu'on attendait que l'imaginaire du cinéma français se renouvelle, qu'on avait fini par abandonner la possibilité d'en finir avec un certain formatage. Et puis voilà que débarque un film qui se contrefout des barrières culturelles comme des frontières narratives. "Le règne animal" s'attaque donc aux codes de notre écosystème d'images et d'histoires, au minimum en lui proposant une nouvelle jungle de récits. Difficile de faire entrer le second film de Thomas Cailley - après le déjà remarqué "Les combattants"- dans une case, justement parce qu'il les réfute. À partir d'un scénario reposant sur des mutations, celles causées par une maladie qui transforme peu à peu les humains en animaux, Cailley tente des greffes inédites. "Le règne animal" tient à la fois et entre autres du film fantastique et de l'étude de mœurs, d'une fable écologico-sociologique et d'une chronique d'adolescence. Tout ici est observation de corps qui se transforment, de ceux des personnages à celui d'un récit qui s'ouvre aux possibles. Mais surtout qui affirment qu'il est nécessaire de devoir s'adapter aux fluctuations du monde si l'on veut survivre aux crises qui exigent une réinvention des modèles.
Le règne animal tient donc d'un acte de renaissance, de transition vers des métamorphoses sociales, culturelles mais avant tout organiques, jusque dans la chair même de notre cinéma. Cette mue se pressentait déjà, au vu de films singuliers comme ceux des frères Boukherma, Julia Ducourneau ou Thomas Salvador, tous tentant des expérimentations, des hybridations, mais "Le règne animal" annonce que ce mouvement est enfin à maturation, que l'ADN du cinéma populaire peut enfin être combiné avec des ambitions formelles comme d'écriture ou de propos. "Le règne animal" est traversé de créatures, cousines ou descendantes de celles qu'on a pu croiser chez un Guillermo Del Toro ou un Miyazaki, qui ne demandent qu'à vivre en liberté, mais pas autant qu'un film français d'une espèce nouvelle, dont il est plus que souhaitable qu'elle fasse beaucoup de petits afin que cette ode à la différence devienne une bienvenue norme.
En salles le 4 octobre
04 octobre 2023
2:36
Batman contre le fantôme masqué
On ne compte plus les versions de Batman à l'écran, de celle pop et kitschissme de la fin des années 60 aux re-créations signées Tim Burton ou Christopher Nolan. Voire certains égarements gênants -comme les barnums grotesques de Batman Forever ou Batman & Robin à la fin des années 90. Pour autant, l'une des meilleures adaptations des aventures du vigilante de Gotham City est aussi l'une des plus oubliées. Peut-être parce qu'elle n'est pas passée par la case cinema. Batman contre le fantôme masqué est une extension de la, déjà remarquable, série d'animation, crée en 1992. Devant son succès inattendu, le département télé de la Warner commande à ses créateurs, Eric Radomski et Bruce Timm, un super-épisode devant servir de parenthèse entre les deux premières saisons. Les deux réalisateurs et le scénariste Alan Burnett décideront d'en faire un retour aux sources, quand l'apparition d'un nouveau méchant fait remonter à la surface un épisode douloureux de la vie de Bruce Wayne. Batman contre le fantôme masqué réussissant à être à la fois en phase avec le virage pris côté comic-book, se teintant de psychanalyse shakespearienne et d'appliquer les fondamentaux des récits d'action. Sans oublier d'être déférent envers le grand cinéma classique, via de nombreuses références, notamment à Citizen Kane comme au Hitchcock de la grande période. A l'occasion de ses trente ans, Batman contre le fantôme masqué, réapparait en Blu-ray dans une édition remasterisée. Au delà de la beauté de son graphisme, c'est la puissance du scénario, sans doute le plus tourmenté et romantique qu'aie connu Batman qui continue à impressionner, quand il pousse plus que jamais son héros à tomber le masque pour révéler son vrai visage, celui d'un homme a jamais rattrapé par ses failles et ses blessures intimes. Au moment où l'univers des super-héros au cinéma devient fatigant à force d'inanité et d'écriture vide, autant se ressourcer a cette relecture aussi magistrale que mélancolique.
En Blu-Ray 4K chez Warner Home Entertainment
27 septembre 2023
2:19
Ida Lupino : être une femme libérée ce n’était déjà pas si facile dans le Hollywood des années 50
Si les statistiques contribuent régulièrement à rappeler le gouffre de les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes dans le cinéma, son histoire vient tout aussi régulièrement rappeler qu'elle ne s'est pas uniquement écrite au masculin, qu'a défaut de s'être inscrites pleinement dans les encyclopédies, des francs-tireuses ont émergé. Souvent avec plus d'aplomb et d'inventivité pour questionner leur époque et ses valeurs que leurs collègues hommes. Ainsi Ida Lupino, actrice de studio s'émancipant dès la fin des années 40 pour se réinventer productrice, scénariste et surtout réalisatrice. Elle signera huit films, s'emparant des codes du mélo ou du film noir, pour prendre la parole autour de thèmes alors tabous, du viol aux grossesses non désirées en passant par la sexualisation des femmes. La force du cinéma de Lupino étant sans doute de mettre à l'écran une conscience féministe tout en utilisant les méthodes du cinéma fait par des hommes. Quatre de ses opus, Le voyage de la peur, Avant de t'aimer, Faire face et Bigamie, ressortent en salles cette semaine. Portrait d'une fille mère, d'une malade de la polio ou d'un homme partagé entre deux femmes, tous surprennent par cette volonté de raconter a travers des parcours peu ordinaires le monde quotidien tel qu'il est, d'exprimer la difficulté du libre arbitre. Une ligne éditoriale renforcée par une mise en scène tout en efficacité, allant à l'essentiel, mais réussissant a entremêler romanesque et regard quasi-documentaire. Pour pouvoir assumer son besoin d'indépendance, Lupino avait crée sa propre société de production ; nommée The filmmakers. A redécouvrir ses films, réinvention d'un cinéma social tout en restant éminemment populaire, on se dit qu'elle l'avait parfaitement choisi, en donnant un nouveau sens à ce que voulait dire faire des films.
Reprise en salles depuis le 20 septembre.
20 septembre 2023
2:27
“Un métier sérieux” de Thomas Lilti : un film qui doit faire école
Thomas Lilti s'est fait une place dans le cinéma avec Hippocrate, Médecin de campagne puis Première année, triptyque auquel s'est ajouté Hippocrate, la série, l'ensemble consacrant sans doute un peu trop vite ce réalisateur comme spécialiste du monde médical.
Le voilà qui se penche sur le milieu scolaire avec Un métier sérieux, chronique de la première rentrée de Benjamin, prof nouveau venu dans un collège.
Lilti y conforte le principe de ses films précédents : ce n'est pas tant une profession que ce qui y mène qui l'intéresse ; ce qui fait qu'une vocation se maintient tant bien que mal. Pas la peine d'organiser une projection pour Gabriel Attal au ministère de l'Éducation, la cause que défend Un métier sérieux n'apprendra rien de nouveau sur les conditions dramatiques de l'École en France.
Ici, et c'est ce qui est beau, à l'opposé de la majorité des films sur les profs, il n'est pas question d'en faire des héros ordinaires, mais simplement de filmer l'impact d'un métier sur l'intime. S'il est politique et social, c'est dans cette manière, ravivant celle des Claude Sautet de la grande époque, de filmer un groupe dans ce que son quotidien peut avoir de romanesque, à la façon des vignettes d'un Vincent, François, Paul et les autres.
Lilti fait exister son Benjamin, Pierre, Sandrine et les autres par un scénario collecteur d'instants et une formidable troupe d'acteurs, entre ses habitués (de Vincent Lacoste à Louise Bourgoin) et des nouveaux (de Lucie Zhang à Adèle Exarchopoulos), tous donnant une forme incroyablement fluide et organique pour raconter, des exaltations aux coups de mou ou déceptions, ce qu'est l'engagement. Et dès lors, de repousser les murs d'une salle des profs, voire d'un collège, pour aller bien au-delà d'un cahier de doléances du système éducatif : faire un état des lieux du collectif comme pilier fondamental, mais de plus en plus fragile, de la démocratie. Autrement dit, Un métier sérieux, modèle d'écriture et d'observation, est un film qui doit faire école.
En salles le 12 septembre.
13 septembre 2023
2:25
« Le gang des bois du temple » : Rabah Ameur-Zaïmeche et ses contes noirs de la banlieue
Avec Le gang des bois du temple, Rabah Ameur-Zaïmeche confirme une position d'observateur. Si le nouveau film du réalisateur de Wesh Wesh qu'est-ce qui se passe ? s'installe plus pleinement dans le cinéma de genre, en suivant un casse monté par une bande issue d'une cité de banlieue, l'humeur est plus à la chronique sociale qu'au polar. Ou alors de la même manière que le faisait le cinéma comportementaliste d'un Melville.
Ameur-Zaïmeche l'accompagne avec cette bande aux airs de Robins des bois, protecteurs de leur quartier. Même lorsqu'il filme leurs temps morts, c'est pour essayer de les extraire d'une prédestination qui finira malgré tout par les rattraper. Alors, autant leur offrir un sursis avec de vibrantes scènes de vie ordinaire, purs moments de fraternité. Le point de départ est un authentique fait divers arrivé il y a une dizaine d'années, ou une bande de loulous avaient eu la mauvaise idée de braquer un prince saoudien.
Le Gang des bois du temple en fait aujourd'hui le constat d'une décomposition sociale qu'il propose d'endiguer par une autre politique de la ville, plus intime, plus solidaire. Tout en étant conscient que dans le climat actuel, elle tient d'une utopie autour d'une toujours plus improbable redistribution des richesses, Ameur-Zaïmeche, en fait à la fois la colère et la lumière qui illuminent un film noir parce que c'est la couleur d'une époque où l'on vit mal sous le règne d'un capitalisme ayant redéfini la lutte des classes.
En salles le 6 septembre.
06 septembre 2023
2:11
L’Étrange festival : le cinéma comme acte de résistance
Comme chaque année, c’est l’occasion d’aller faire l’état des lieux d’un cinéma en dehors des clous, d’un cinéma de genre loin des contrées américaines aux exhumations de perles méconnues ou oubliées. Cette année, on y causera, entre autres, ersatz de Bruce Lee, films d’horreurs indiens ou de renouveau de l’identité sexuelle.
Sans oublier une palanquée d’inédits et d’avants-première. Un programme, comme toujours, mais aussi l’occasion de revenir avec son patron, Frédéric Temps, sur l’identité même d’un festival plus que jamais singulier. Car après tout, quelle est la place de ce festival dédié aux pas de côté, à la transgression ; qu’est-ce qu’être Étrange dans une époque qui non seulement devient de son côté de plus en plus folle que toutes les fictions, mais fait un retour très marqué au conservatisme ?
06 septembre 2023
17:03
CAITI BLUES de Justine Harbonnier
Quelle distance y a-t-il entre Madrid, Nouveau-Mexique et New York ? Aucune idée. Caiti Lord n'en savait sans doute rien non plus quand elle décida de quitter la Grosse Pomme pour s'y installer. Au départ, elle visait plutôt San Francisco, mais elle s'est arrêtée en chemin. Un peu comme sa vie, entre ses multiples jobs de barman et d'animatrice radio. Mais ce qu'elle voudrait, c'est devenir chanteuse.
Justine Harbonnier fait le portrait de cette quasi-trentenaire, à partir d'allers-retours entre vidéos d'enfance et images de son présent. Plus encore qu'esquisser l'esprit bohème de Lord, convaincue de ses talents artistiques, mais contrecarrée par une précarité ordinaire, Caiti Blues part de ce cas singulier pour raconter la génération millenial, celle qui a découvert enfant devant sa télé l'effondrement des Twin Towers le 11 septembre 2001, avant de se prendre en pleine poire une récession, la montée en puissance de Trump, puis la pandémie Covid. Rien qui n'ait pourtant abattu l'envie de Caiti de faire des chansons, de se produire sur scène. Alors, elle compose et chante des morceaux aux airs de r'n'b. Pas celui d'aujourd'hui mais le Rythm and blues d'antan, ceux qui racontaient déjà les peines et les complaintes d'une Amérique prolo désabusée.
Lord les a juste adaptés à son monde et son époque. Celle où l'on gagne 4 $ de l'heure derrière un comptoir; où l'on n'a pas de quoi rembourser les emprunts nécessaires pour faire des études correctes. Harbonnier filme ce home movie à cette même hauteur, avec la même économie des films faits main, sans que cela donne pour autant un documentaire au rabais : Caiti Blues capte au plus près une réalité américaine. Pas forcément engluée dans la misère, quand l'entraide et la solidarité y sont souvent palpables. Mais, quels que soient les cahots, ici tourne le moteur de ces gens qui, comme Lord s'accrochent malgré tout à leur rêve de s'en sortir. À sa manière, Caiti Blues, met donc à jour ce qu'il reste du fameux « rêve américain ».
En salles le 19 juillet
19 juillet 2023
2:42
ASSAUT / L’EDUCATION D’ADEMOKA d’ Adilkan Yerzhanov
Il va falloir commencer à retenir le nom d'Adilkhan Yerzhanov, cinéaste kazakh en activité depuis une dizaine d'années, mais se faisant une place tardive sur nos écrans. Si on l'avait repéré lors des sorties de La tendre indifférence du monde ou d'A dark dark man, revisite surprenantes du film noir comme des sagas pastorales, un inespéré doublé débarque dans les salles pour l'imposer.
Et plus encore affirmer sa diversité.
Dans L'éducation d'Ademoka, une ado aimerait bien étudier, mais s'en voit privée. Elle est lyuli, la version locale des roms, tout aussi discriminée. Un écrivain reconverti en prof va pourtant le prendre sous son aile. Yerzhanov se fait Kusturica d'Asie centrale avec immersion chez les gitans des steppes. La fable colorée ne se laisse pourtant jamais aller à s'égarer dans des excès de poésie, re-venant toujours sur Terre pour consoler les sorts d'une gamine ostracisée malgré elle et d'un intellectuel précaire. Yerzhanov leur laissant toujours une porte ouverte sur des horizons plus lumineux, tout en conservant son étude d'un Kazakhstan encore coincé entre conservatisme et envies d'émancipation.
L'isolement est aussi une donnée d'Assaut. Un collège au milieu de nulle part y est assiégé par un groupe terroriste ou mercenaire, laissant les parents et la maigre police locale monter une opération de sauvetage des élèves otages. Si la tension monte rapidement, Assaut y procède à des injections humoristiques, autour de cette brigade improvisée, pieds nickelés, apprenant comme ils peuvent à manier les armes ou créer un rapport hiérarchique.
Pas très éloignée, dans la maitrise du rythme comme des ruptures de ton, du cinéma sud-coréen actuel, Assaut oscille entre film d'action et comédie absurde. Quoique pas tant que ça, quand sous cette mini-odyssée, perce une charge grinçante contre une société gangrénée par la corruption jusqu'au grotesque. Qu'elle se déroule dans un espace ultra-dénudé renforce un fonds engagé que l'on n'avait pas vu venir, pronant un droit à la désobéissance comme ultime sursaut éthique face à une bureaucratie aussi galopante que sclérosée.
Deux films, mais pas tout à fait deux ambiances différentes, L'éducation d'Ademoka comme Assaut tenant, de brillants manuels d'apprentissage à la rébellion pour les Kazakhs, conscients des risques que cela engendrerait, mais aussi des espaces démocratiques qu'ils pourraient inaugurer.
En salles le 12 juillet.
12 juillet 2023
3:09
HOUSE de Nobuhiko Ôbayashi
De tous les films légendaires, peu survivent à leur réputation, sont à la hauteur de leur propre mythologie. Et puis il y a ceux qui la surpassent, s'avèrent encore plus fous que leurs rumeurs. C'est le cas de House, film resté aussi fou qu'inclassable quarante-six ans après sa sortie originelle dans son Japon d'origine. En France, hormis quelques projections en festival à l'époque, House n'avait pas connu d'exploitation en salles avant d'arriver enfin aujourd'hui sur les écrans. Quelque part, c'est tant mieux, qu'en plus qu'une découverte tardive, c'est la modernité d'un film explosant tous les codes qui s'imposent aujourd'hui. Au-delà de sa part de trip formel dingo, House reste porté par une liberté d'esprit et de ton impensable pour de la production grand public.il reste d'ailleurs assez stupéfiant de savoir que ce film a été envisagé par la Toho comme une réponse japonaise au triomphe des Dents de la mer, tant il s'en éloigne par son récit embrassant toutes les pistes, du teen movie à la co-médie musicale, du film d'horreur au mélo, autour d'un groupe d'adolescente en villégiature chez la tante paralytique de l'une d'elles.
Au plus simple, on pourra définir le film de Nobuhiko Ôbayashi comme une réappropriation de l'esprit des colllages du cinéma surréaliste primitif combiné aux bricolages d'un art vidéo alors naissant, d'une collusion entre cinéma de studio à l'ancienne, via un scénario pétri de grands sentiments ou des décors peints dignes des grandes heures du cinéma de studio, et l'expérimental psychédélique. On peut donc avoir affaire ici à du mobilier hanté et carnivore ou à un côté Club des cinq kawaï qui serait immergé dans un délire gothico-psychanalytique à la Argento. Derrière cette délirante façade grand-guignol, éclatante de couleurs – qu'une impeccable restauration restitue à la perfection- le plus troublant reste pourtant la part d'esprit adolescent qui s'empare de House, dans sa part de farce hirsute, mais aussi dans le spleen qui le gagne à la longue, à l'image d'un plan où le visage d'une des gamines passe du sourire aux larmes en un clin d'œil. La chose est furtive dans ce torrent d'idées graphiques ou d'écriture avant-gardiste, mais imprègne durablement cette chronique cinglée de la féminité, unissant la mélancolie des jeunes filles en fleur à celle des sorcières en deuil, pour l'exorciser dans une phénoménale sarabande. Que ce soit pour écarquiller les yeux devant une créativité démentielle ou laisser des larmes en couler devant un film plus poignant qu'il n'y paraît, il faut donc aller voir House, expérience de cinéma exhumée du passé, mais bien plus vibrante que celles proposées par le présent.
En salles le 28 juin.
29 juin 2023
3:14
RHEINGOLD de Fatih Akin
29 juin 2023
7:34
SISU de Jalmari Helander
Où est-ce qu'on en est avec la violence graphique au cinéma ? Il faut dire qu'avec le succès récent des John Wick ou la réapparition d'un cinéma gore, via les succès inattendus des Terrifier et autres The Sadness qui semblent étancher la soif de gros rouge qui tâche, la tendance soit à la décomplexion, au second degré. Ce besoin de catharsis face à une époque particulièrement anxiogène, entre pandémie et réchauffement climatique, a entrainé un retour au cinéma d'exploitation. Conçu dans le but de rassasier les bas instincts comme les pulsions, ce genre reposant sur les excès pullula dans les années 70 et 80 pour devenir, en dépit du nez pincé des institutions, un jouissif terrain de jeu pour des films malpolis, aux manières rugueuses, prenant des libertés avec à peu près tout, y compris pour revisiter l'Histoire. Pour la version de luxe, il faut aller voir du côté du Inglorious Basterds de Tarantino.
Ceux qui toutefois trouvaient que le nouveau parrain de la pop culture se laissait aller à trop de logorrhées, seront probablement plus clients de Sisu, opus se rattachant à l'essentiel de ce qui fait les séries B d'aujourd'hui. Le film de Jalmari Helander se dégraisse de quasiment tout dans un décor quasi unique de taïga pour y installer une baston non-stop entre un papy chercheur d'or et un bataillon nazi dans la Finlande de 1944. Sisu organise donc les rounds avec sécheresse et robustesse, la machine de guerre du film étant plutôt ce colosse mutique dézinguant du soldat allemand avec tout ce qui lui tombe sous la main, d'une pioche à des mines anti-personnelles. Ça gicle dans tous les sens, mais Sisu carbure à une essence inattendue quand Helander se réclame bien moins des films de guerre fauchés ou malsains que des westerns spaghetti voire de Mad Max. Soit une allégeance moins crapoteuse que prévu, en faisant belle révérence à ce qui à la longue est devenu les lettres de noblesse d'un cinéma jugé impur. Le carnage outrancier trouve même une inattendue solennité quand entre deux éclaboussures gores se dessinent aussi ici et là des commentaires sur une Finlande nationaliste prête à tout pour se défendre des colonisateurs ou les débuts du capitalisme marchand. Même si Sisu existe plus au nom du fun défoulatoire d'un divertissement forcément bourrin, il sait pour autant s'en distinguer, que ce soit dans ce fonds inattendu ou sa ludique inventivité dans le charclage !
En salles le 21 juin
21 juin 2023
2:35
MARCEL LE COQUILLAGE AVEC SES CHAUSSURES de Dean Fleischer Camp
Certains héros naissent de petits riens. Il semble que Dean Flesicher Camp s'ennuyait terriblement lors d'un mariage où il était invité. Pour tromper le temps, il se laissa aller à imaginer un personnage de coquillage qui observerait le monde avec des yeux d'enfant. Il en résultera trois courts-métrages d'animation qui deviendront la coqueluche de YouTube. Marcel étant devenu une star virale, lorsqu'il fut proposé à Camp d'en tirer un long-métrage, il pris le parti d'un faux documentaire sur ce coquillage philosophe à la voix éraillée, expliquant son quotidien entre micro-aventures dans la maison où il vit, pleine d'objets démesurés pour sa taille riquiqui et coups de mou quand il pense à sa famille qui a disparu de l'endroit, ne laissant que lui et sa grand mère. Marcel le coquillage avec des chaussures dénote dans le cinéma d'animation actuel par ses airs de conversations entre un mollusque malin et un réalisateur amusé, tous deux tissant peu à peu autant une chaleureuse relation d'amitié qu'un constat commun de leurs solitudes.
Autrement dit, un film d'animation qui sort son registre de sa coquille ?
Un peu comme si les productions Aardman (la maison mère de Wallace & Gromit) ou Laïka (celle de Coraline et Paranorman) s'allongeaient sur un canapé de psy, pour faire le point sur le sens de la vie. Tout est question d'échelle dans Marcel le coquillage avec des chaussures, que ce soit en racontant les petits riens qui font les grands souvenirs où en faisant de la place aux grandes questions existentielles. Ca pourrait virer manuel de développement personnel ou exhumation des mantras de Paolo Coelho, mais Marcel le coquillage avec des chaussures, à l'intelligence de ne pas être dupe, par les remarques lucides et ironiques du crustacé miniature sur l'époque moderne et ses faux-semblants. Ou simplement par la délicatesse avec laquelle les élucubrations sur le sens de la vie glisse peu à peu vers la mélancolie ou l'enthousiasme d'aller voir au delà de sa fenêtre. Aussi inattendue qu'étonnante épopée de l'intime, Marcel le coquillage avec des chaussures se remplit ainsi peu à peu d'émotions crève-coeur, pour être un merveilleux film cocon, mais surtout pas une coquille vide.
En salles le 14 juin
15 juin 2023
2:42
UNE HISTOIRE DE CINEMA DE QUARTIER de Sylvain Perret
A quoi ça tient la cinéphilie ? Sans doute autant aux films qu'à ceux qui vous les font découvrir. Je ne parle pas forcément des critiques, dont l'impact n'a de cesse de s'émousser, depuis l'avènement d'Internet qui a rompu la chaine de transmission entre les films et le public, dont ils étaient un rouage jusque-là immuable, mais de ces passeurs, nourrissant l'envie par la curiosité ou la pédagogie enthousiaste. Dans les années 90, c'est à la télévision qu'on les trouvait encore. Patrick Brion et Claude-Jean-Philippe officiaient brillamment de longues dates aux commandes du Cinéma de minuit ou du Ciné Club tandis qu'Eddy Mitchell faisait le bateleur pour présenter les doubles programmes de La dernière séance, mais n'auront quelque part « que » les émissaires du cinéma officiel. Avec Cinéma de quartier, Jean-Pierre Dionnet aura ouvert une brèche considérable, autorisant des productions mises à la marge par l'intelligentsia, les jugeant impropres à la consommation, à avoir un droit de cité, préfigurant avec des décennies d'avance le choc culturel d'une cinéphilie pop. Cinéma de quartier aura ainsi réhabilité tout un pan de cinéma, essentiellement, européen, rappelant les mérites des péplums italiens, polar allemands, films fantastiques anglais, films de chevalerie soviétiques, sans compter leurs équivalents français et bien d'autres, mais plus encore redéfini une politique des auteurs pour enfin l'associer à des productions populaires.
L'émission s'est arrêtée en 2007, mais a persisté dans la mémoire de ses téléspectateurs, jusqu'au livre de Sylvain Perret, Une histoire de Cinéma de quartier qui paraît aujourd'hui. On y trouve un recensement de la très copieuse liste de films diffusés, qui paraît aujourd'hui incroyable de bon sens au vu de ceux devenus cultes depuis où des cinéastes ayant été depuis adoubés, et plus encore un récit de la création de l'émission qui tient en elle-même non seulement d'un scénario de séries B entre ses multiples rebondissements, mais tout autant historienne de l'autre facette du cinéma, celle de ses mutations économiques et de ses rapports tumultueux avec la télévision. Les tractations pour aller dégotter telle ou telle copie de film étant aussi palpitantes que les négociations quasi-politiques au sein de Canal + ou l'enjeu purement stratégique que devint l'acquisition de catalogues de films pour les chaînes. Perret faisant lui-même un passionnant travail de défrichage, entre la manière dont Jean-Pierre Dionnet, prend des libertés – sans doute pas loin de la légendaire mythomanie d'un Jean-Pierre Mocky (dont certains films auront d'ailleurs été ressuscités par Cinema de quartier) – avec l'histoire ou sa mémoire et les secrets d'alcôve, tenant pour certains d'une realpolitik cathodique pratiquante, lâchés par les commanditaires de l'émission. Ainsi, autant que celle d'une réinvention de la cinéphilie dont Quentin Tarantino n'était pas encore le prophète, Une histoire de Cinema de quartier est aussi celle, passionnante, d'une des dernières grandes révolutions industrielle télévisuelle, celle de l'avènement de Canal Plus et son rôle prégnant d'acteur financier du cinéma. Et même si l'on peut regretter que cet ouvrage soit trop court sur ces coulisses, pour paraphraser les fameuses présentations de Dionnet en introduction chaque mercredi matin, qui firent beaucoup pour l'âme de cet autre ciné-club, « Si vous aimez les utopistes de la culture et les aventuriers de la programmation. Si vous aimez les petites histoires qui font les grandes, alors lisez Une histoire de cinéma de quartier ! »
Edité par Badlands/Carlotta
08 juin 2023
3:46
SICK OF MYSELF de Kristoffer Borgli
Finalement, le terme d'humour à froid a peut-être été inventé du côté des pays nordiques. En tout cas, s'il y a un cinéma qui sait le manier, c'est celui-ci. Même si Bergman ou Dreyer n'auront vraiment pas manifesté un sens aigu de la rigolade dans leurs films, leurs descendants actuels s'y collent pleinement pour aller creuser dans le mal-être de leurs congénaires. Et encore qu'avec Sick of myself, Kristoffer Borgli, va bien au-delà de sa Norvège pour s'attaquer à la problématique universelle de la prépondérance actuelle de l'apparence et son impact sur l'identité. Soit Signe, une trentenaire qui ne supporte tellement plus de ne pas être vue et considérée, qu'elle va s'innoculer volontairement un médicament dont l'effet secondaire est une maladie de peau qui va en faire la coqueluche des médias et réseaux sociaux, mais surtout dégénérer. L'idée qui change tout est que Signe est une ultra-narcissique parmi toute une flopée de personnages égocentriques ou opportunistes.
Sick of myself sera donc un réjouissant jeu de massacre, taclant autant donc les accros à la célébrité que le milieu de l'art (via le petit ami de Signe, artiste contemporain mais surtout escroc) ou celui de la mode dans une partie aussi grinçante qu'hilarante. Au-delà de ce ton gonflé, souvent sur le fil du rasoir, normal quand on veut taillader les travers sociétaux, Sick of myself rejoint autant l'univers d'un John Waters – qui l'a d'ailleurs désigné comme son film préféré de 2022- que les visions rêches d'un Bret Easton Ellis ou d'un Larry David, quand il ne fait pas de prisonniers, se gaussant autant de ceux qui tombent dans le miroir aux alouettes que des néo-béni-oui-ouis qui ne jurent que par l'inclusion. La véritable cible de Sick of myself n'étant pourtant pas cette galerie de personnages, mais d'interroger le désir moderne de tout un chacun d'être considéré, et plus encore d'être plaint par les autres. En logique retour de bâton, Borgli frappe fort avec un film à part, capable de fusionner comédie romantique et body horror pour mieux les vitrioler d'humour très grinçant. Il y est fortement aidé par Kristine Kujath Thorp, actrice décidément audacieuse, vu l'an dernier dans le tout aussi épatant Ninja Baby, autre satire norvégienne des plus mordantes. Entre sa démente performance et l'art de la provoc pas gratuite de Borgli, Sick of myself indique clairement que le meilleur remède contre la civilisation contemporaine, malade de son individualisme, est un féroce traitement de choc.
31 mai 2023
3:06
ACID/Festival de Cannes : bilan
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
29 mai 2023
2:21
ACID/festival de Cannes : Le chant des femmes
26 mai 2023
2:41
ACID/ Cannes : retour au front
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
26 mai 2023
3:16
ACID/ Cannes : C’est la folie !
Alex Masson, notre journaliste cinéma, s'est rendu au Festival de Cannes pour vous dénicher le meilleur de la sélection indé sur laquelle l'ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) braque son objectif.
25 mai 2023
3:02
ACID/ festival de Cannes : On veut du rab de poulet !
24 mai 2023
3:05
ACID/Festival de Cannes : un gout d’ailleurs
23 mai 2023
3:31
ACID / Festival de Cannes : Laissez-moi /Jeanne Du Barry
19 mai 2023
3:01
FESTIVAL DE CANNES 2023
On y est, le grand rituel annuel du cinéma mondial démarre ce soir. Cannes, c'est reparti comme en 40. Quoique, vu la singularité de cette édition, il faudra peut-être revoir la chronologie de cette expression, pour un « c'est reparti comme en 68 », année restée dans les annales comme celle où le festival s'est arrêté en plein envol, rattrapée par les fameux évènements de mai. L'un des invités les plus marquants du cru 2023 risquant bien d'être le réel. Il s'invite rarement dans un festival qui n'aime d'ailleurs pas qu'il lui vole la vedette. La dernière fois, c'était en 2011 avec l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, improbable parasite des festivités, qui éclipsa les sunlights usuellement braqués sur le fameux tapis rouge. Si ça arrive cette année, on sera sans doute moins surpris, le climat social étant plus que tendu depuis quelques mois. D'ailleurs, pour éviter que l'hymne usuel du festival, extrait du Carnaval des animaux de Saint-Saëns, ne devienne la farandole des casseroles, les autorités ont fait le nécessaire en interdisant au préalable tout rassemblement dans un périmètre bunkerisant la Croisette. Ça sera sans doute un peu problématique pour un festival hypermédiatisé qui devra peut-être se passer d'images de populace rassemblée devant la montée des marches. Mais ça fera l'affaire des vendeurs ambulants de parapluie (puisqu'en plus d'une météo sociale orageuse, on annonce de la pluie pendant une bonne partie des agapes) qui se mettront à vendre des jumelles. De quoi nourrir le paradoxe de Cannes, festival ultra-immersif, mais qu'il faut toujours regarder à distance pour mieux le comprendre.
Du coup, qui va décrocher la palme cette année, les films ou les manifs ?
Difficile à dire pour le moment, les films vont se dévoiler au jour le jour. Cela dit s'il faudra attendre le 27 au soir pour le palmarès, une certaine vue d'ensemble s'annonce : la compétition semble plus aventureuse que d'habitude en faisant un peu plus de place à des réalisateurs n'ayant jamais eu ses honneurs ou en n'ayant pas peur des embrouilles avec la génération #MeToo en accueillant plus de films signés par des réalisatrices, fortes en gueule, mais pas forcément en phase avec le néoféminisme, de Catherine Corsini à Catherine Breillat en passant par Kaouther Ben Hania ou Maïwenn qui ouvrira le bal ce soir avec son Jeanne du Barry starring le désormais controversé Johnny Depp. Du côté des sections parallèles, la Quinzaine des réalisateurs, désormais reliftée en plus inclusive Quinzaine des cinéastes, se targue de renouer avec son esprit originel de découvreur/agitateur de talents passés jusque-là sous le radar cannois, au risque potentiel d'une sélection trop arty. Elle taillera pour autant peut-être des croupières à une Semaine de la critique toujours focalisée sur les premiers et seconds films, mais visiblement pour privilégier cette fois-ci les œuvre à sujet et non le renouveau ou l'inventivité formelle. De quoi conforter la montée en puissance ces dernières années de l'ACID et ses films indépendants ? On en reparle dès demain, avec une prise de température tous les soirs, ou presque, à 18 h, mais clairement cette année, dans les salles comme les rues, Cannes sent la bagarre.
16 mai 2023
3:22
SAKRA, LA LEGENDE DES DEMI-DIEUX de Donnie Yen
Certaines stars vieillissent mal. Pas forcément de manière volontaire. Le cas des très grands noms du cinéma hong-kongais en est assez symptomatique. Depuis la rétrocession de l'ex-colonie britannique à la Chine, la plupart ont compris qu'il fallait désormais se tenir à carreau et en rien faire ni dire qui ne déplaise au régime de Xi Jinping, sous peine de voir une censure qui veille au grain trapper les films, voire les carrières, en étant mis physiquement au placard ou totalement effacée d'Internet, comme certaines actrices chinoises ont pu en faire les frais. Certaines légendes ont donc fini par retourner leur veste encore plus rapidement que leurs coups de pieds, probablement plus pour pouvoir continuer à tourner que par conviction. C'est risqué dans le cas d'un Jackie Chan, devenu porte-voix de la propagande officielle au point d'avoir intégré en tant que conseiller le parti communiste chinois, mais désormais renié par ses fans hongkongais. Ça peut être payant, comme pour Donnie Yen, lui aussi devenue mascotte officielle du parti, mais dont les films continuent à triompher sur les écrans à l'ombre de la grande muraille. Avec un cas de conscience, quand ces films, s'avèrent d'excellents divertissements comme Sakra.
Mais alors est-ce que ça craint d'aller voir Sakra ?
Pas si l'on y va avec l'envie de voir une alternative aux blockbusters américains ou si l'on est nostalgique des Wu Xia Pian, ces films de sabres en costumes hongkongais, puisque c'est dans ce registre qu'officie Sakra, film distribuant allègrement scènes d'actions virtuoses. Ne serait-ce que pour renouer avec une formidable puissance physique ou un sens épique de l'héroïsme à l'ancienne, qui justement est devenue désincarnée dans un cinéma américain ayant chassé tout sens de l'organique depuis l'avènement des effets visuels numériques. Même en se perdant dans les méandres des clans et dynasties, ourdissant complots sur complots, il y a une vraie jouissance à voir le quasi-sexagénaire Yen et ses cascadeurs se livrer à de phénoménales prouesses. Mais il reste aussi une brèche ouverte à une lecture politique, quand le véritable sujet de Sakra reste le rachat possible de la réputation entachée d'un chef de bande, interprété par Yen. Il évoque d'ailleurs trop de fois ici les notions d'intégrité et de morale pour que ce ne soit qu'une allusion. De même, le principe de retourner, dans les techniques d'arts martiaux comme dans l'écriture, aux bases du Wu Xia Pian, tel qu'il se pratiquait à Hong Kong avant la rétrocession, ne peut être innocent. Encore moins celui d'un personnage qui tente de remonter la piste de son passé, pour renouer avec ses origines. Son périple l'amenant à prendre conscience d'un héritage social et culturel. Sakra se termine avec la promesse d'un second volet. Il se fera forcément sous surveillance de la censure chinoise, mais on est déjà curieux de voir si en sous-main, le propos, un peu plus subversif que prévu, s'y maintiendra.
10 mai 2023
3:15
UN AN UNE NUIT d’Isaki Lacuesta
Pour un cinéma réputé comme ayant du mal à s'inspirer de l'histoire récente, la production française se sera bien rattrapé en ce qui concerne l'attentat du Bataclan. Depuis l'automne dernier, se seront succédés une demie-douzaine de films, de Revoir Paris à Novembre revenant sur ce traumatisme. Petit paradoxe temporel, Un an, une nuit, les aura structurellement précédé mais n'arrive sur les écrans qu'en dernier, même s'il a été présenté au festival de Berlin en 2022. Cette faille dans l'espace-temps va plutôt bien au film d'Isaki Lacuesta, qui en fait plus qu'un récit de l'évènement sa matière. Soit le parcours, raconté autant par l'avant, le pendant et l'après attentat, d'un couple. Mais aussi par le ressenti d'un cinéaste catalan qui se trouvait quasiment sur place, le soir du 13 novembre 2015. Un an, une nuit fractionne donc cette traversée de l'enfer et plus encore les séquelles psychologiques qu'endurent Ramon et Céline chacun devant faire face à la culpabilité des survivants, les souvenirs de cette nuit ou la pitié de leurs proches, mais à leurs propres rythmes.
Lacuesta organise autour d'eux les morceaux d'un puzzle formaliste, structure logique, car sans doute la seule pour exprimer un chemin de résilience multiple, en tant qu'individu et que couple. Et plus encore pour incarner l'entrechoc des phases de reconstruction, du déni à l'acceptation, de la colère à la dépression ou la manière dont ce processus se bâtit. Mais aussi pour donner littéralement corps à ces étapes, par une mise en scène ultra-sensorielle, quasi tactile. Nahuel Perez Biscayart et Noémie Merlant y faisant incroyablement écho par de monumentales interprétations impliquant le langage corporel, comme pour mieux faire ressentir ce que les mots ne peuvent pas exprimer dans une telle situation. Un an, une nuit, parvient ainsi à tenir à l'écart toute exploitation voyeuriste de cet attentat en associant approche semi-documentaire et mélo moderne avec la même frontalité ou en plaçant ce couple sous un microscope pour mieux traquer des pulsions de vie capables d'éradiquer celles de mort, et avant tout la capacité à ne pas vouloir rester défini comme les proies d'un syndrome post-traumatiques mais comme ceux qui finissent par s'en délivrer, quitte à ce que ce soit en devant faire le deuil d'un amour.
En salles le 3 mai.
03 mai 2023
2:52
AMEL & LES FAUVES de Mehdi Hlimi
Comment ça va le cinéma tunisien ? Amel et les fauves répond à la question avec une belle ambiguïté. Ça va très bien si on se place d'un point de vue technique, le film de Mehdi Hlimi arborant une remarquable forme de polar social. Ça va moins bien si on se penche sur ce qu'il raconte du pays. Une vision trouble, mais avant tout double, quand s'entrecroisent les parcours d'une mère et d'un fils. Elle, ouvrière, lui qui rêve d'être footballeur. Entre les deux, un état des lieux mordant quand cette mère se retrouve en prison suite à une fausse accusation d'adultère, son fils se perdant dans le monde de la nuit, la dope et la prostitution. Amel et les fauves aurait donc tout du mélo familial à faire pleurer dans les chaumières façon Zola de la casbah, mais Hlimi est avant tout animé par une rogne tenace. Celle qui l'autorise à avoir un regard franc, cru sur un Tunis aux airs de fabrique de l'humiliation sociale à tous les niveaux, pratiquée par les dealers comme par les patrons d'entreprises. Le bilan désillusionné d'une révolution du jasmin qui n'a jamais bourgeonné sent le compromis et la fatalité. Un peu comme si la vie était un match de foot truqué. Notamment pour Amel, prête à balancer une collègue de son usine en échange d'un coup de piston pour son fils, mais qui se retrouvera sur le banc de touche en finissant derrière les barreaux. Hlimi se fait arbitre qui connaît particulièrement les règles pipées, son film grandement inspiré de sa propre adolescence, fait des jongles avec l'autofiction. Derrière cette histoire de cordon ombilical déchiré par la corruption, il y a pourtant une quête de père. Pas celui du film, qui apparaît comme intermittence, mais surtout comme une peine perdue, mais ceux de cinéma, Hlimi invoquant, dans son portrait de femme comme dans celui de la jeunesse, les influences de John Cassavetes ou Abdellatif Kechiche. Au vu du résultat, à la fois sensible et percutant, on peut déjà lui décerner le statut d'un bel enfant de cinéma.
26 avril 2023
2:14
MAD GOD de Phil Tippett
25 avril 2023
2:23
BLUE JEAN de Georgia Oakley
On ne rappellera jamais assez à quel point le cinéma anglais sait être un formidable porte-voix du social, métamorphoser des chroniques de vie ordinaire en piqûre de rappel politique. Ainsi de Blue Jean, le premier long métrage de Georgia Oakley, ramenant à l'ère Thatcher. En 1988, Miss Maggie s'apprête à faire voter la section 28, une loi interdisant la promotion publique de l'homosexualité. De quoi renforcer la volonté de Jean, une prof de sport, de dissimuler qu'elle est lesbienne. Manque de bol, une des ses élèves en pleine découverte de sa sexualité, va la croiser dans un bar gay, entrainant un cas de conscience chez l'enseignante : continuer à tout mettre sous le tapis ou devenir un modèle pour l'adolescente en faisant son coming out ?Blue Jean va à rebours de la plupart des films LGBTQ en se focalisant sur ce choix à faire qui va tarauder Jean, jusqu'à la faire paniquer à l'idée de sortir de la routine d'une vie sociale mise littéralement au placard, de ne plus devoir faire profil bas pour enfin protester contre cette loi.
Mine de rien, Blue Jean bouscule les poncifs du cinéma queer en doublant un récit d'apprentissage, celui d'une ado, par celui d'une adulte découvrant la difficulté de revendiquer son identité. Oakley renouant, elle avec le cinéma de la nouvelle vague anglaise, le fameux kitchen-sink movie, ce cinéma d'intérieur domestique aussi néo-réaliste que militant. Avec le bonus troublant de la distance envers une Angleterre d'il y a trente-cinq ans, abolie par la modernité du jeu de l'actrice Rosy McEwen, comme pour rappeler que si la section 28 n'est plus d'actualité depuis longtemps, devoir s'affirmer pour défendre son statut ou sa place dans un environnement social hostile le reste plus que jamais. Oakley en faisant quasiment un motif de thriller psychologique, quand Jean oscille de plus en plus entre paranoïa et dépression nerveuse, Blue jean la confortant dans un processus de réappropriation de soi, y compris quand celui-ci amène le risque de perdre son boulot ou sa réputation, en devenant peu à peu, un parfait manuel d'émancipation du qu'en dira-t-on, mais plus encore de rébellion face à la pression sociale. Et faire d'une brillante étude de caractère, un film qui assume pleinement le sien tout en alarmant sur les dangers de l'inaction.
19 avril 2023
2:48
LA DERNIERE REINE de Damien Ounouri et Adila Bendimerad
18 avril 2023
20:24
LOUP & CHIEN de Claudia Varejao
Le Portugal c'est aussi une île. Claudia Varejao y tient jusque dans le prologue de Loup & Chien, où il a clairement énoncé que c'est le meilleur type de territoire pour parler d'identités en construction. Donc celles d'Ana et Luis qui n'ont jamais quitté Sao Miguel, petit bout des Açores, endroit paradisiaque, mais perclus d'immuables traditions. Pas l'endroit rêvé donc pour épanouir ou assumer son homosexualité. Pour autant, Loup & Chien n'est pas une histoire de coming out. Varejao cherche plutôt à donner des couleurs à des zones grises, à un entre-deux dont il n'est jamais simple de se dépêtrer. Il est clairement question ici de cohabitation, entre les rituels et la modernité, les urgences de la jeunesse et un environnement en dehors du temps. Jusqu'à ce fond mi-docu renforcé par le passif de la réalisatrice et l'emploi d'acteurs non-professionnels réels habitants de l'île ou ce titre, référence à un poème du 16e siècle, mais révélateur des difficultés très actuelles d'être soi. Voire cette image numérique, donc très contemporaine qui recherche pourtant le grain de la pellicule à l'ancienne.
Mais est-ce qu'en suivant deux ados dans leurs désirs, Loup & Chien montre les crocs ?
Non. Et c'est ce qui fait la beauté de ce film : cette volonté de ne pas être dans l'antagonisme à tout prix. Conforter la possibilité d'une éventuelle harmonie, d'un terrain d'entente entre valeurs conservatrices et envies de libertés. Ce qui s'incarne à l'écran dans une atmosphère fuyant autant que possible l'agressivité, lui préférant une humeur étonnante de teen-movie hypnotique, sa combinaison de somptueuses images rêveuses et de personnages volontaristes pour s'affirmer dopant un cinéma portugais d'auteur souvent assoupi dans sa part contemplative. Le tout conférant des airs inédits de chronique de mœurs par un Pasolini sous Saudade, par son principe de voyage intérieur, mais pour ne plus être son propre touriste, son esquisse d'une nature humaine adoucie, mais protégeant sa part de désir animal. Entre loup et chien, espèces différentes, mais finalement si proches, donc.
En salles le 12 avril
12 avril 2023
2:42
L’ETABLI de Matthias Gokalp
Il y a parfois de drôles de coincidences, des résonnances inattendues qui prennent l'ampleur d'un coup de tocsin. Il n'aura échappé à personne que le pays est ces temps-ci à bout. A bout d'une cinquième république qui s'effrite, à bout d'un dialogue de sourds entre classes populaires qui ruminent leur colère et gouvernement qui s'enferme dans une idéologie libérale. Le ton et les barricades montant de concert, l'impression d'avoir été avalé par une machine à remonter le temps qui ramènerait vers la cocotte-minute de Mai 68 se cristallise. 68 c'est l'année ou Robert Linhart, un universitaire se fait engager comme OS dans une usine Citroën pour tenter de ranimer un feu révolutionnaire déjà en train de s'éteindre. Il en tirera dix ans plus tard un livre, L'établi, récit de cette expérience, qui deviendra un manuel du militantisme gauchiste. Dix ans, c'est plus moins le temps qu'il aura fallu à Matthias Gokalp pour en tirer un film. Et paradoxalement celui pour se faire rattraper par une époque où le rapport au travail est redevenu un enjeu crucial, voire d'avenir.
Et du coup un film qui remet l'ouvrage sur le métier ?
Plus que jamais : au delà d'une reconstitution plus vraie que nature du monde ouvrier d'il y a cinquante ans, mais aussi la reconstruction d'un cinéma engagé qui a longtemps déserté la production française, L'établi sidère par sa superposition des contextes, celui d'hier et celui d'aujourd'hui se rejoignant dans une description commune d'un monde rongé par le capitalisme et de son besoin d'utopies rêvant d'en finir avec lui, d'une hiérarchie entre bourgeoisie et prolétariat reposant déjà sur une exploitation des seconds par les premiers. L'établi s'extraie rapidement de sa gangue de film d'époque tant ce qu'il désigne, de l'usure du travail à la chaîne à la précarité entretenue ou un maintien de l'ordre par la répression fait écho à la situation actuelle, la fiction sur hier se faisant quasi documentaire sur aujourd'hui. Y compris dans les nuances qu'amène un scénario n'occultant pas des doutes et des failles dans le combat mené par Linhart. Un recul étonnamment consumé par l'urgence du moment à repenser les choses, si tant est qu'il y en aie encore la possibilité avant l'échéance d'un conflit généralisé. A ce titre, L'établi, s'adresse sans doute plus aux jeunes générations militantes qu'à ceux qui ont vécu l'après-mai 68, dans un mélange à fois de désillusion et d'espoir quand pendant une scène forte, Linhart lance qu'il « trouve légitime de rêver un monde meilleur. Et peut-être aussi de le faire ». L'impact de ce beau film est dans ce « peut-être » invitation à achever désormais ce qui n'a pas pu avoir lieu alors.
05 avril 2023
3:07
MIKE DE LEON, PORTRAIT D’UN CINEASTE PHILIPPIN EN HUIT FILMS
MIKE DE LEON : MADE IN PHILIPPINES
Une rétrospective (en salles et en Blu-ray) révèle la carrière de Mike De Leon, figure du cinéma philippin, jusque-là passée sous les radars français. À tort quand il apparaît aussi brillant manieur de genres que chroniqueur social. Attention, découverte majeure.
29 mars 2023
3:01
DE GRANDES ESPERANCES de Sylvain Desclous
Il faut avoir les épaules solides pour intituler un film De grandes espérances. Au minimum par la référence au classique éponyme de Dickens. Qui en apparence n'a pas grand-chose à voir avec le nouveau long métrage de Sylvain Desclous, sauf peut-être l'idée de suivre un transfuge de classe. En l'occurrence, une, Madeleine, fille de prolo qui prépare l'ENA, voire a quasiment déjà intégré sa sphère sociale en vivant avec un fils à papa. Un accident qui les implique va bousculer leurs ambitions. À partir d'un principe de thriller psychologique, De grandes espérances vire à une lecture de ce qu'une partie de la classe politique nomme le roman français. Soit une histoire collective, abordée au travers d'une militante qui devient peu Rastignac manipulatrice. Desclous tricotant habilement les ambiguïtés quand la noblesse des idéaux se dissout dans les règles pipées de la conquête du pouvoir. Celui politique, mais aussi celui de l'intime, quand De grandes espérances raconte aussi comment se fomentent les coups bas d'une guerre conjugale. Le véritable suspense de ce film résidant dans ce choix : que faut-il laisser derrière soi, jusqu'où faut-il aller pour pouvoir incarner ses convictions ?
Desclous avait déjà approché ce terrain, l'an dernier, sous un angle documentaire avec La campagne de France, coulisses d'une élection municipale où s'affrontaient outsider improbable et maire aguerri. Curieusement, les armes incisives et la belle part romanesque de la fiction procurent à De grandes espérances, une sensation plus aiguë du réel, quand cette peinture de l'effritement de l'élément humain, dès qu'il se frotte à la mécanique politique, a quelque chose d'éminemment crédible dans ce qu'il exprime, sans manichéisme, de la fragilité de l'éthique. En ne renonçant par ailleurs jamais à combiner très efficaces ressorts narratifs de film de genre et très clair discours engagé (entre autres par des dialogues cinglants ou de phénoménales séquences se déroulant dans une usine menacée de plan social), De grandes espérances propose, comme son héroïne jusqu'au boutiste, un programme de réforme d'un cinéma français peu téméraire quand il s'agit de scruter les complexités de la morale ou mettre ainsi les mains dans le cambouis. Quitte à s'intéresser, comme ici, à la manière dont on peut se les salir quand on veut changer le monde.
En salles le 22 mars
22 mars 2023
2:47
Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois de Yuzo Kawashima
Allez savoir si c'est parce qu'il s'est fait aux antipodes, et a donc longtemps eu du mal à franchir les Océans qui nous en séparent, mais le cinéma japonais reste un terrain à débroussailler, un territoire à explorer, tant certains de ses cinéastes restent inconnus ici. Il y a deux ans, la découverte de l'œuvre de Kinuyo Tanaka réalisatrice faisait décrocher la mâchoire ; elle a tout pour rester déboitée par celle aujourd'hui de Yuzo Kawashima. À domicile, le corpus de celui qui fit la collure entre le cinéma classique des années 50 et la nouvelle vague locale la décennie suivante est adoubé de longue date. Ici, même au compte-gouttes, avec l'apparition en Blu-ray de trois films sur les quarante-sept qu'il a réalisé, cela reste une révélation sidérante. Ne serait-ce qu'en découvrant un réalisateur d'une phénoménale fluidité, franc-tireur capable de naviguer entre les divers grands studios japonais comme entre les registres, signant autant des mélos âpres que des comédies égrillardes.
Un réalisateur prolifique, mais qui ne s'éparpillait donc pas.
Même si Le temple des oies sauvages, Les femmes naissent deux fois et La bête élégante ne sont qu'un maigre échantillon du cinéma de Kawashima ; aussi éloignés soient-ils (un mélo, un film noir en costume et une comédie noire), ils esquissent la vision d'un réalisateur scrutant un Japon en plein entre deux, pas pleinement sorti de l'humiliation de la seconde guerre mondiale, mais déjà dans une volonté de reconstruction capitaliste. Tout est de toute façon question de regard chez Kawashima, posant régulièrement sa caméra dans des coins improbables, observant les personnages se débattre depuis des placards, des toilettes, voire une fosse septique ou à travers des cloisons ou des rideaux. Comme pour avertir qu'il y aura quelque chose de biscornu chez cette faune à visage humain. Ainsi la vie de famille de La bête élégante vire à la chronique d'un clan d'escrocs ayant perdu tout sens moral tandis que la vie d'un moine bouddhiste dans Le temps des oies sauvages mue en drame de la jalousie et dans les femmes naissent deux fois, le quotidien d'une geisha en récit d'une marchandisation généralisée des rapports et des valeurs. La stupéfiante mise en scène de Kawashima confortant la dissection d'une identité japonaise fracturée. Plus sidérante encore, cette absence de démonstration, d'appui, d'une dénonciation, le propos de ces films est encore plus marquant quand il n'est pas martelé par un style baroque ou du cynisme. Le naturalisme proche du néoréalisme italien avec lequel Kawashima filme des situations extrêmes les rend encore plus troublantes. Ces trois Blu-ray n'ayant qu'un seul défaut : donner sacrément envie de voir d'autres opus de ce cinéaste particulièrement singulier.
Le temple des oies sauvages, La bête élégante, Les femmes naissent deux fois. Badlands éditions.
16 mars 2023
2:57
THE HOST de Bong Joon-Ho
Depuis le triomphe, en 2020, de Parasite – entre une palme d'or et une palanquée d'Oscars, le grand public français connaît le nom de Bong Joon-Ho. Ça n'a pas toujours été le cas. À sa sortie en 2006, son troisième long métrage et l'un de ses films les plus ambitieux, The Host, s'est même pris une colossale taule en salles, dégageant très rapidement de nos écrans. Peut-être parce qu'ici, le spectateur lambda n'était pas encore prêt à un cinéma sud-coréen envoyant valdinguer les codes de récit classiques, capable comme ici de fusionner ceux du film de monstre, du film social et du récit d'apprentissage. Croiser les univers de Ken Loach et Godzilla était probablement encore un peu too much pour les regards occidentaux, ou donnait simplement un film pas simple à marketer, encore moins quand sous l'apparence d'un blockbuster se nichait un fond engagé. Dix-sept ans plus tard, la culture globalisée a mondialisé celle sud-coréenne, de l'appétit pour le Kimchi à celui pour la K-Pop. Un contexte bien plus favorable à la réapparition, voire une seconde vie de The Host dans nos salles
Du coup, faudrait-il se réengager vers ce film plus engagé qu'il n'y paraît ?
Absolument, quand au-delà de la maestria avec laquelle Bong Joon-ho enchevêtre mélo familial et donc film de monstre à travers la quête désespérée d'un père pour aller sauver sa fille des griffes d'une créature géante, on lira bien plus facilement entre les lignes, le côté pamphlétaire d'un réalisateur taclant de manière très frontale une société sud-coréenne peu tendre avec ses prolos, jusqu'à faire d'un état défaillant, le véritable monstre de cette affaire. Bien plus que par son carambolage des genres, The host est un film en état de rébellion quand il explore l'éveil d'un père (génialement joué par le non moins génial Song Kang-Ho) qui est aussi un citoyen de plus en plus en rogne contre l'abandon des institutions. Sans oublier un coup de gueule écolo - le film est en partie inspiré des dégâts environnementaux causés en 2000 par des rejets chimiques américains dans le Han, rivière qui traverse Séoul. Les scènes de quarantaine du film de 2006 faisant d'ailleurs curieusement échos à la débâcle sociale asiatique lors de l'irruption de la Covid-19. Idem pour la vision d'un état dénigrant, voire ignorant sa population précaire. Tout ce qui faisait de The host un film trop décalé lors de sa première sortie est devenu d'une totale cohérence aujourd'hui. Il est donc grand temps d'aller voir ou revoir, un film monstrueux, mais aux sens jouissifs et qualitatifs du terme.
Reprise en salles, le 8 mars.
08 mars 2023
2:56
L’INCROYABLE ALLIGATOR de Lewis Teague
À voir les sorties en salles cette semaine, il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Une bestiole sacrément affamée va cependant sauver cette chronique tout en ramenant à une période de cinéma américain plus folle qu'on le pense. Il faut se souvenir des années 80 comme un nouvel âge d'or pour les séries B quand cette décennie aura aligné les films aux pitchs les plus saugrenus, exploitant les moindres tendances sociétales ou faits divers. Ainsi L'Incroyable alligator s'est inspiré d'une mode éphémère qui transforma les animaux exotiques en domestiques, voyant débarquer dans des foyers urbains des araignées, serpents et autres bébés crocodiles. La plupart finissant balancés vivants aux toilettes, une fois que les marmots ne les trouvaient plus si mignons que ça. Il en naquit une légende urbaine selon laquelle, un alligator aurait survécu dans les égouts de New York, pour y grandir et commencer à boulotter les chiens errants puis les humains. De quoi faire les affaires de producteurs mercantiles qui y virent de quoi renouveler la vague de sous- Dents de la mer qui écumait les écrans. Mais aussi de quoi redonner du travail à des gens formés par Roger Corman. Parmi eux, un certain John Sayles, réalisateur qui finançait ses propres films d'auteur en pondant des scénarios pour le pape de la série B cheap, mais ultra-rentable. Après avoir rédigé celui de Piranha, un des meilleurs ersatzs en carton du film de Spielberg, le voilà engagé pour peaufiner celui de L'incroyable alligator.
Donc un scénariste qui avait les crocs, mais est-ce que cela suffisait à rendre cet Alligator appétissant ?
Assurément quand, grâce au travail de Sayles, ce film se nourrit, plus que des festins du reptile, de piques envers les institutions de la police aux journalistes pour devenir une satire mordante de l'american way of life sous Jimmy Carter, renforcée par des personnages joués au premier degré. Il s'est souvent dit que ce ton novateur de divertissement bon enfant essayant de commenter les travers de son époque a été une des influences de Quentin Tarantino pour écrire certains rôles de Jackie Brown, dont celui de Max Cherry, ancien flic fatigué de la vie, qu'il confiera à Robert Forster, justement interprète principal de L'incroyable Alligator. Pour sa composition chez Tarantino, l'acteur récoltera une nomination à l'Oscar du meilleur second rôle. À revoir cette série B bien torchée, qui réapparait – accompagnée de sa suite, plus nanardesque - aujourd'hui en Blu-ray, il est évident que jamais, elle n'aurait décroché un tel honneur, mais aussi que ce film-là, certes fauché dans ses effets, mais riche de son sous-texte brocardant sa conscience d'être un pur produit commercial, valait bien mieux, par son honnêteté ou son auto-ironie, que la majorité des blockbusters actuels, dévorés, eux, par une inconsistance scénaristique ou un certain cynisme.
L'incroyable Alligator/ Alligator 2 : la mutation. (Carlotta)
01 mars 2023
3:17
LAST DANCE de Coline Abert
22 février 2023
12:29
BERTRAND TAVERNIER, L’INTEGRALE OU PRESQUE.
Il y a bientôt deux ans mourrait un ogre. Bertrand Tavernier était plus qu'un cinéaste, un homme de cinéma. Au sens le plus ontologique du terme, tant il se nourrissait intellectuellement, quasiment physiquement, de films. Quiconque l'a croisé se souvient encore de son flot débordant, de son savoir encyclopédique, de la passion qui l'animait, jusqu'à en être vital. Au point qu'il écrira cette phrase aussi forte que poignante : « l'amour du cinéma m'a permis de trouver une place dans l'existence ». Par effet retour, sa filmographie aura-t-elle existé pleinement auprès du grand public, pour alimenter une discussion au long cours, sur plus de quarante ans, de son premier long-métrage, L'horloger de Saint-paul (1974) au dernier, Voyage à travers le cinéma français (2016). Vingt-six échanges, souvent pour faire, à travers de nombreux registres, un état des lieux sociétal. La grande majorité ressort en salles cette semaine.
Une manière de lui rendre la politesse par un même inventaire ?
À voir ainsi rassemblés vingt-deux des films de Tavernier, il y a un fil rouge qui se tisse, cette capacité, pour celui qui était un historien vivant du cinéma, à documenter la France contemporaine, à s'attacher au réel, y compris au travers de films en costume. Celui qui conseillait avec verve de se pencher sur le cinéma d'antan se sera échiné à regarder, être un témoin de son époque. Bien sûr, il y eu la défense acharnée des institutions de service public avec la chronique lucide et cinglante des commissariats avec L.627 ou des écoles avec Ça commence aujourd'hui, mais aussi, en arrière-fond, des récits de luttes des classes sociales dans Le juge et l'assassin ou Que la fête commence, toutes attestations d'un réalisateur citoyen et engagé, très loin de l'académisme qu'une partie de la critique lui aura prêté à tort. Mais surtout, cette rétrospective est aussi une manière de faire réémerger, via ceux plus méconnus ou oubliés, d'Une semaine de vacances à Des enfants gâtés, une veine toute aussi militante, mais plus intime, plus à voix basse. C'est sans doute ce Tavernier là, plus discret, qu'il faut redécouvrir, pour compléter le portrait d'un cinéaste, plus proche qu'on le pensait d'un Claude Sautet, dont il aura été une version plus prolétaire, mais aussi celui d'un homme qui dissimulait sans-doute derrière le volume tonitruant d'une faconde gargantuesque de passeur d'images et de culture, plus de failles et de doutes que prévu.
En salles le 15 février
15 février 2023
2:57
LA TOUR de Guillaume Nicloux
Certains cinéastes sont énigmatiques. C'est le cas de Guillaume Nicloux. Depuis trente ans, ils signe des films très singuliers, jonglant avec les registres, capable au-tant de revisiter les arcanes du film noir, du Poulpe à La clef, que d'inventer une autofiction à Michel Houellebecq, relire Diderot avec une adaptation de La religieuse ou Joseph Conrad avec Les confins du monde voire d'envoyer Monica Bellucci se faire transformer en ours dans Le concile de pierre. Autant de films éloignés les uns des autres sur la forme que rapprochés sur le fond quand ils psychanalysent les angoisses existentielles du genre humain. Le nouvel opus de Nicloux, La tour, reliant pleine-ment ces fils, en se rapprochant à la fois plus clairement d'un cinéma de genre, la sé-rie B fantastique et d'une étude des réflexes tribaux. Le pitch est aussi simple qu'effi-cace : une tour HLM se retrouve entourée d'une obscurité totale qui absorbe tout ce qui sort. Le fonds lui est dense quand il ne vise rien moins qu'à raconter comment pour survivre pendant des années, les habitants vont retourner à une civilisation pri-mitive et sauvage.
Est-ce que pour autant cela fait grimper le cinéma dans les étages ?
Oui et non. Oui, parce que La tour est une tentative courageuse de cinéma fantas-tique français dans son refus des concessions jusqu'à assumer son nihilisme, capable du coup de rejoindre la vision désespérée des meilleurs films de John Carpenter ou de grands romans d'anticipations comme, forcément IGH de J.G Ballard auquel cette genèse d'un déclin de civilisation fait penser. Non, parce que l'écriture des person-nages reste un brin monolithique ou le récit parfois purement fonctionnel. Ce qui n'empêche pas La tour d'être plus que saluable en tenant son cap de film malaisant et peu aimable, mais encore plus de révéler derrière sa table rase d'une société pour retourner à ses racines claniques, des craintes tout aussi personnelles qu'enfantines, de la peur du noir à celles de l'abandon mais aussi celle, plus terrible pour un ci-néaste que même le cinéma ne puisse plus rien sauver, que le faisceau de lumière des projections devienne lui aussi englouti par un obscurantisme contemporain ga-gnant jusqu'à la foi dans les histoires ancestrales. Même dans ses maladresses, La tour, est touchant par sa détresse, sa trouille panique que tout finisse par un irrémé-diable fondu au noir.
En salles le 8 février.
08 février 2023
2:58
LA MONTAGNE de Thomas Salvador
Thomas Salvador n’est pas qu’un cinéaste rare (deux longs-métrages en huit ans…), il fait aussi des films qui le sont. Ascension aussi existentielle que physique d’un type ordinaire qui va faire une rencontre extraordinaire lui permettant de se ressourcer, La Montagne gravit des sommets d’inventivité, de grâce mais aussi de douceur pour exprimer la saturation d’une marche du monde qui persiste à aller de traviole. Après des chaussures et une doudoune pour aller réellement tourner en altitude, Thomas Salvador et sa très belle science naturelle, est redescendu faire un tour au micro de Nova.
En salles le 1er février.
01 février 2023
10:33
AMORE MIO de Guillaume Gouix
On connaissait Guillaume Gouix comme excellent acteur, ayant le don d'apporter des nuances à de nombreux personnages, dans des univers allant du polar à la chronique de mœurs. Il laissait transparaitre une sensibilité et un attrait pour la complexité humaine. Elle est encore plus présente dans son premier long-métrage de réalisateur. Amore Mio embarque deux sœurs dans un road-trip, à la fois fuite de la douleur d'un deuil et reconstruction de liens d'enfance effilochées par la vie. Il y a quelque chose d'humble et de bravache à la fois dans ce film en apparence petit mais immense d'empathie, autant porté par un fantastique duo d'actrices, Elodie Bouchez et Alyson Paradis que par une mise en scène ayant des envie de prendre l'air, d'envoyer bouler les codes. Les deux comédiennes et leur réalisateur sont au micro de Nova.
En salles le 1er février
30 janvier 2023
27:12
THE PAINTED BIRD de Vaclav Marhoul
La guerre c'est dégueulasse mais ça fait des films stupéfiants. Du moins quand ils osent la regarder en face, ne pas flancher devant ses atrocités. Ceux-là se comptent sur les doigts d'une main. Un décompte qui se réduit quand comme The painted bird, certains ne se contentent pas d'aller au front. Le film de Vaclav Marhoul ne va d'ailleurs quasiment jamais sur le champ de bataille pour suivre un orphelin dans l'Europe de l'Est rurale. La seconde guerre mondiale reste une toile de fond pour cette odyssée façon Rémi sans famille, en plus cruel. Le gamin n'a pas de nom, n'est que le témoin d'une humanité retournée à son animalité. De rencontre en rencontre, sa découverte du monde adulte ne sera que douleurs et sévices.
En dépit d'une brutalité au bord du sadisme, même quand il est excessif, The painted bird s'élève pourtant au-dessus de la complaisance. Entre autres par des ambiguïtés, lorsque les personnes les plus rudes avec ce môme sont celles généralement dépeintes comme des victimes de conflit ou à l'inverse, celles qui lui montrent un minimum de compassion portent l'uniforme des bourreaux. De même, si l'ombre de la Shoah enserre ce film, il n'est jamais certain que ce martyr en culotte courte soit juif, mais assurément un enfant instrumentalisé et rejeté, faisant l'apprentissage, psychologique comme physique, de la violence comme seul horizon. Ce, sans quasiment prononcer une phrase de tout le film. Normal, quand il n'y a plus de mots pour relater l'horreur de cette période. Le plus sidérant restant la terrassante beauté plastique de The painted bird, porté par un noir et blanc au delà du sublime, alliance d'ivoire et de charbon, confortant les liens de descendance avec L'enfance d'Ivan, le classique de Tarkovski lui aussi récit d'une enfance massacrée. Au-delà de la difficulté qu'éprouveront certains à supporter la dureté de certaines scènes dans un tel écrin, il pose évidemment la question d'esthétiser la guerre. Mais c'est pour mieux la détourner quand derrière cette fusion dérangeante entre lyrisme et fange, le choix de la bichromie renforce avant tout un propos sans équivoque, donnant aux zones grises de l'espèce humaine, la teinte amère des cendres.
En Blu-ray (Spectrum films)
26 janvier 2023
2:36
ASHKAL de Youssef Chebbi
En décembre 2010, Mohammed Bouazzini, un vendeur ambulant de fruits et légumes s'immolait devant la préfecture de Sidi Bouzid en Tunisie pour protester contre ses conditions de vie. Un suicide qui allait embraser le pays et au-delà pour devenir l'étincelles fondatrices du Printemps arabe.
Treize ans plus tard, Ashkal, s'en fait l'écho tout en voulant faire le point sur la refondation sociale de la Tunisie depuis le départ de Ben Ali du pouvoir. Le film de Youssef Chebbi suit l'enquête de deux flics, un vétéran soupçonné d'avoir été corrompu et une jeune recrue idéaliste sur un cas étrange : un corps calciné a été retrouvé dans le chantier d'un authentique programme immobilier de résidences pour la haute bourgeoisie, commandité sous Ben Ali puis abandonné. D'autres suivront. Sont-ils des témoins gênants pour une police qui essaie de faire oublier des méthodes peu glorieuses via une commission Vérité et réhabilitation ou une résurgence surnaturelle des espoirs brisés de la population ?
Entre film noir et fantastique, Ashkal confirme la volonté d'une production du maghreb de renverser les codes, de raconter comment rien n'a vraiment changé dans cette période post-révolution, tout en revoyant les fondamentaux du cinéma local. L'enquête de ces deux flics déborde de son cadre de polar procédural pour interroger les attentes structurelles de la société tunisienne d'aujourd'hui et se demander comment on passe à la suite. En brûlant tout ce qui tient du passé pour mieux renaître de ses cendres ou en continuant à entretenir la flamme d'une population qui reste en rogne ? Dans la réalité, l'Etat tunisien à choisi : la réelle commission - qui s'intitulait Vérité et dignité- a, en dépit de preuves flagrantes, tout ignoré, fait le choix de l'amnésie en guise d'amnistie. Chebbi y rétorque dans son film par une sorte de croque-mitaine sans visage qui tient à la fois d'une force vengeresse et d'un espoir. Le mot Ashkal se traduit en français plus ou moins par silhouette ou schéma. C'est bel et bien ceux d'une société à venir que tente d'esquisser ce film, sans indiquer si l'incendie moral et social qui s'y régénère sans cesse est une fin de monde ou un début, un constat d'échec ou une prophétie purificatrice.
En salles le 25 janvier
24 janvier 2023
2:36
YOUSSEF SALEM A DU SUCCÈS de Baya Kasmi
Il faudra peut-être finir par se pencher sur l'un des traits de caractère les plus ancrés de la comédie à la française, cette inclinaison pour les sujets de société, ce besoin de partir du réel pour faire rire. Ailleurs il y a des Ken Loach, des Ashgar Farhadi et d'autres qui racontent les failles du modèle social en prenant le parti pris de drame domestique, ici on chronique depuis des décennies l'époque en cours par la poilade. Le panorama est large, de l'orfèvrerie d'un Francis Veber ou d'un Pierre Salvadori à la bienveillance bon enfant d'un Dany Boon, mais il existe à l'intérieur de cette sphère, une bulle plus particulière, où l'humour se teinte de politique. Parfois en bottant en touche – on va pas dire que les Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ? Énorme carton de ces dernières années revendiquent pleinement, sauf par la présence de Christian Clavier, d'être des comédies de droite - mais aussi en l'assumant pleinement. Ainsi de Baya Kasmi et Michel Leclerc, ne cachant pas faire un cinéma de gauche. Parfois c'est l'un qui réalise, parfois c'est l'autre, mais généralement les deux co-écrivent des films singuliers quand, du Nom des gens au plus récent Les goûts et les couleurs , ils interrogent le poids du social sur l'intime. Youssef Salem a du succès marque cependant un nouvelle étape en inversant cette doxa.
Soit le parcours de Youssef, français pas de souche, écrivain anonyme qui devient connu du jour au lendemain en décrochant le Goncourt avec un roman qui n'en est pas vraiment un, puisque très inspiré par sa famille d'origine algérienne. Sauf qu'il n'a jamais prévenu sœurs, frère ou parents de sa rédaction. Devant la trouille que cette fiction provoque des frictions, il va tout faire pour cacher son existence. Voilà pour les mécanismes usuels de quiproquos. Youssef Salem a du succès est plus interessant quand il ouvre des portes généralement dérobées dans le cinéma grand public français plutôt que de les faire claquer. Kasmi et Leclerc mettent volontairement les pieds dans le plat pour s'attaquer à la question de l'intégration, mais surtout des clichés d'un discours médiatique et politique, qui parle et pense souvent à la place de cette descendance d'immigrés. Youssef Salem a du succès remet les pendules à l'heure en s'attaquant à la crise d'identité d'un écrivain coincé entre son cercle familial et celui de la célébrité, mais pour aller vers un universalisme quand il explore en fait la difficulté de grandir, de s'émanciper, de devenir pleinement soi. Sans renoncer à remettre en question la représentation et la place des arabes dans la France actuelle comme dans son cinéma grand public, Kasmi et Leclerc délestent intelligemment ce personnage de ce poids en en le rapprochant sans cesse d'un quadragénaire ordinaire qui n'a toujours rien réglé, de son rapport à la sexualité à sa trouille de ne pas être un bon fils faute d'avoir psychanalytiquement tué le père. A la toute fin, une très jolie pirouette lui rappellera qu'il est loin d'avoir écrit le point final de son histoire. Même avec certaines longueurs ou insistances, Youssef Salem a du succès a, lui, au minimum, le mérite de faire avancer celle de la comédie de mœurs contemporaine.
En salles le 18 janvier
18 janvier 2023
3:33
DE HUMANI CORPORIS FABRICA de Véréna Paravel et Lucien Castaing Taylor
La réforme des retraites à venir a relancé pas mal de sujets . Notamment celui de la pénibilité des emplois, donc du rapport au corps. Par extension, on pourrait rapidement en arriver à une autre crise en cours, celle de l'hôpital public, ou d'autres comme celle du paraître sur les réseaux sociaux ou les violences sexistes. Il ne faut pas creuser bien loin pour constater que le corps humain reste le pilier névralgique de nos sociétés. Pour autant, à l'ère de la dématérialisation généralisée il est de moins en moins au centre des débats. Les documentaristes Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor opèrent une piqure de rappel avec De humani corporis fabrica, film regardant plus qu'à la loupe le corps, en s'y insérant littéralement, via des caméras chirurgicales immergeant à l'intérieur même des chairs.
Ça ne se fait pas sans mal quand les images aussi inédites soient-elles au cinéma, de ce cours d'anatomie in vivo touchent forcément à un tabou contemporain en rappelant que nous sommes avant tous des agrégats de viande, une tuyauterie organique. D'où cette précaution d'usage : De humani corporis fabrica n'est pas fait pour les petites natures puisqu'il ne prend pas de pincettes mais des écarteurs pour s'immerger en vision subjective dans les viscères, est un véritable trip sensoriel plongeant dans les tripes. Pour autant, Paravel et Castaing-Taylor en font un sidérant film d'exploration, la vision macroscopique d'organes faisant des corps un décor de vaisseau extraterrestre, voire un monde étranger virant à une abstraction formelle pas dénuée de poétique. De humani corporis fabrica remettant les pieds sur Terre en n'oubliant pas une portée politique. Entendre, un chirurgien en pleine opération qu'il est perdu, ou des infirmiers s'engueuler sur les permanences à tenir, c'est aussi parler d'autres organismes malades, celui du corps hospitalier. Et si certains pourront être choqués par les images crues voire gore d'une césarienne ou d'un récurage de bite, la véritable violence dans ce documentaire inouï n'est pas graphique. Une des scènes les plus éprouvantes de De humani corporis fabrica suit une opération sur la rétine d'un œil. De quoi confirmer que ce film parle bien du regard sur les choses, de la manière dont on a fini par ne plus en voir certaines. Non seulement les entrailles d'un hôpital devenant ici plus labyrinthiques que celle humaines, mais la sensation d'effroi s'y fait plus manifeste quand Paravel et Casting-Taylor s'y aventurent. De humani corporis fabrica se fait alors véritable film d'horreur quand après un voyage extraordinaire in utero qui révèle forcément la sensibilité aux images, il dissèque la redoutable banalité d'une souffrance sociale pour mieux la faire sauter aux yeux.
11 janvier 2023
4:13
EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE des Daniels
Ca y'est, c'est bon on en a fini avec 2022. Y compris du côté du cinéma ? Peut-être pas tout à fait. Si les chiffres officiels de fréquentations des salles françaises sont tombés via un rapport du CNC clôturant les comptes, il reste malgré tout des films sortis l'an dernier à rattraper ou à remettre en avant. Ce que permet l'avènement de la vidéo, leur offrant plusieurs vies. Ce qui tombe fort à propos pour Everything everywhere, all at once, opus délirant au minimum parce qu'il dote justement son personnage principal de vies aussi multiples que simultanées. Ça à l'air compliqué, comme ça, mais le film de Daniel Kwan et Daniel Scheinert, fusionnés sous le pseudonyme des Daniels est finalement très ancré dans son époque en incarnant pleinement le concept très tendance de multivers. Soit donc Evelyn, la patronne d'une laverie, qui alors qui en plus d'une crise familiale, d'un mari qui veut divorcer à un père qui lui reproche d'être une émigrante et d'un contrôle fiscal qui pourrait la mettre sur la paille, apprend qu'il existe plusieurs versions d'elle dans des réalités parallèles, qu'elle doit unir pour empêcher la destruction du monde. Soit un pitch totalement barré, quelque part entre Matrix et la série Rick et Morty, mais surtout une réalisation tout aussi démultipliée que son héroïne, combinant plusieurs registres du film de super-héros à la chronique de mœurs ou la comédie loufoque.
Oh là, est-ce qu'a force donc de vouloir tout, partout et en même temps, ce film ne serait pas un peu too much ?
C'est justement là où les Daniels impressionnent et imposent leur film comme un nouveau jalon d'un pop-culture globalisée. Everything everywhere all at once est effectivement plein comme un œuf. Mais avant tout d'idées hypercréatives, comme une scène de discussion muette entre Evelyn et sa fille ou un baston ou les combattant ont des saucisses géantes à la place des doigts. Le tout ayant des airs de brainstorming entre l'artisanat d'un Michel Gondry et la frénésie d'un Spike Jonze, ne craignant pas les digressions mais ne perdant jamais de vue un propos paradoxalement plus méditatif sur ce qu'est l'expérience de vivre dans un monde contemporain ou tout n'est que diversion pour détourner des valeurs existentielles.
A l'heure où tout force à aller plus vite, pour un hypnotique zapping permanent ne laissant plus le temps de la réflexion, Everything Everywhere all at once rappelle à quel point nous vivons dans un leurre, une fuite de la réalité des choses. Les Daniels organisant ici une piqure de rappel en injectant peu à peu de la mélancolie dans leur chaos. Everything Everywhere all at once, muant ainsi en œil du cyclone par un discours in fine très Zen, posé au cœur d'un Big Bang tellurique, a l'image de son image récurrente, d'un tambour de machine à laver ou d'un donut philosophe, d'un monde qui tourne à toute allure au point de ne plus voir que si le sens de la vie est insondable, il reste immuablement son centre.
En Blu-ray (Originals Factory)
04 janvier 2023
3:29
GODLAND d’Hylnur Palmason
Le cinéma c'est forcément une histoire de foi. Dans les images comme dans les récits. Certains cinéastes en font des territoires sauvages à traverser. Parfois littéralement, comme dans Godland. Un tout jeune prêtre danois doit y parcourir l'Islande, pour aller construire et prêcher dans la nouvelle église d'un village. Sur une carte, le danemark et l'Islande ne sont pas si éloignés que ça, mais le film d'Hylnur Palmason affirme qu'au XIXe siècle tout les séparait,et qu'il faut en passer par un chemin de croix pour les joindre. Une scission qui s'affiche dès l'apparition du titre à l'écran, précisé en danois et en islandais. Et se confirme, avec un scénario en deux temps. D'abord le parcours du prêtre à travers une nature aussi splendide qu'hostile, puis son intégration dans une paroisse qui ne veut pas de lui. Il faut dire que Godland revient sur cette période où l'Islande n'était qu'une colonie danoise, que le royaume entendait bien évangéliser.
Palmason compte bien lui porter une autre bonne parole, celle d'un cinéma volcanique et rugueux, compagnon des épopées telluriques d'un Werner Herzog ou d'un Michael Cimino. Comme leurs plus grands films, Godland voit les mouvements civilisationnels comme une âpre aventure, une expédition en terre inconnue. Palmason y rajoutant un geste primitif en étant filmé comme aux débuts, dans un format carré et une image granuleuse. Ou en s'étant confronté véritablement aux lois naturelles, par exemple en ayant réellement attendu lors de prises de vues étalées sur plusieurs années que les saisons passent ou qu'un cadavre de cheval se décompose. Ainsi en parallèle de Lucas, le prêtre qui s'essaie à apprendre la langue islandaise, Palmason fait réapprendre celle du cinéma. Le tout pour remettre les choses à la bonne échelle, rappeler que l'humain n'est finalement qu'une particule dans la genèse du monde. Et Dieu dans tout ça ? Il se cache peut-être bien dans un film monumental, touché autant par la glace que par la grâce.
En salles le 21 décembre
20 décembre 2022
2:10
LES HUIT MONTAGNES de Félix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch
20 décembre 2022
11:09
LA POUPÉE de Wojciech Has
Il n'aura échappé à personne qu'aujourd'hui sort Avatar, la voie de l'eau dont vous entendrez forcément parler jusqu'à plus soif. Pour autant, malgré cette surexposition médiatique, il existe d'autres sources de cinéma auxquelles s'abreuver. Pendant que les foules ne manqueront pas d'aller s'immerger dans les nouvelles aventures des Na'vi, ces alien bleutés, une autre saga, plus extraterrestre encore est sur les écrans. Pas besoin de lunettes 3D pour accéder au relief mental de La poupée, saga baroque d'un homme d'affaire fou d'amour pour une aristocrate déchue dans la Pologne de la fin du XIXe siècle. Aux commandes Wojciech Has, réalisateur autant fan de récits balzaciens que de structures feuilletonnesques. A la fois contemporain d'un Fellini, et précurseur d'un Kusturica, Has faisait tonner en 1968 un cinéma ogresque, baroque dans la forme, cinglant dans le fond, pour raconter une Pologne entre décadence, restes de pratique féodales et appât du gain.
Une Poupée qui est donc loin d'être de cire.
D'autant plus quand La poupée associe flamboyance et vision d'une société rance, où les barreaux de l'échelle sociale sont vermoulus, empêchant de pleinement grimper quand on vient d'une extraction populaire, mais aussi de totalement tomber dans la déchéance quand on est issu de la bourgeoisie. Has parvient au tour de force, d'un film formellement des plus vivant pour exprimer un monde moribond mais enluminé par une mise en scène folle, confrontant visions oniriques et relations tenant de la nature morte. A la splendeur des images se superpose la misère morale : ici une cour des miracles à la Dickens peut côtoyer le velours mélancolique d'un Visconti , le tout sous un regard acerbe, rappelant celui du Welles de Citizen Kane.
A l'époque de sa sortie, La poupée cachait dans ses replis une cinglante lecture sociopolitique d'une Pologne en pleine désillusions d'utopies post-stalinisme. Cinquante-quatre ans plus tard, il n'est pas défendu de voir dans cette chronique où les dorures des beaux salons sont rongés par la fange d'une bourgeoisie cireuse, celle d'une Europe plus que jamais calcifiée dans un rapport de force entre classes sociales. La poupée entérinant sa puissance de manifeste aussi fièvreux que poignant quand les années n'ont pas entamé sa volonté de rompre avec cet immobilisme.
14 décembre 2022
2:54
MOURIR À IBIZA d'Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon
Quel drôle de titre que Mourir à Ibiza. Ca a à la fois des airs de chanson de variété romantique des années 80 et d'un roman de Houellebecq. Mais il n'y a rien de tout ça ici, puisque ce premier film parle avant tout de vie. Celles de quatre vingtenaires à l'aube de la trentaine, bande qui se crée par hasard, quand Léa venue rejoindre un ami qu'elle espérait devenir amour à Arles tombe sur Ali et Maurice un commis boulanger et un apprenti gladiateur, rapidement suivi de Marius, le prétendant de Léa qui prétend surtout à prendre la tangente sur les mers. Mourir à Ibiza les visitera le temps de trois étés successifs au gré d'une amitié à dimensions variables. Ca pourrait être un film de Rohmer ou de Despleschin, avec qui ce film partage l'art de la fausse légèreté ou celui de la chronique du temps qui passe et de ses désillusions. C'est autre chose, Mourir à Ibiza, une parenthèse désenchantée où l'on peut pourtant se laisser aller à des moments de comédie musicale. Une promenade se laissant porter par un sens de la dérive, épluchant les couches de jeunesse qui s'en vont.
Derrière la caméra et le stylo, il y a une autre bande, un trio de réalisateurs Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, qui organisent avec finesse les chassés croisés entre Léa et ses compères, en prenant bien soin de prendre des déviations pour fuir les stéréotypes du film d'apprentissage en floutant les pistes, puisque rien ne dit quand Mourir à Ibiza se passe, sans doute quelque part entre les années 80 et 2020. Un flou joliment tamisé d'où émerge pourtant un récit très contemporain de ce qu'est l'amitié, dans ses élans, ses frustrations ou son instabilité. Elle est peut-être le reflet de celle qui lie les réalisateurs, désormais liés par cette étonnante œuvre de jeunesse dans tous les sens du terme, particulièrement touchante quand elle ne craint pas de montrer ses vulnérabilités ou sa mélancolie. Et par là, un remarquable portrait générationnel, assurant que la vie n'est qu'un voyage où l'on navigue comme on peut, mais où il faut garder, quoiqu'il arrive les yeux sur l'horizon.
En salles le 7 décembre
07 décembre 2022
2:40
POURQUOI PAS de Coline Serreau
Il n’y a pas si longtemps, le mot trouple n’existait pas. Encore moins dans les films français de la fin des années 70. Y parler de bisexualité, même dans la production porno de l’époque, était impensable. Au mieux, on avançait l’idée de triangle amoureux, mais tout en restant sous le sceau d’une hétéronormalisation. Même dans les cas évident de relation à trois, comme dans le Jules et Jim de Truffaut, impossible d’en sortir. Et puis Coline Serreau est arrivée pour ruer dans les brancards avec Pourquoi pas !, récit d’une parenthèse enchantée entre deux hommes et une femme partageant le même lit. Un titre affirmatif arborant un point d’exclamation et non d’interrogation. Peut-être parce qu’il était encore temps dans ces années 70 de revendiquer la possibilité d’utopie repensant les modèles sociaux, qu’ils soient amoureux ou familiaux, en faire les bases de relations harmonieuses.
Sauf qu' à l’époque, il était déjà difficile de vivre d’amour et d’eau fraîche…
C’est là ou Pourquoi pas ! reste un film ahurissant en interrogeant au-delà de la sexualité les questions économiques avec une même philosophie de l’épanouissement. Le trio y a devancé jusqu’à l’idée de charge mentale ou de position économique. Aucun souci à ce que l’un des deux hommes s’occupe des tâches ménagères ni à ce que ce soit une femme qui subvienne financièrement à leurs besoins. Tout n’étant pas pour autant si facile quand chacun reste ici enchaîné à leur vie d’avant, quand l’une est constamment sommée de réintégrer le foyer conjugal par un mari, l’autre des enfants que leur nouvelle situation, forcément amorale aux yeux du monde, empêche de voir. Sans compter l’irruption d’une quatrième personne qui pourrait faire voler en éclat ce polyamour harmonieux.
Le plus beau dans Pourquoi pas ! Étant son plaidoyer, via cette mini-tribu, pour la liberté d’être différent afin de mieux conquérir le quotidien. Serreau l'adapte à un scénario et une mise en scène en reflet d’une vie ordinaire d’un trio qui ne l’est pas, filmant avec un parfait naturel sautes d’humeurs, coups de gueule, de folie ou de blues. De quoi s’exonérer d’une vision moralisatrice pour transformer un marivaudage moderne en élan, voire en programme de vie.
A l'époque de sa sortie, Pourquoi pas ! avait provoqué un beau remue-méninges autour de son ménage à trois. Il restera de courte durée : en dépit d'un accueil public et critique chaleureux, ce film deviendra rapidement invisible, faute d'être diffusé sur une télé encore empreinte de la pruderie de l'ORTF. Il réapparait aujourd'hui dans une version restaurée, qui renforce sa part d'actualité quand les questions posées il y a quarante-cinq ans restent prégnantes dans une époque qui confond développement personnel et rendement économique. Alors pourquoi se priver de Pourquoi pas ! et sa quête de bonheur pour tenter d'enfin remettre tout à plat ?
En salles le 7 décembre
07 décembre 2022
3:14
ANNIE COLÈRE de Blandine Lenoir
Le 24 novembre pourrait bien rester une date importante : celle qui marquerait le début de processus d'inscription dans la constitution française le droit à l'IVG. Il n'y avait pas mieux pour accompagner la sortie d'Annie Colère, film qui revient justement sur une page d'histoire du combat pour l'avortement. Plus précisément sur la courte aventure du MLAC, le Mouvement pour la Liberté de l'Avortement et la contraception. De 1973 à 1975, les membres de cette association se sont battues pour la légalisation de l'IVG tout en permettant à des femmes à pouvoir la pratiquer, certes illégalement, mais avec une méthode beaucoup moins risquée qu'en passant par les faiseuses d'anges, l'aiguille à tricoter ou le cintre. Annie Colère ne se contente pourtant pas de retracer ce parcours clandestin, le nouveau film de Blandine Lenoir tricote tout autant une chronique de la solidarité féminine dans cette France d'avant la loi Veil.
Contrairement à L'évènement, autre film autour de l'avortement, sorti l'an dernier, Annie colère prend le parti pris de ne pas en faire un sujet de fait divers, mais d'amplifier la portée sociale, pour en faire quasiment un acte de naissance, celui d'une découverte de liberté pour les femmes via un récit galvanisant d'apprentissage. A la pédagogie de scènes d'opérations pratiquées à la maison, filmées sans suspense mortifère s'ajoute une autre, à l'opposé du traitement usuel de ce sujet au cinéma : ici pas de leçon de morale ni de dolorisme didactique, mais un cas rare de regard inclusif. Plus Annie colère avance, plus il renforce un sens citoyen du collectif qui fait corps autour d'un personnage central, mais de moins en moins principal, de française moyenne, ingénue découvrant au-dela du MLAC, des possibilités émancipatrices. Ce film devenant une jolie claque quand il transforme le militantisme en voie douce mais déterminée de l'engagement, pratique la politique de l'écoute et de la bienveillance. Ravivant le souvenir d'un cinéma français féministe d'époque – que ce soit en faisant écho au L'une chante, l'autre pas de Varda ou en faisant référence à Delphine Seyrig, actrice engagée dans le combat pour le droits des femmes- Annie Colère n'en oublie pas pour autant de regarder le présent, voire le futur en mettant en avant, dans une période de claire menace régressive, la volonté de transmission, en rappelant l'histoire étonnamment oubliée du MLAC comme son appel à une nécéssaire désobéissance civile ou en appelant les générations à venir à rester vigilantes. A ce stade on ne sait pas ce qu'il adviendra de la proposition de loi adoptée par les députées, qui doit maintenant passer par le Sénat pour être promulguée. En attendant, si rien n'est donc encore gagné, qu'Annie Colère puisse aborder frontalement ce sujet tout en étant un film éminemment solaire voire potentiellement ultra-populaire est déjà une victoire en soi.
En salle le 30 novembre
02 décembre 2022
3:21
INU-OH de Maasaki Yuasa
Cette semaine, le cinéma d'animation a été frappé par une secousse tellurique : Bob Iger, l'ancien patron de Disney a été prié de revenir prendre les commandes de la maison de Mickey, pour faire remonter la côte de ses actions en bourse. Et surtout remplacer Bob Chapek, son successeur, qui aurait fait pas mal de trous dans le gros fromage de la souris, notamment avec des choix hasardeux comme celui de priver les salles de certains crus d'une spécialité maison, le cinéma d'animation, au profit de leur plateforme Disney + ou débarquèrent directement Soul ou Alerte rouge. Au même moment, on a vu apparaître la bande-annonce, assez terne, d'Elementaire, le prochain Pixar, qui devrait donc trouver le chemin des salles courant 2023. C'est là, que toujours cette semaine, on peut découvrir une autre secousse tellurique qui laisse penser que ces mouvements chez Disney sont déjà obsolètes, tant Inu-oh, opus frappadingue de japanimation, les mets à l'amende. Le nouveau film de Masaaki Yuasa a plusieurs longueurs d'avance, ne serait-ce qu'en commentant avec une histoire improbable de rock-star à l'époque des shogun, le monde du divertissement, pour mieux le pousser à se régénérer en spectacle total. Ici, une guerre de clans fait muer la trajectoire d'une troupe musicale du 14e siècle en relecture des usages du showbiz d'aujourd'hui.
Inu-oh fusionne folklore des récits de karma, tradition du théâtre Noh et opéra-rock dans une succession de scènes démentielles. Tenant de la performance graphique et scénique, la fable sur les aléas d'une obsession pour la célébrité glisse vers une forme inédite de film-concert combinant numéros musicaux éléctrisants et différentes textures d'animation, allant du figuratif à l'abstrait, d'une 2D aquarelliste à une 3D immersive. Un peu comme si Gorillaz ou les Shaka Ponk fabriquaient un hologramme de Jimi Hendrix ou de Freddy Mercury pour se lancer dans un cours d'histoire de la culture japonaise à travers les âges. A la fois énergiquement moderne, dans sa forme et philosophe dans sa réflexion sur la necéssité pour les artistes de vivre de leur art tout en devant incarner une rébellion à l'ordre établi, Inu-Oh reprend ces propres principe à son propre actif, pour un film défendant bec et ongles une identité forte en gueule, portée par l'ahurissant relief sonore de chansons au potentiel d' hymnes survoltés pour concerts dans des stades. Forcément, Inu-Oh ne bénéficiera pas de la même puissance marketing qu'un dessin animé Disney, on se suprend donc d'autant plus à rêver que des parents nostalgiques de purs show scéniques emmènent leurs rejetons voir ce film qui fait taper du pied, et que cette marmaille s'entiche autant de ses chansons qu'elle le fut du fameux « Libéré, délivré-éééééé » de la Reine des neiges, paroles qui résument en fait pleinement, l'esprit d'Inu-oh, Roi des guitares éléctriques dans un dessin animé qui fait voler en éclats les carcans.
En salles le 23 novembre
23 novembre 2022
3:37
BLACK IS BELTZA II de Fermin Muguruza
Le nom de Fermin Muguruza fera sans doute plus écho chez les amateurs de musique que de cinéma. Surtout chez les fans de punk rock, Muguruza étant une légende de la scène basque, via les groupes Kortatu ou Negu Gorriak. Mais cette figure du militantisme est aussi un auteur de BD et un réalisateur. Et dans tous les cas, un gars énervé. En 2018, Black is Beltza – qu'on peut toujours voir sur Netflix- collait aux trousses d'un basque traversant les années 60 et ses secousses mondiales.
Sa suite, reprend le même flambeau vingt ans plus tard, en collant aux basques d'Ainhoa sa fille cubaine voulant renouer avec ses racines. Comme son prédécesseur, Black is Beltza II ne tient pas en place pour esquiver les balles perdues d'un monde, qui du moyen-orient à l'asie centrale ou l'Europe découvrait une seconde guerre froide après la chute des blocs Est/Ouest. Muguruza en fait un dessin animé déchaîné, mi-thriller d'espionnage, mi-road trip planétaire ou tout est connecté par l'organisation étatique d'une guerre sale. Son flux est le trafic d'héroïne filtré selon Muguruza par les gouvernements et services secrets espagnols, français ou américains, liés pour éradiquer la contestation qu'elle soit au Liban, au Nicaragua ou en Afghanistan.
Et du coup qu'est ce que trafique l'autre héroïne du film ?
Ainhoa injecte, elle, une force détonnante à Black is beltza II, en étant témoin des mutations de ces années 80, des années de plomb espagnoles à la chute du mur. Mais toujours avec cette capacité d'incarner un militantisme social et politique dans ce qu'il a de plus fougueux. Qu'on la retrouve aux cotés des sandinistes ou des femmes kurdes, elle affirme une résistance, appuyée par Murguruza, qui en fait une passionaria libre d'esprit comme de corps. Plus encore que certains personnages friands de dope,c'est le scénario et la réalisation qui se défoncent le plus, dans une fusion folle emmenant autant dans le Beyrouth de Valse avec Bashir que dans le Marseille de la French Connection. Black is beltza II n'oubliant pas d'aborder une autre révolution, quand ici les sexualités se mélangent ou quand Ainhoa lache que les filles devraient se méfier de machisme-léninisme. Avec un film levant fièrement le poing autant qu'il fait des doigts à toute idée d'oppression, Muguruza assure que la lutte est loin d'être finie mais que rien n'empêche qu'elle soit menée de manière énergique et sexy.
En salles le 16 novembre
16 novembre 2022
2:57
LES LENDEMAINS DE VEILLE de Loïc Paillard
09 novembre 2022
7:38
JACKY CAILLOU de Lucas Delangle
Le cinéma fantastique à la française, ça a toujours été une histoire compliquée, mais pourtant une des plus nourries. Contrairement à ce qu'a pu laisser penser une hégémonie anglo-saxonne ou américaine sur ce genre, on trouve depuis les tous débuts du cinéma, une trace persistante d'une production française dédiée au surnaturel, voire même dès les origines, de courts métrages de Méliès regorgeant de sorcières et démons à d'autres des frères Lumière traversés de trucages. Pour autant, le fantastique français se coltine un indécrottable déni public. Sans doute parce qu'il reste associé à une idée de poétique ou de détournement du naturalisme.
Ces dernières années, une jeune génération de cinéastes a repris le flambeau, de La nuée à Teddy pour ressusciter à leur sauce des figures phares du folklore de l'étrange, comme aujourd'hui Lucas Delangle avec l'étonnant Jacky Caillou.
Et du coup, est-ce un Caillou dans la chaussure du cinéma français ?
Plutôt une nouvelle pierre jetée sur des chemins de traverse qu'il devrait prendre plus souvent. Le Jacky en question est un jeune homme qui n'est jamais vraiment sorti de sa campagne montagnarde des alpes de Haute-Provence, élevé par une grand-mère magnétiseuse, qui tente de lui transmettre ses pouvoirs guérisseurs. Ils vont se manifester quand une mystérieuse jeune fille atteinte d'une drôle de tache sur le dos débarque dans sa vie. Au même moment qu'un loup qui se met a décimer les troupeaux de brebis des éleveurs. Jacky Caillou confirme que le cinéma fantastique tient à deux notions fermement enracinées : la question de croyance et celle d'un territoire. Pour raconter la part animale qui subsiste en chacun, Lucas Delangle part donc d'un ado mal dégrossi qui n'a jamais vu le loup, et donc encore moins en l'occurence une louve, pour bâtir un film retournant à des sensations primitives, que ce soit dans sa juxtaposition d'un regard quasi-documentaire et d'une mythologie purement fantastique ou de la collusion entre une forêt digne de celles des contes de fées et des rapports humains bruts, rocailleux. Et pourtant, plus la dualité s'empare d'un gars partagé entre ses envies d'ailleurs émancipateur et la place naturelle qui lui est prédestinée, plus Jacky Caillou révèle sa seconde peau, celle d'un film aux abords sauvage mais bien plus caressant que prévu, une sorte de « Jackyll » & Hyde existentialiste. Il y est question de la puissance quasi mystique que peut prendre le désir, charnel ou amoureux, mais c'est encore plus celui de voir un cinéma fantastique local continuer à affirmer une identité forte qui émane de cette œuvre aussi singulière qu'envoûtante.
En salles le 2 novembre
02 novembre 2022
3:17
NOS ANNÉES 70
Il est toujours bon de rappeler que le cinéma français n'est finalement qu'une question de tendances. Depuis toujours, cette production s'est imprégnée de l'air du temps, créant des périodes ou des règnes temporaires pour certains registres. Pour autant, il est nécéssaire d'avoir un certain recul pour pouvoir l'analyser, la définir pleinement, dans son aspect structurel ou sociologique. A ce titre, il manquait un regard en coupe sur le cinéma français des années 70. Peut être parce que c'est un moment bien plus singulier qu'il n'y paraît, coincé entre une stabilisation des entrées après deux décennies en baisse constante et la fronde organisée par les réalisateurs de la Nouvelle Vague contre un cinéma grand public pépère engoncé dans ses formules. Mais plus encore par ce besoin de remettre les pendules à l'heure de Mai 68 et ses envies de libertés de ton comme d'expression. Cinquante ans plus tard, une collection de Blu-Ray, Nos années 70 s'attelle à cet état des lieux.
Une manière de faire l'histoire à l'envers ?
Ou plutôt de remettre les choses dans le bon sens. La première salve de cette collection assemble autant des grands succès populaires d'alors comme Je sais rien mais je dirais tout de sérieux bides comme Calmos ou des films plus marginaux comme Défense de savoir,pour rappeler à quel point le cinéma français mainstream de cette décennie avait décidé de s'aventurer sur de libertaires chemins de traverse tout en reflétant les mutations sociales de l'époque. Ainsi derrière des gags purement burlesques, Pierre Richard pointait du doigt les empire familiaux capitalistes tandis que Bertrand Blier prenait au pied de la terre la guerre des sexes pour en faire un check-up gouailleur de la masculinité, d'une franchise inimaginable aujourd'hui. Plus étonnant encore, le soin apporté aux bonus de ces Blu-ray exhumant des archives télé, très loin de la vacuité actuelle virant à des éléments de langage promotionnels. Le tout racontant autant la France d'alors, dans ses questionnements et ses contradictions, pour un étonnant coup d'oeil dans le rétro, que ce soit en mettant en avant le fonds socio-politique de films cultes et en réhabilitant des perles méconnues (on recommande chaudement dans la seconde salve à venir La vieille fille et L'ordinateur des pompes funèbres) mais surtout quand,
sans jamais vouloir s'enfermer dans une posture réac façon «c'était mieux avant », cette collection pousse le cinéma mainstream d'aujourd'hui à s'interroger sur ce qu'il a perdu, en méprisant les conversations de comptoir, auxquelles participait pleinement cette production des années 70 en parlant directement aux gens, pour devenir un café du commerce de l'entre-soi.
Nos années 70. Première salve disponible depuis septembre. 2ème à paraître début décembre. StudioCanal.
26 octobre 2022
3:23
LE JOUET de Francis Veber
Par les temps qui courent, le cinéma français est en grosse demande de valeurs sûres pour éventuellement faire revenir le public dans ses salles. Alors forcément, le principe d'une comédie, genre éminemment populaire, qui plus est avec Jamel Debbouze, star tout aussi populaire, a quelque chose de rassurant pour l'industrie. Plus encore si cette comédie repose sur un modèle qui a fait ses preuves, à savoir Le Jouet, l'un des meilleurs fleurons de la production des années 70. A l'époque, Francis Veber, déjà scénariste émérite, passait à la mise en scène avec cette histoire d'un chômeur longue durée, joué par Pierre Richard, qui se retrouvait employé par un journal appartenant à un gros groupe industriel, avant que le fils de son PDG ne décide sur un caprice de le réclamer comme jouet pour son anniversaire. Quasiment cinquante ans plus tard, l'idée d'un remake, au vu de la situation sociale comme du rapport de classes entre super-riches et classe ouvrière n'est pas une mauvaise idée en soi. Encore fallait-il que cette nouvelle version soit à la hauteur de l'originale
Et alors, à l'arrivée ce Nouveau Jouet sait-il changer les piles de l'ancien ?
Manque de bol pour le film de James Huth, celui de Francis Veber ressort en même temps. Et autant dire que la comparaison ne joue pas en faveur du remake. Au minimum quand le discours du film de 1976 résonne d'emblée avec le monde d'aujourd'hui mais paraît encore plus incisif, virulent, là où sa relecture l'a totalement lyophilisé, rétrécissant des sujets clés telles que l'intégration ou le fossé interclasses sociales en une vision bisounours du monde, façon l'argent ne fait pas le bonheur, pour asséner que la misère rend solidaire, heureux malgré tout, mais que l'ultra-richesse enferme dans une forteresse de solitude. Ça a le mérite d'être tellement hors sol face à l'époque actuelle, que ça en fait oublier l'absence totale de direction d'acteurs ou une mise en scène antidatée de cartoon ressuscitant les pubs fluo des années 90, plus agitées qu'agitatrices. Le plus troublant dans la superposition des deux films restant de s'apercevoir à quel point Pierre Richard affirmait bien plus à l'écran, un côté engagé, militant, qu'un Debbouze, pourtant à l'origine économique d'un remake qui, à l'image de son affiche, remet sous blister toutes velléités de revendications, reconditionnées en quelques faméliques allusions, au profit d'une amorphe et lénifiante comédie sur les bienfaits des valeurs familiales et de la paternité. Evidemment, le film de Veber ressort dans une combinaison de salles bien moindre que Le nouveau jouet. Toutefois, pour voir le film le moins périmé des deux, on ne saurait que conseiller de chercher celles qui reprennent un Jouet encore sous garantie d'un nécéssaire poil à gratter là où sa revisite, incroyablement feignante, en a un énorme dans la main.
En salles le 19 octobre
19 octobre 2022
3:35
JACK MIMOUN ET LES SECRETS DE VAL VERDE de Malik Bentalha & Ludovic Colbeau-Justin
Je ne sais pas quel âge a Malik Bentalha, mais je sais dorénavant ce qu'il regardait quand il était gamin. Curieusement des films sortis avant même sa naissance. Pour preuve, Jack Mimoun et les secrets de Val Verde, son premier film derrière la caméra, avec l'aide de Ludovic Colbeau-Justin se réclame plus qu'ouvertement du cinéma d'aventures du début des années 80, d'A la poursuite du diamant vert aux Indiana Jones. Sur le papier, il y avait quelque chose d'assez improbable dans ce projet, la probable revisite de ces classiques américains par la jeune génération d'humoristes français. Entre l'idée qu'une comédie d'aventure française veuille rivaliser avec les blockbusters hollywoodiens ou même ce nom de héros à deux balles, l'initiative laissait présumer une volonté de parodie, et peut-être d'un résultat un peu cheap.
On avait tout faux. Jack Mimoun et les secrets de Val Verde est à prendre au premier degré que ce soit dans les ambitions de la réalisation, peu courante dans la production française, ou la marque d'un amour profond d'un savoir-faire à l'américaine.
Donc, Jack Mimoun n'a rien d'un film à la « one-again » ?
Loin de ce qui n'aurait pu être qu'une imitation en carton-pâte tournée en studio à Boulogne Billancourt, Jack Mimoun et les secrets de Val Verde revendique pleinement ne pas vouloir se moquer de ses modèles, mais être pleinement dans l'hommage, voire la nostalgie de ce cinéma mêlant divertissement et spectaculaire, jusqu'à s'inspirer idéalement de son écriture, de la trame aux seconds rôles en passant par une musique à la John Williams. C'est à peine s'il y a une hybridation avec certains archétypes de la comédie à la française, notamment dans le personnage titre, semi-escroc gouailleur façon titi des técis, qui va devoir devenir héros malgré lui. Curieusement, c'est d'ailleurs quand il s'attache à ces origines locales, entre autres, par ses dialogues qui tendent trop vers l'obligation de faire des vannes, que Jack Mimoun et les secrets de Val Verde montre quelques faiblesses. Rien qui n'empêche un véritable et audacieux pari, au dela de celui économique, quand Bentalha et sa troupe prennent le risque de s'adresser à un public ado d'aujourd'hui qui n'a pas les mêmes références culturelles, lui proposer un film d'action qui réfute la norme actuelle d'une ironie. Auprès de qui Jack Mimoun et les secrets de Val Verde pourraient avoir l'air d'un cinéma périmé, malgré l'abattage de comédiens (notamment François Damiens et Jérôme Commandeur) en très grande forme ou la ferveur de la très visible sincérité de Bentalha dans son projet. En fait, au delà d'un mérité succès public qui conforterait l'idée que les vieilles recettes sont aussi universelles qu'encore très consommables, la vraie récompense que l'on puisse souhaiter à ce film, serait qu'il finisse par connaître un remake hollywoodien.
En salles le 12 octobre
12 octobre 2022
3:26
GENERIQUES de Philippe Garnier
Qui se soucie encore des génériques ? La plupart des spectateurs ne restent plus à la fin des films pour les lire. Philippe Garnier doit peut-être encore le faire. Pour débusquer parmi énumérations de noms, ceux qu'on met rarement dans la lumière, chercher entre les lignes ceux qui font vraiment l'histoire du cinéma. Génériques c'est aussi le nom d'une collection de livres à travers lesquels Garnier a entrepris de revenir sur la genèse des dernières grandes heures du cinéma de studio hollywoodien. Avec pour ambition justement de raconter les histoires derrière celles officielles. Trois volumes pour couvrir quasiment quarante ans, de 1940 à 1977 à partir de cas d'études mais surtout en faisant des pas de côté. Génériques, c'est une lecture en creux de ce cinéma américain, qui préfère aller chercher dans les plis que dans sa vitrine. Pour parler d'un film d'Anthony Mann, Garnier ira creuser la piste de son producteur Eddie Small ou prendra appui sur la carrière de Richard Fleischer à la RKO pour mieux parler des méthodes d'Howard Hughes alors patron de ce studio.
On serait donc dans une sorte de making of des films par écrit ?
En tout cas, Génériques n'est pas une collection d'essai analytiques mais fait dans le factuel. De toutes façons, un jour Garnier a lâché dans une interview que « la critique c'est de la branlette ». Mais il croit encore visiblement aux vertus du journalisme d'investigation à l'ancienne. Qu'il s'agisse de films noirs ou de westerns, de classiques ou de perles oubliées, ces trois livres reposent sur une somme exceptionnelle de documents et d'archives. Les mémos, télégrammes voire extraits de correspondances reconstituent avec une phénoménale sensation immersive le processus de création. Mais, plus encore que cette sensation de making-of comme si vous étiez dans les coulisses, il émane de Génériques, celle d'une voix-off accompagnant au plus près, au plus intime les films comme leur écosystème. Au delà d'un côté encyclopédique, l'écriture de Garnier est incroyablement vivante, parlant d'un passé avec le ton du présent. De quoi procurer à ces histoires d'un temps de cinéma révolu le swing de la modernité, pour un travail d'archiviste mais sans la poussière ; une ahurissante collection d'anecdotes sans qu'elles ne virent jamais à l'anecdotique. Encore moins quand ce récit au long cours de l'évolution du cinéma américain de la fin de l' âge d'or des studios grands ou petits aux premières secousses telluriques du Nouvel Hollywood, tient de l'ivresse de certains alcools vieillis, longs en bouche mais qu'il faut siroter pour mieux laisser remonter les arômes. Autrement dit, Génériques est une sacré bonne cuvée de livres de cinéma.
Génériques. Paru chez The Jokers éditions.
05 octobre 2022
3:25
POULET FRITES de Jean Libon & Yves Hinant
La petite musique que vous venez d'entendre n'est pas inconnue des téléspectateurs des années 90-2000. Ce morceau, Batumambe, servit de générique à Strip-tease, série documentaire belge qui dynamita les codes du registre. Cette mélodie étrange, aux airs de fanfare traênante mais entraînante collait idéalement à l'esprit Strip-tease, cette envie de mettre à poil l'humanité dans ses contradictions mais sans la condamner. Une vraie révolution quand ce que montrait cette série tenait autant de la cour des miracles que d'une étude sociologique in vivo, sans aucun commentaire, juste la réalité brute, quitte à provoquer le malaise ou la compassion. Programme culte, Strip-tease à fini par s'arreter sur le petit écran, mais par renaître sur le grand. D'abord en 2017 avec Ni Juge, ni soumise, portrait d'une juge bruxelloise peu orthodoxe. Aujourd'hui avec Poulet Frites, récit d'une enquête singulière.
En plus du Poulet et des frites, il y aurait donc la mayonnaise façon Strip-tease ?
Au départ, il y a donc un cas pour le moins singulier, celui d'une morte reliée à un suspect trop évident par une frite surgelée retrouvée intacte dans son bol alimentaire. A l'arrivée, il y a un parcours bien plus escarpé, de la procédure que suit le commissaire Lemoine et son équipe à une embardée vers les relations entre les polices internationales. Mais surtout cette frite-la se pose en travers du gosier de l' univers de film noir. L'ambition de Jean Libon et Yves Hinant est d'ailleurs évidente ne serait-ce qu'en étant parti d'images d'un ancien sujet de Strip-Tease, remontées et désaturées pour prendre les teintes charbonneuses du cinéma réaliste des années 40. Comme pour revenir à cette période ou les films avaient beau être des fictions, ils finissaient toujours par documenter pleinement sur l'époque. Ainsi la véritable enquête de Poulet Frites est sans doute celle sur un déterminisme social, de la vision en coupe d'un quart monde généralisé à celle du fonctionnement désarmant de la police et de l'institution judiciaire. A la fin de Poulet Frites, on entendra à nouveau Batumambe, ce générique signature, qui résonne alors peut-être encore plus que dans les épisodes de Strip-tease, comme la marche crève-coeur d'une humanité entravée par le boulet de systèmes dysfonctionnels.
En salles le 28 septembre
28 septembre 2022
2:59
NINJABABY d’Yngvild Sve Flikke
Allez savoir pourquoi, peut-être à cause d'une époque où les repères sont de moins en moins clairs, le cinéma nous fait une crise de conscience très marquée cet automne. La chose en est même particulièrement incarnée au point de donner lieu à des créatures animées qui se mettent à taper l'incruste dans l'esprit des personnages principaux pour les interroger sur leurs choix de vies. Rien qu'en ce début d'automne, on aura eu droit à une revisite (et bientôt deux, puisqu'après celle de Robert Zemeckis déjà sur Disney +, Guillermo Del Toro donnera la sienne sur Netflix) de Pinocchio et donc de son fameux Jiminy Cricket ou il y a quinze jours Tout le monde aime Jeanne, et son amusante petite voix intérieure qui asticote une trentenaire per-due dans sa dépression. Voilà que débarque aujourd'hui, dans Ninjababy, un bébé par encore né mais déjà très présent dans la tête d'une norvégienne pour lui demander des comptes.
C'est quoi le rapport avec les Ninjas ? Un lien avec les Tortues du même nom ?
Peut-être si on le voit le film d'Ingvild Sve Flikke comme le récit de quelqu'un qui doit rompre avec sa carapace. Ou simplement par le caractère très bastonneur de Rakel, jeune femme qui se découvre donc sérieusement enceinte qui a envie de mettre tout le monde face à ces contradictions. Car cette vingtenaire fait partie d'une génération de femme qui n'a plus peur de l'ouvrir, de revendiquer droit à la parole ou à la liberté. D'opinion ou de sexualité. Seule chose sur laquelle elle a donc fermé les yeux, un déni de grossesse- donc celui de devenir parent autrement dit coincée par les responsabilités- qui se rappelle donc à elle sous la forme d'un bambin dessiné qui n'a pas la langue dans sa poche amniotique. Il n'est pas anodin que celui-ci soit d'ailleurs un garçon et pas une fille quand ça permet à Ninjababy d'affirmer ne pas être un manifeste d'un néo-féminisme radical anti-mecs, mais plutôt (au vu de personnages masculins tout aussi désorientés que Rakel), une descendance nordique de de Girls ou de Fleabag. Comme ces séries, Ninjababy est décomplexé et hilarant, mais sur-tout touchant par la lucidité avec laquelle cette chronique aborde le bordel existentiel qu'est devenu la vie quotidienne d'aujourd'hui, mais plus encore la justesse avec laquelle ses personnages sont incarnés dans leurs contradictions. Il est du coup alors peut-être normal que ce bébé animé ne soit qu'imaginaire, quand Ninjababy raconte finalement bien plus comment une jeune femme est accouchée malgré elle de sa version adulte, entre regrets de l'insouciance et pleine conscience de qui elle est désormais.
En salles le 21 septembre
21 septembre 2022
3:17
TOUT FOUT LE CAMP de Sébastien Betbeder
Cette semaine 23 nouvelles sorties en salles sont annoncées. Vingt-Trois. Terminées l'époque où il était facile de faire des choix. D'autant plus quand dans le lot, non seulement il y'en a pour tous les goûts mais surtout peu de déchet au vu de la qualité moyenne générale. Alors on peut dire que tout fout le camp. Ça tombe bien, c'est aussi le titre du film le plus singulier du lot, voire le plus stimulant. Ne serait que parce que justement, ce titre se contredit rapidement quand le nouveau film de Sebastien Betbeder marque une réelle continuité pour un réalisateur qui s'efforce de marcher hors des clous. Avec Tout fout le camp, il ne fait qu'amplifier une tendance naturelle, celle d'un cinéma qui a toujours voulu aller voir ailleurs, à s'aventurer dans les genres les plus divers, du fantastique naturaliste à la comédie générationnelle quand il n'allait pas carrément au Groënland pour une trilogie semi-documentaire. L'autre constante restant cette étude sociologique de l'espèce humaine, toujours filmée comme une communauté qui réapprend à se serrer les coudes.
Et pourtant Tout fout le camp semble vouloir desserrer les codes.
En tous les cas les conjuguer, les culbuter. Si Tout fout le camp démarre dans une veine de buddy movie à la française via l'amitié naissante entre un journaliste et un musicien qui se lance dans la politique, le duo s'élargit rapidement lorsque le duo croise un cadavre qui re-vient à la vie, avant de s'embarquer dans un road-movie surréaliste, façon Bunuel ou Bertrand Blier. Ou plutôt hyperréaliste quand les tribulations de cette petite bande lachée sur une sensationnelle autoroute de cinéma à quatre voies – ici, on peut passer d'une scène gore à une de danse comme d'une séquence toute en brumes gothiques à de la pure comédie loufoque ou noire - sait ramener son code de la déroute à une ligne directrice, en l'occurence le portrait de la génération de trentenaires actuelle qui se désespère d'une autre con-duite qui va sacrément de traviole, celle de la politique de Macron. Le souk organisé de Tout fout le camp se fait cohérence absolue dans ses envies de prendre la tangente, d'essayer l'utopie d'un monde plus fou mais moins flou quand il remettrait l'humain au coeur de tout. Après avoir fait plus se marrer que la plupart des comédies françaises sorties cette année, Tout fout le camp, film aussi rebelle qu'inquiet, se met à émouvoir par cette revendication à laquelle il s'attache comme à une bouée de secours. Mais aussi pour en faire une ligne de flottaison à tenir en étant un appel à une joyeuse lutte par la désobéissance.
En salles le 14 septembre
14 septembre 2022
3:21
L’ETRANGE FESTIVAL, 28e édition
C'est devenu un rite depuis bientôt trente ans : la fin de l'été se célèbre à l'Etrange festival, incontournable rendez-vous parisien pour quiconque est féru de contre-culture ou simplement curieux d'une cinéphilie moins commune que celle qui s'affiche dans les multiplexes. Pendant une quinzaine de jours, les salles du Forum des Halles s'ouvrent à des cinématographie méconnues ou oubliées, toute réunies sous une même bannière : avoir été reléguées dans les bas-fonds par la culture officielle et sa vision normative des choses. A l'Etrange festival on s'encanaille autant qu'on se cultive au gré de découvertes récentes ou de raretés exhumées. Au delà d'un havre accueillant avec bienveillance tout ce que le cinéma peut avoir d'hors normes. L'Etrange festival est devenu au long des années une sorte de boussole quand sa sélection n'a de cesse de proposer des alternatives au cinéma formaté, lisse qui fait l'ordinaire d'un public qu'il invite sans cesse à quitter ses oeillères.
Et quelles sont donc les réjouissances prévues pour l'édition de cette année ?
Difficile de privilégier l'une ou l'autre des thématiques, puisque que comme à son habitude, L'étrange festival tient presque plus d'une manifestation d'agit-pop contre-cuturelle, ouverte à tous les horizons, redessinant ainsi une mappemonde de cinéma. Ainsi cette 28eme édition est entre autres allée voir autant ce qui se passe du côté de la jeune génération de réalisateurs de films de genre sud-coréens que d'Europe ou d'Asie centrale mais aussi les derniers opus de cinéastes français ayant toujours refusé les terrains balisés, comme Guillaume Nicloux ou Sébastien Betbeder. On pourra tout autant y causer scène musicale post-punk locale ou performance artistique avec les documentaires Who Killed Nancy ou L'artiste à la phalange coupée. Mais aussi découvrir Mike De Leon Mike De Leon, réalisateur philippin aux commandes d'un cinéma aussi ésotérique que politique s'alliant à l'inquiétude du fantastique pour parler autant du poids de la religion que de la lutte des classes. Revenir sur la production populaire iranienne des années 50 à 70, via une rétrospective du cinéma Farsi, dans toutes ses contradictions quand il mettait en scène tous les excès et la prétendue décadence que le pouvoir voulait éradiquer au nom des bonnes mœurs. Ou encore rendre hommage à un oublié de la nouvelle vague japonaise, Masahiro Shinoda, dynamiteur de genre, du film de Yakuza au théatre de marionnettes pour en faire des appels à la rebellion contre tous les ordres établis. Voire s'aventurer dans la part méconnue de la filmographie de Victoria Abril pour rappeler qu'avant d'être une égérie de Pedro Almodovar elle était déjà une actrice provocante et engagée. On en oublierait presque les traditionnelles cartes blanches, cette année offertes à l'ex-pornstar désormais brillante sociologue Ovidie, Dominik Moll dont La nuit du 12 est un des succès surprises du moment ou l'activiste et légende de la musique industrielle Cosey Fanni Tutti. Un menu pantagruélique qui amènerait presque à penser que l'étrange festival porte finalement mal son nom, quand il n'est qu'une invitation à ce qui devrait être une chose normale : savoir être ouvert aux formes et propos transgressifs, plus que jamais nécéssaire dans une époque qui elle devient de plus en plus étrange à force de se soumettre aux pensées grégaires.
Jusqu'au 18 septembre au Forum des images à Paris.
07 septembre 2022
3:38
"SHABU" de Shamira Raphaela : L'été d’un ado donne des couleurs joyeuses à la grisaille usuelle des docus sur le quart-monde
Puisque cette semaine c'est la rentrée, pour cette chronique comme pour les scolaires attaquons l'année avec une citation littéraire. « À 17 ans on n'est pas sérieux » disait donc Rimbaud. A 14 ans non plus. Du moins pas Shabu, un ado qui se prend déjà pour un grand. Mais qui fait donc des conneries. La dernière en date est d'avoir piqué puis fracassé la voiture de sa grand-mère. Celle-ci a la sagesse de le punir en le forçant à trouver des petits jobs jusqu'à ce qu'il puisse payer les réparations. La réalisatrice Shamira Raphaela transforme cet improvisé travail d'interet général familial en confrontation entre un môme et les réalités du monde. Détail non négligeable, Shabu est issu de la classe ouvrière, est enfant d'immigrés venus du Surinam et vit dans un cité de banlieue d'Amsterdam. Soit tout pour donner un documentaire misérabiliste sur la plèbe comme il en pullule depuis toujours.
Sauf que Shabu s'essaie à une autre manière de faire passer la pilule du traditionnel portrait sombre du quart-monde... C'est même probablement une première dans ce registre Shabu est un film incroyablement solaire. Là où toute une tripotée de cinéastes pleureraient sur l'épaule de ceux qu'ils filment, Shamira Raphaela cherche ce qu'il peut y avoir de lumineux quand on vit dans ce contexte là. Pas forcément pour glisser vers un sirupeux feel-good-movie qui serait forcément contre-productif, mais au contraire nuancer les choses, ne pas s'abandonner au traditionnel dogmatisme de la misère. Avec Shabu on n'est pas dans la grisaille des Dardenne, mais plutôt dans les couleurs du cinéma de quartier du Spike Lee des débuts, pour une sorte de film d'aventure de la vie, au gré des tribulations souvent poilantes de cet ado un peu cossard mais surtout débrouillard. La saison choisie, un été très ensoleillé, renforçant un esprit des plus chaleureux sans pour autant aller faire la sieste. Raphaela camoufle sous les traits du très sympathique Shabu, un concret propos sur l'importance des cultures comme de la transmission intergénérationelle et plus encore comment elles restent d'une grande modernité. On pourrait aussi y ajouter cette vision en coupe, quasi ethnographique mais loin de tout stéréotype, des barres HLM à la Hollandaise, avec des horizons pas forcément moins bouché, mais des murs qui paraissent moins infranchissables quand ils ont des teintes pop. Le tout avec une même envie d'optimisme, d'enthousiasme et surtout une profonde tendresse pour cette population, filmée comme rarement, dans la vérité du quotidien : lucide quand à ses difficultés, mais aussi sur un ordinaire de vie qui peut aussi intégrer certaines joies .
Du coup renvoyons Rimbaud à son spleen car Shabu rappelle qu'à 14 ans, on a encore un peu le temps de ne pas être sérieux.
En salles le 31 août.
31 août 2022
3:21
“Cahiers noirs” de "Cahiers noirs" de Shlomi Elkabetz : Hommage d’un frère à sa sœur disparue, Cahiers Noirs confirme le pouvoir qu’ont les films de prolonger la vie
Shlomi Elkabetz a longtemps filmé sa sœur, Ronit. Comme cela se fait dans certaines familles, pour des archives personnelles, mais aussi dans une trilogie de fictions où elle tenait le rôle principal. Et encore que dans “Prendre femme”, “Les 7 jours” ou “Le procès de Viviane Amsalem”, il y avait beaucoup de leur réalité. Du moins de celle de leur mère qui aura inspiré ce triptyque immergeant dans le parcours d'une femme judéo-arabe. En 2016, Ronit meurt, laissant son frère avec la souffrance d'un deuil inconsolable. Avec “Cahiers noirs”, il va tenter de continuer à la faire vivre, à partir d'un montage des centaines d'heures d'images qu'il avait d'elle mais aussi d'extraits de la trilogie. Le résultat est des plus troublants quand il devient à la fois un journal des plus intimes et une sorte d'arbre généalogique par procuration.
À la manière d'un double making of, à la fois de films et d'une vie, Cahiers Noirs, Ronit, actrice incroyablement vivante au naturel, et Viviane, mère de fiction, ont chacune droit à un volet de ce documentaire. Mais n'ont de cesse de se répondre, voire de fusionner. Jusqu'au vertige, quand on découvre qu’Elkabetz jouait cette mère en quête absolue de liberté, en luttant dans sa propre vie contre un cancer qui allait l'emporter.
Ou quand il est évident que Shlomi filmait sa sœur au quotidien comme une tragédienne. Mais aussi comme un frère, qui aurait rétrospectivement souhaité pouvoir la sauver de son destin.
À sa manière, "Cahiers noirs" réinvente le principe du champ-contrechamp en racontant la Ronit du quotidien, et la Ronit comédienne. Les deux ayants en commun d'être une tornade. Elle continue de vibrer telluriquement dans ce documentaire qui conforte l'absence d'une telle actrice dans le cinéma, tout en continuant à affirmer sa présence. Jusqu'à aborder sa mort comme une simple information, balayée par ce torrent d'images de cette femme, actrice et sœur, dans ses fragilités comme dans ses élans. Un hommage très émouvant quand il accepte qu'elle soit désormais un fantôme mais souhaite continuer à converser avec elle.
29 juin 2022
3:15
La comédie romantique avait besoin d’une réinvention, “I’m your man” en dérègle idéalement l’algorithme.
Si la science-fiction est un registre éminemment populaire, c'est sans doute en partie par sa part de prophétie, d'hypothèses sur nos futurs pas si lointain. Bien avant que nos foyers aient fait de la place aux Alexa, Ok Google et autres assistants vocaux, ou que nos intérieurs se soient truffés de systèmes domotiques censés être conscients, la SF avait intégré l'idée de l'intelligence artificielle. Généralement comme une menace pour l'espèce humaine, plus rarement comme son compagnonnage. À l'aube des années 2000, la thématique a pris un virage inattendu au cinéma, poussant la relation entre l'homme et la machine vers une étude des sentiments amoureux voire de la conjugalité.
Ainsi, on se souviendra du Her de Spike Jonze, relecture cybernétique de la romance ou du Ex-Machina d'Alex Garland pour sa vision d'un patriarcat 2.0. I'm your man s'essaie lui aussi à envisager des rapports de couple mais avec un point de vue plus rare : là où ce sont généralement des réalisateurs qui ont élaborés des théories, c'est une femme, Maria Schrader qui s'en empare.
Qu'est-ce que ça change ?
Au minimum, certains codes quand I'm your man inverse ce qui semblait être devenu dans les films cités et pas mal d'autres un principe narratif quasi robotisé imposant que les machines ont des traits ou des caractéristiques féminines. Ici, Alma, une trentenaire dans toute sa complexité humaine se retrouve à tester pendant quelques semaines un androïde conçu pour répondre à tous ses désirs, voire les devancer. Autrement dit être l'homme idéal. I'm your man bouscule l'algorithme des comédies romantiques lorsque Alma est réticente, se fait plus froide que les rouages métalliques du pourtant très séduisant robot, lequel se met à bugger devant l'impossibilité de remplir sa fonction.
I'm your man fait alors glisser les canons, impeccablement maîtrisés, de la comédie de mœurs vers une zone moins balisée, interrogeant les normes, qu'il s'agisse des questions de genre, de déterminisme de la quête du bonheur comme réussite sociale obligatoire. Schrader n'a pas de réponses toutes faites ; plutôt faire l'éloge d'imperfections humaines incompréhensibles pour les machines trop raisonnées, pour un film surprenant, doux, drôle et réfléchi, porté par une intelligence de propos tout sauf artificielle.
22 juin 2022
3:00
“Incroyable mais vrai" : la nouvelle visite de la Maison Dupieux ouvre sur des pièces plus secrètes que prévues.
La faute à des pitchs improbables côtoyant le surréalisme (on parle quand même d'un gars qui avait inventé un pneu serial killer pour Rubber ou une mouche géante à domestiquer dans Mandibules) ou à des situations tellement énormes que les révéler tiendrait du méga-spoiler. Alors qu'est ce qu'on peut dire d'Incroyable mais vrai ? D'abord le minimum sur son postulat, autour du secret que contient une pièce d'une maison fraîchement achetée par un couple de quadras banal.
Mais surtout lever le véritable lièvre qui se planque ici. A savoir qu'Incroyable mais vrai est sans doute le plus accessible, le plus lisible des films de Dupieux, tout en ne désertant pas son univers usuel. C'est même probablement celui qui allie le mieux ses deux versants habituels : l'absurde d'intrigues qui font basculer le naturalisme dans une autre dimension et une constante plus souterraine autour des névroses des personnages.
Plus troublant, Incroyable mais vrai amène à penser que Dupieux baratine quand il déclarait qu'«Il n'y a rien de plus beau dans l'art que de ne pas réfléchir » ou quand il affichait directement comme mode d'emploi de son travail, par exemple dans Rubber, une séquence où un policier lâchait un « no reason » à toutes les demandes d'explication. Incroyable mais vrai en fait une façade qui s'effrite devant une pertinente méditation sur la vieillesse et le couple. Sans rien en dire de plus, il est question ici d'un tunnel.
Il n'est pas impossible que Dupieux, réalisateur qui s'est toujours refusé à décortiquer le sens de ses films, s'y dissimule pour se laisser aller à certaines confidences, d'un rapport aux contes (Incroyable mais vrai n'est pas sans passerelles vers Alice au pays des merveilles ou Le portrait de Dorian Gray) à une réflexion personnelle sur les vaines vanités des hommes et des femmes. Il n'est d'ailleurs pas impossible que ce film-là en dise trop sur Dupieux, qu'il ne soit qu'une parenthèse. Pour preuve, le suivant, Fumer fait tousser, présenté au dernier festival de Cannes remet déjà le masque du burlesque et de la déconne. Incroyable mais vrai, film plus profond que son mystérieux tunnel, n'en est que plus touchant : incroyable par son postulat (et ses quatuor de comédiens, Alain Chabat, Léa Drucker, Anaïs Demoustier et Benoit Magimel), émouvant dans l'impression d'enfin toucher au vrai d'un réalisateur plus philosophe que prévu.
15 juin 2022
3:49
“Le pacte des loups” : On fera un petit tour en arrière du côté de la dernière tentative de blockbuster à la française avec la ressortie du “Pacte des loups”.
En 2001 sortait un cas des plus singuliers. Le pacte des loups s'essayait à la fois à renouer avec une tradition du film d'aventures à la française, tel qu'il s'en était produit entre les années 50 et 70, tout en y incorporant les codes d'une contre-culture, des mangas au jeu vidéo qui s'était imposée ensuite. Toute la cinéphilie de Christophe Gans, à la fois spectateur aussi érudit que boulimique et gardien du temple d'un cinéma populaire, de Bruce Lee aux giallos en passant par les films d'épouvante, mais longtemps méprisé par l'intelligentsia critique, nourrissait un projet hors norme. Surtout dans ce début d'années 2000 ou la production française stérilisée par le formatage des chaînes de télévision, devenues ses principaux financiers, pensait le cinéma de genre sous l'égide d'une économie au rabais, de série B. Le pacte des loups faisait office d'inattendu prototype en voulant renouer avec le réservoir à histoire d'un folklore local, en partant de la légende de La bête du Gévaudan tout en l'adaptant à la mondialisation culturelle geek en cours.
Tout partait donc d'un fait divers du XVIIIe siècle; Mué en légende urbaine autour d'un monstre fantasmé par les populaces pour arriver à un film monstre. Par sa production d'abord, gonflée par un Canal + en plein rêve hollywoodien. La chaîne qui venait de racheter le studio Universal voulait rouler des mécaniques, montrer qu'on pouvait rivaliser avec les blockbusters made in Usa. Par son tournage ensuite, parsemé d'embûches, qui débordera sur plus de cinq mois au lieu des trois initialement prévus. Il y avait tout pour arriver à une catastrophe, écrire une autre légende, celle d'un cinéma français boursouflé par la folie des grandeurs. Ce ne sera pas le cas, Le pacte des loups sera un des gros succès de l'année et bâtira une autre réputation pour le cinéma français à l'étranger que les productions Besson.
Il reste pour autant une énigme autour de ce film quand il ne s'est rien passé ensuite. Ou presque. Quand cet exemple d'une possible réinvention d'un cinéma de genre à grand spectacle français, n'a pas été suivi de sa réindustrialisation. La signature de ce pacte là n'aura pas été renouvelé par l'industrie, préférant revenir à un modèle économique plus cheap, moins audacieux. Aujourd'hui, Le pacte des loups ressort, dans une version restaurée. Au-delà de sa beauté plastique, c'est l'avance sur son temps qui en ressort. Evidemment en vingt ans, certains effets spéciaux ont un peu vieilli, mais l'anticipation de fusions culturelles saute aux yeux, Le pacte des loups parlant sans soucis aux ados gamers d'aujourd'hui qu'à ceux accros au cinéma sud-coréen et ses virages narratifs. L'impression d'avoir trouvé la bonne formule pour renouer avec un divertissement populaire haut de gamme est d'autant plus vibrante dans une époque où justement le cinéma français en a besoin pour venir à bout d'une crise des entrées. La chose n'est peut-être pas perdue, si Gans a toujours du mal à monter ces projets, il n'a rien réalisé depuis 2014, et sa relecture tout aussi pop de La belle et la bête est attendue pour l'année prochaine,
Toutefois, le passif du réalisateur, notamment l'an dernier un Eiffel incapable de sortir d'un poussiéreux académisme ou l'apparition d'une affiche pour célébrer la fin de tournage vantant avant tout les moyens financiers mis sur le retour de D'Artagnan et Milady, laissant penser à un argument de vente forcée, ne sont pas rassurants. On verra bien, à sa sortie en 2023, si cette superproduction a tiré les leçons du Pacte des loups. En attendant on peut donc revoir cet inattendu film laboratoire, récit d'aventure sur comme derrière l'écran.
08 juin 2022
4:23
"Salo ou les 120 Journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini
Il arrive, comme à n'importe quel critique de cinéma, qu'on me demande quel film il faudrait absolument avoir vu dans sa vie. J'ai toujours eu du mal à répondre à cette question. Pas tant parce que la réponse ne peut être que subjective, donc pas forcément satisfaisante, mais surtout parce qu'à mon sens, LE film qui y répond le mieux est à la fois fondamental et le plus perturbant que je connaisse, par son sens du nihilisme le plus absolu. Salo ou les 120 journées de Sodome, puisqu'il s'agit de lui, est clairement l'un des rares cas de film qui fait totalement désespérer de l'humanité. Mais en cela, il remplit totalement l'objectif de Pier Paolo Pasolini : son évocation de la république de Salo, État autoproclamé par Mussolini pendant la seconde guerre mondiale, est l'avertissement le plus probant, le plus efficace contre le fascisme.
Pasolini revisite cette république fantoche en y incorporant un des textes les plus connus du Marquis de Sade. Quatre notables y séquestrent 9 jeunes hommes et 9 jeunes femmes qu'ils vont supplicier en trois étapes reprenant le principe des cercles de l'enfer chers à un autre écrivain, Dante Alighieri. Salo ou les 120 journées de Sodome est d'autant plus un choc que Pasolini avait auparavant célébré dans une Trilogie de la vie, une liberté sexuelle comme de penser sous un jour solaire et allègre. Salo est son absolu inverse, une œuvre d'une totale noirceur, d'une profonde violence physique. Et pourtant indispensable, presque cinquante ans après sa sortie car réapparaissant dans une époque où les démocraties sont fragilisées, mais aussi celle où le mot même de fascisme s'est banalisé, dilué dans des conversations de comptoir comme dans le brouhaha dégueulant de haine ordinaire, de certaines chaines d'info en continu invitant le contexte de Salo dans les salons. Pasolini jouait sans le savoir du même sens de l'excès pour rappeler l'asservissement possible par les élites sociales bourgeoises. Certes dans la vision extrême d'un régime détruisant toute liberté, toute dignité, s'affranchissant des limites jusqu'à être un cas peut-être unique de pornographie morale et visuelle. En 1975, Salo fait scandale, jusqu'à être censuré dans beaucoup de pays, devenant le film qu'on ne devait pas voir justement parce qu'il figurait l'immontrable.
Aujourd'hui, cela reste un des films les plus insoutenables existants, que même sa part de grand-guignol n'atténue pas. Mais c'est justement parce qu'il force à regarder ce que l'on ne veut pas voir ni entendre, que Salo reste fondamental. Pasolini n'aura pas eu le temps d'ouvrir les yeux sur son propre film. Il est mort assassiné quelques jours avant sa sortie. De fait testamentaire, Salo résonne pourtant encore plus fort dans sa part d'avertissement, éminemment cruel mais plus que jamais nécessaire, quand si la république de Salo n'a existé que moins de deux ans, on ne sait pas combien de temps les salauds actuels menaceront les républiques.
Ressorti le 1er juin
01 juin 2022
4:25
Cannes 2022 : prolongations du match
Comme le dirait Jean-Louis Aubert « Voilà, c'est fini ». Le festival de Cannes 2022 s'est terminé comme de coutume avec son palmarès. Est-ce qu'on en a terminé pour autant avec cette 75e édition ? Pas si sûr. Il va même falloir la digérer au-delà d'une remise de prix qui, à l'inverse d'une compétition globalement perçue, du moins par la presse, comme très moyenne, aura réservé son lot de surprises. À commencer par le discours amusé mais en demi-teinte de Vincent Lindon, président du jury réclamant un nouveau mandat tout en indiquant clairement que sa voix n'avait pas pesé plus que les autres ou que chaque décision avait été prise à « grande majorité », donc sous-entendu sans unanimité. Peut-être fallait-il lire entre les lignes qu'il voulait refaire le match. Pendant que les supporters anglais de Liverpool/Madrid se faisaient gazer devant les grilles du Stade de France, l'énonciation des prix aura pourtant donné l'impression d'un tirage au sort, que ce soit au vu du nombre de films (près de la moitié de la compétition) récompensés ou son nombre inhabituel d'ex-aequos. Auront été principalement distinguées les équipes sud-coréennes (prix d'interprétation masculine pour Song Kang-Ho dans Les bonnes étoiles, prix de la mise en scène pour Park Chan-Wook et Decision to leave) et Belges (quoique, Les huit montagnes et Close ayant dû partager les prix du jury et le grand prix, tandis que les frères Dardenne étaient mis en tribune d'honneur avec un accessoire prix du 75e anniversaire). Reste ce sentiment que le jury s'est accroché au banc de touche en allant ni dans le sens d'un public cannois qui avait fait de Close, sa palme du cœur, ni dans celui de la presse, qui espérait le triomphe de son chouchou Pacifiction voire se serait contenté du couronnement de l'iranien Leïla et ses frères.
En faisant le choix d'adouber Triangle of sadness, Lindon et ses jurés s'est autodecerné à leurs yeux un carton jaune. Comme le rire qui traverse le film de Ruben Östlund, qui se voudrait une version Titanic du monde des ultra-riches, mais finit par prendre des airs d'un épisode trop cynique de La croisière s'amuse.
Pour autant, il y a bien un iceberg dans ce palmarès. Pas forcément celui formulé par
la déclaration d'intention de la cérémonie d'ouverture, annonçant, jusque dans l'apparition de Volodymyr Zelensky, une feuille de route politique. Derrière le trompe-l'œil de Triangle of sadness, certes satire corrosive du capitalisme, mais sous une forme des plus embourgeoisées jusqu'à son cynisme condescendant, le rendu n'a été saupoudré que de deux films pointant du pointant du doigt les régimes iranien ou égyptien, sous couvert de cinéma de genre (thriller pour Les nuits de Mashaad ou film d'espionnage pour Boy from heaven), quand cette teinte était beaucoup clairement marquée chez, pour ne citer qu'eux, James Gray, Saeed Roustaee, Cristian Mungiu ou Albert Serra, cinéastes repartis bredouilles.
Etonnamment, c'est vers une autre politique que celle, traditionnellement cannoise, des auteurs que s'est tourné le jury en célébrant avant tout des films ayant un potentiel populaire, ce qui quelque part tient d'une courageuse forme de dissidence envers le festival de cinéma certes le plus médiatisé au monde, mais concrètement bien plus tourné vers l'entre-soi d'une industrie- incluant la critique- que vers le public. Et si l'on peut déjà lire, ici ou là, que ce palmarès est hors-sol, il s'avère en fait bien plus ancré dans le terrain très meuble ces temps-ci d'un monde de cinéma qui doit reconquérir les spectateurs.
30 mai 2022
3:24
Cannes 2022 : D(h)ont acte
On le savait, mais on se fait toujours avoir, Thierry Frémaux est facétieux. Chaque année, le délégué général et sélectionneur en chef du festival de Cannes garde sous le coude des cartouches pour la fin de l'édition. Ainsi, alors que la tendance globale du côté de la presse est plutôt morose, pas vraiment emballée par une compétition estimée terne ; depuis jeudi dernier, une salve forte est lancée pour les derniers jours du festival. Ce tous azimuths : vous cherchiez des films qui allaient enfin nourrir des batailles critiques ne pouvant départager laudateurs criant au génie et détracteurs hurlant à la purge ? Stars at noon et Pacifiction les nouveaux films de Claire Denis et d'Albert Serra s'en chargent, avec deux œuvres particulièrement divisives. Elles ont pas mal de choses en commun. À commencer par allier moiteur et fond politique, Denis en plongeant une journaliste américaine dans un Nicaragua infesté de barbouzes et trafic d'influence, Serra en suivant un haut-commissaire français à Tahiti sous menace de reprise des essais nucléaires. Et plus encore les personnalités de leurs cinéastes, ne craignant jamais de contourner les conventions, de poser leurs propres règles narratives. Le catalan se faisant le plus étonnant en parvenant à se rapprocher bien plus que d'habitude d'une trame scénaristique là où la française se fait trop opaque, préférant la sensualité d'une relation entre cette journaliste et un mystérieux businessman à un récit clair. Pour autant, Pacifiction est plus radical que Stars at noon, dans un rythme de film d'aventures ralenties entre stagnation et dialogues visiblement improvisés. Les deux se rejoignant en faisant corps de cinéma autour de corps d'acteurs, Margaret Qualley chez Denis ou Benoit Magimel chez Serra étant les incroyables centrifugeuses de ses deux épopées aussi envoûtantes que raides.
Plus consensuels, Les bonnes étoiles et Close auront été les autres temps forts de ce baroud d'honneur. D'un côté, le second film de Lukas Dhont, après le remarqué Girl, de l'autre celui du vétéran Hirokazu Kore-Eda. Etonnamment, c'est le réalisateur japonais qui sort de sa zone de confort en transposant sa spécialité (des histoires de familles recomposées) en Corée, autour d'un trafic d'enfants. Les bonnes étoiles s'avérant particulièrement aimables voire des plus affectueuses. Dhont, en dépit de l'affirmation d'une mise en scène, tire son récit d'amitié adolescente vers une fracture dans une seconde partie lisse comme son imagerie clean digne d'un spot d'association sur Instagram pour la protection de l'enfance. Dans les deux cas, les salles cannoises ont été en larmes, jusqu'à en faire leurs palmes du cœur, devant ces histoires de culpabilités refoulées, mais il y a de quoi préférer la manière dont Kore-Eda transforme des bons sentiments en très chaleureuse empathie là où Dhont laisse son sens de la distance se faire rattraper par scénario écrit à la truelle. Reste à voir si ces quatre films, malgré tout moins léthargique que les autres en compétition, vont cimenter ou non le chantier du palmarès à venir.
30 mai 2022
3:09
Cannes 2022: en vitesse de croisière
Comment ça se passe à Cannes au bout d'une semaine de festival ? Allez savoir si c'est la fatigue usuelle ou si c'est une sensation plus globale, mais disons qu'à ce stade on ne parlera pas de ventre mou, mais de mou tout court. Rien qui ne ressorte vraiment du côté d'une sélection toutes sections confondues aux airs de mer d'huile. Notamment une compétition qui ne fait pas de vagues pour le moment. Pas de clair enthousiasme, ni de broncas. Si on a bien vu passer des stars, Tom Cruise en tête, du côté des étoiles décernées dans les divers tableaux des revues professionnelles, c'est le calme plat, à peine si “Frère et sœur”, le film d'Arnaud Despleschin s'est fait un peu chahuter en séances de presse.
Le seul bruit à s'être fait entendre ont été des éclats de rire pendant la partie centrale de “Triangle of sadness”, dézinguage en règle du capitalisme par Ruben Östlund, palmedorisé en 2017 avec “The Square”. Mais ce sursaut s'étouffe dans le reste d'une satire qui s'étire de trop sur 2h30 particulièrement démonstratives. Pas mieux du côté de David Cronenberg qui avait lui-même annoncé s'attendre à des sorties furibardes dès les cinq premières minutes de son “Crimes of the future”. Ça n'a pas été le cas, la torpeur d'un opus ayant plutôt cloué les accrédités sur leurs fauteuils. Dans ce qui paraissait sur le papier être le retour du cinéaste canadien à ses grandes heures, la douleur a disparu du monde laissant les humains se lancer dans des performances chirurgicales. L'effet aura été une anesthésie générale, devant un film trop distant, apathique jusqu'à endormir sa mélancolie ou sa part testamentaire.
Park Chan-Wook fait lui dans l'héritage, avec “Decision to leave”, très divertissant hommage au “Vertigo” d'Hitchcock, entrelaçant intrigue romancière et beau mélo, mais sans parvenir aux vertiges pervers de ses films précédents. Faute de venin, le sud-coréen est pour autant en pleine montée de sève formelle, pour ce qui, pour le moment, reste le meilleur candidat de la compétition à un prix de la mise en scène.
Dans une édition jusque-là assez terne, pas grand-chose de notable donc du côté d'une compétition aux airs de minimum syndical. Pas beaucoup mieux à La semaine de la critique, en petite forme, alignant des films peu enclins à sortir de leurs rails, frisant globalement l'anecdotique. Le premier film de Charlotte Le Bon, présenté à la Quinzaine des réalisateurs, fait office d'éclaircie justement en dégondant un terrain ultra balisé. Chronique d'un amour d'été dans les grands lacs canadiens, “Falcon Lake” brouille les pistes en faisant flirter le cinéma teenager et le fantastique pour un étonnant climat, idéal pour aborder cette période entre deux âges. Le Bon se calant sur les mêmes variations hormonales, allant de l'euphorie au spleen. Dans l'horizon, pour l'heure assez plat, de cette édition, aller tremper les pieds dans ce lac-là est réellement rafraîchissant.
25 mai 2022
3:00
Cannes 2022: sur le marché du film
25 mai 2022
2:54
Cannes 2022 : one, two, three… vive la Tunisie
Le festival de Cannes est aussi une manière de rebattre les cartes du cinéma. Y compris d'un point de vue géographique. En mettant en avant certains films, le festival prend la température des productions émergentes voire réémergentes. Tout en suivant leurs mouvements quasi tectoniques.
Ainsi, les pays du Maghreb se sont installés dans le radar cannois depuis quelques années. Un peu en 2019, à La Semaine de la critique avec l'Algérien “Abou Leïla” et le marocain “Le Miracle du saint-inconnu”, un peu plus l'an dernier quand Nabil Ayouch permettait au Maroc d'accéder à la compétition avec “Haut et fort”. En 2022 c'est la Tunisie qui débarque en force sur la croisette. Deux films : “Ashkal” et “Sous les figues”, présentés à la Quinzaine des réalisateurs. Un autre : “Harka”, à Un certain regard. Tandis que la réalisatrice Kaouther Ben Hania préside le jury de La semaine de la critique.
Ce n'est même pas un signe, mais bel et bien une tendance : les cinémas du Maghreb connaissent un second souffle. Il se manifeste par la claire apparition d'une jeune génération, désireuse de sortir leurs films de certains stéréotypes, ou de sujets souvent tournés majoritairement vers un public local. Pour preuve, l'appropriation des codes du cinéma de genre. Avec “Ashkal”, Youssef Chebbi s'essaie au film noir (voire très noir) en suivant l'enquête de deux policiers sur des meurtres commis à Carthage. Tandis qu'Erige Sehiri avec “Sous les figues”, transforme un verger en terrain pour une romance entre ouvriers proche d'un feel-good movie.
Au-delà de leurs fortes qualités respectives, Ashkal et “Sous les figues” ont celle, pas si évidente, d'être exportables. De pouvoir s'adresser à tous les publics. Un principe qui doit aussi à l'apparition, là aussi, d'une nouvelle génération, de producteurs. Tout comme les réalisateurs, ils semblent s'être décomplexés d'un héritage culturel ou traditionnel pesant. Sans doute un effet collatéral, et bienvenu, des printemps arabes.
Reste à savoir si cette vague de fond va pouvoir fleurir plus que bourgeonner. Car dans la plupart des pays concernés, le financement du cinéma reste entre les mains de l'état et des pouvoirs publics. Au Maroc, les fonds sont stables, mais certaines lois restent poussiéreuses. Tandis qu'en Algérie, la fermeture en 2020, soit un an après sa création, d'un secrétariat dédié à l'industrie cinématographique ou la récente mise en place d'une commission, qui ne délivrera les autorisations de tournage qu'après lecture des scénarios ne sont pas très bons signes. De même le limogeage, début mai du ministre de la culture tunisienne ne présume pas que les subventions aux producteurs, en baisse constante depuis plusieurs années, prennent le chemin inverse.
L'autre question centrale restant la capacité à faire exister localement ces cinémas : le Covid n'a pas arrangé les choses. Alors que le parc de salles est chétif (44 salles pour tout le Maroc, 15 en Tunisie, à peine plus de 20 en Algérie), certaines ont définitivement fermé. Paradoxalement, au même moment, des gros groupes étrangers commencent à investir dans la construction de multiplexes. La question étant de savoir si quand ceux-ci ouvriront, ils ne diffuseront pas, comme dans la plupart du monde, majoritairement des blockbusters américains. Mais peut-être que d'ici là, au vu d'un nombre grandissant de projets en cours, c'est ici en Europe que les nouveaux cinémas du Maghreb trouveront la place qu'ils méritent.
24 mai 2022
3:22
Cannes 2022: Dos au mur
À Cannes rien n'est vraiment anodin. Des journées et horaires où les films sont programmés, au protocole de la montée des marches, tout tient d'une stratégie jusque dans la symbolique. Cette année, la première qui aura sauté aux yeux est le fond commun aux affiches des principales sections.
La concurrence, pur secret de polichinelle, entre la Sélection officielle, la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique, les poussent à marquer leur territoire et leur identité. Pourtant, les trois affiches pour 2022 auront convergé autour d'un même motif.
Pendant que celle de la Semaine projette des images sur un dos nu, celles de la Quinzaine des réalisateurs fond un homme dans un décor, façon caméléon, face contre un mur. L'affiche de la sélection officielle, montre un autre homme, Jim Carrey dans “The Truman show”, cette fois-ci de profil mais aussi incrusté façon trompe-l'oeil. C'est le hasard, puisqu'elles ont été conçues indépendamment les unes des autres, qui les a amenées à ne pas arborer de visage. Mais cela raconte aussi une idée commune, celle de tourner le dos, mais à quoi ?
Peut-être à la situation de crise qui s'est emparée du cinéma depuis que celle du COVID a agi comme un accélérateur de particules amplifiant des phénomènes déjà présents. Ou à celle d'une désaffection du public envers le cinéma d'auteur et à la montée en puissance des plateformes.
Reste que ces affiches posent un véritable point d'interrogation. Et rien n'indique si elles sont le symptôme d'un déni du contexte actuel, qui fait forcément tâche dans un festival qui s'est toujours évertué à être un moment festif pour l'industrie du cinéma. Ou si à l'inverse de faire l'autruche, elles indiquent vouloir regarder de l'avant, quitte à ne pas savoir vraiment vers quel horizon.
Étonnamment, ce principe de trompe-l'œil s'est aussi invité dans des films jouant eux aussi sur des paradoxes. Que ce soit l'émouvant “Les huit montagnes”, chronique d'une amitié au long cours, faisant entrer dans un format d'image carré, une vision panoramique des sommets du Piémont comme de l'humanité. Ou “Tchaïovski's wife”, évocation d'une relation conjugale forcée, dans laquelle Kirill Srebrennikov écarte peu à peu des enluminures un rien académiques, pour faire de la place à de la démesure formelle. Même James Gray, avec “Armageddon time”, dissimule une chronique semi-autobiographique laborieuse dans l'Amérique du début des années 80. Prophétie de l’ultra-libéralisme des années Trump à venir.
Trois films partant du passé pour se pencher sur le présent, assumant justement le regard qui manque aux trois affiches du festival. En indiquant très clairement dans une mélancolie partagée, que le cinéma doit se préparer à faire ses adieux à un état d'innocence s'il veut s'armer pour affronter des lendemains aussi menaçants qu'incertains.
23 mai 2022
2:53
Cannes 2022 : le vent commence à souffler fort en coulisses économiques
20 mai 2022
5:19
Cannes 2022, Jour 1 : on ouvre !
Usuellement les zombies à Cannes font plutôt leur apparition en fin de parcours, au vu des têtes de décavés des accrédités ayant encaissé dix jours de projections non-stop et des nuits souvent raccourcies. Cette année, les cadavres ambulants ont ouvert le bal hier soir avec la projection en ouverture de “Coupez !”, le nouveau film de Michel Hazanavicius. Enfin pas si nouveau que ça. D'abord parce qu'il s'agit d'un remake d'un rigolo ovni japonais de Shinichiro Ueda : “One cut of the dead”. Ironiquement rebaptisée en français Ne coupez pas !. Cette revisite française en reprend le principe et la structure, soit les mésaventures d'une équipe de tournage réalisant une série Z d'horreur. Mais, “Coupez !” en chamboule la temporalité, en attaquant par le film en question avant de revenir en flashback sur ses coulisses.
Le film de Shinichiro Ueda était un exercice de style bricolé avec les moyens du bord, l'énergie et les idées palliaient le manque de moyens. La version Hazanavicius a beau ne pas démériter sur ce point, elle pose pour autant la question de savoir d'où on filme. Et même plus, de ce que l'on filme. Au-delà de l'exotisme chez des spectateurs occidentaux, le film original de Ueda avait pour lui d'être cohérent. Que ce soit dans son artisanat, ou sa conscience de s'adresser avant tout à un public de cinéma fantastique prêt à s'amuser avec ses codes.
Si “Coupez !” n'en reste pas moins personnel, on y retrouve comme dans la plupart des films d'Hazanavicius, un jeu de miroir sur le propre rapport gourmand du réalisateur au cinéma. Il s'imprègne malgré lui d'une sorte d’appropriation culturelle. Par sa nature économique, loin de l'esprit low-budget du film initial. Renforcée par sa présence à Cannes, festival qui n'a jamais su vraiment se débarrasser de son image de gotha du cinéma. Voire à s'extraire pleinement d'un regard condescendant sur le cinéma de genre. La chose étant renforcée par un précédent, à savoir “The dead don't die”. Autre film de zombie, qui avait aussi fait l'ouverture du festival en 2019, et se démarquait par un regard assez hautain. Et surtout bien plus sinistre que drôle, d'un pur auteur cannois Jim Jarmusch, sur le cinéma d'horreur.
On trouvera d'autant plus audacieux le choix d'exposer “Coupez !” a un public d'officiels, façons sous-préfète et ministre de la culture. Forcément désarçonnés par une première, et avouons-le interminable, demi-heure de série Z plus vraie que nature et qu'ils risquent de prendre au premier degré. On pourra aussi y voir une éventuelle note d'intention préliminaire de cette 75e édition. Indiquant qu'il est sans doute temps que Cannes, comme une industrie cinéma aux certitudes particulièrement mises à mal par la crise actuelle des entrées, se réinvente, casse ses codes. En attendant, il n'est pas impossible que cette année les premières têtes de décavés sur la Croisette soient celles de la sous-préfète et du public protocolaire, risquant de rire plus jaune qu'à gorge déployée en sortant de cette ouverture aussi courageuse que casse-gueule.
19 mai 2022
3:03
“The Northman” : Le monde du cinéma de studio hollywoodien serait-il plus âpre que la mythologie viking ?
Il sera intéressant un jour de se pencher sur la sorte de malédiction qui pèse sur les films de vikings faits par des réalisateurs américains. Régulièrement, on a vu des cas de projets super excitants autour d'épopées revenant sur ces guerriers nordiques. Donnant à l'arrivée non pas des films ratés, loin de là, mais claudicants, jamais vraiment à la hauteur de leurs auteurs.
Ainsi, il faut se souvenir du 13e guerrier de John McTiernan, qui aurait pu être à ce registre ce que son Piège de cristal avait été au blockbuster d'action. Si le romancier Michael Crichton n'avait pas remonté le film dans le dos du cinéaste. Il y avait aussi le projet extravagant nourri par Mel Gibson, celui d'une saga nordique qui aurait été parlée en véritable langue viking. Avant de l'abandonner faute de financement, malgré la présence prévue de Leonardo DiCaprio au casting. Aujourd'hui, c'est au tour de Robert Eggers de s'attaquer à cette mythologie avec The Northman.
Après deux premiers films décapants, The witch et The Lighthouse, revisites dérangées du monde de la sorcellerie ou de la folie selon Lovecraft, Eggers est allé dégotter non seulement la légende nordique qui allait plus tard inspirer Hamlet à Shakespeare mais s'est entiché d'un savoir encyclopédique sur les tribus vikings.
The Northman promettait de rallier à la fois un divertissement épique à la Conan le Barbare, mais aussi d'être traversé de visions folles, entre chevauchée de valkyries et rituels de possessions chamaniques. Tout ça est encore un peu là à l'arrivée. Mais la trajectoire s'est heurtée à la transition entre un cinéma indépendant et une production de studio hollywoodienne. La seconde ayant visiblement imposé ses impératifs de rentabilité, sur une fresque qui aurait dû être plus baroque, plus intransigeante.
Mais alors pourquoi faudrait-il aller voir The Northman ?
Simplement parce qu'en dépit ses luttes économico-intestines, visiblement plus dantesques que le film en soi, The Northman a conservé de fantastiques éclats. Même s'ils ne sont que sporadiques. Mais aussi, parce que la croisade furibarde d'un prince déchu pour venger son père, est doublée de celle pour une foi en un cinéma à grand spectacle, porté disparu.
Il y a quelque chose ici d'organique, voire d'incarné, qui place The Northman bien au-dessus du cinéma d'aventure américain actuel, déshydraté par les effets spéciaux. The Northman a quelque chose qui lui redonne chair (et sang). Même si cette quête du Valhalla est freinée par la vision précautionneuse d'un studio, elle a des airs de baroud d'honneur, démesuré et lyrique. On peut appeler ça un beau geste. Mais aussi y voir un dernier bout de paradis perdu qui lui aussi, risque de n'être bientôt plus qu'une glorieuse mythologie de cinéma si ce type de projet hors normes n'est pas un minimum soutenu.
12 mai 2022
4:19
“Ego” d’Hannah Bergholm : petit à petit, le cinéma fantastique nordique s’affirme comme un drôle d'oiseau
Il y a quelques mois, l'Islande envoyait une surprenante carte postale avec Lamb, et son enfant-agneau. Et voilà qu'un autre drôle d'animal débarque de Finlande dans Ego. Un oiseau gigantesque, qui prend peu à peu les traits de Tijna, une adolescente mal dans sa peau.
Tout part de la découverte d'un curieux œuf, que cette gamine va couver. Mais Ego tient surtout d'un jeu tordu de poupées russes, puisque sous la coque de cette histoire de dopplegänger, ces doubles maléfiques, se dissimule surtout une cellule familiale qui se fissure progressivement. Notamment autour d'une mère qui veut modeler sa progéniture à son image, physique comme sociale.
Mais visiblement, Ego ne veut ressembler à rien ni personne d'autre...
Effectivement, en croisant le terrain d'un David Cronenberg et son obsession sur les mutations corporelles. Avec la possible obsolescence des sentiments qu'elles engendreraient, et un univers de teen movie rose bonbon peu à peu entaché par du rouge sang. La réalisatrice Hannah Bergholm fait sortir de cette inattendue coquille, un discours audacieux autour de la féminité.
À se demander ce qui est le plus tranchant dans Ego. La manière dont Tijna rompt le cordon avec sa mère ? Ou le portrait d'une femme qui considère son enfant comme un accessoire à la mode ? Bergholm rajoutant à ce malaise, un humour nordique et particulièrement froid. Que ce soit dans l'environnement aussi kitsch que glacé de cette famille, ou cette combinaison d'empathie et de délires freudiens.
Ego couche donc sur le canapé une collection de névroses modernes. De l'atavisme générationnel à la double dictature de l'apparence et de la perfection.
Bergholm attaquant le tout à coups de becs acérés, pour lui voler dans les plumes. Mais aussi confirmer les éclosions inattendues et l’envol d'un cinéma fantastique d'Europe du Nord. Actuellement plus surprenant que ses voisins géographiques. Seul bémol, l'absence de passage en salle pour ce film singulier, qui n'aura trouvé en France qu'une sortie en Blu-Ray pour faire son nid. Mais puisque c'est le seul moyen de le voir ici, alors, comme on disait dans les cours de latin : ego te absolvo.
05 mai 2022
2:57
"Ghost Song" de Nicolas Peduzzi : Houston, on a toujours un gros problème
Évidemment celui de la présidence Trump depuis son élection en novembre de l'année précédente. Mais aussi, ceux plus naturels, qui traversèrent les États-Unis. Notamment Harvey, l'un des plus puissants depuis Katrina qui avait balayé la Nouvelle-Orléans. Nicolas Peduzzi a posé les caméras de Ghost Song à Houston, Texas, alors qu'Harvey se rapproche. Dans ce climat pré-apocalyptique, il filme d'autres tempêtes, plus intimes mais pas moins ravageuses. Celles qui touchent trois vies, ou plutôt trois survies.
Will, Nate et Alexandra viennent de milieux sociaux différents, mais se retrouvent dans une même errance dans le quartier de Third Ward. Situé au centre de la ville, il devient un autre œil du cyclone dans Ghost Song. Peduzzi y suit ce panel pour raconter une génération de trentenaires déboussolés, mais pas apathiques. Le vent qui souffle dans ce documentaire est justement celui d'une rogne collective. À ce tempo, Peduzzi ajoute les sonorités électro et rap de l'époque, dans une bande son incarnant un personnage à part entière.
Pour autant, comme son titre l'indique, il y a bien des fantômes dans Ghost Song. En partie ces trois protagonistes, qui tournent en boucle dans leur malaise. Mais plus encore, les racines d'une Amérique qui remonte au blues. Piste confirmée par cette séquence où Will, prenant sa guitare, improvise un couplet sur son quotidien. Avant que son oncle enchaîne sur le sien.
Et c’est un surprenant remix de cinéma que joue Peduzzi. Quand son documentaire se fait parfois plus incroyable qu'une fiction. Et cela sans même avoir besoin de revenir sur des coïncidences folles, comme le lien de parenté entre Alexandra et George Floyd. Où quand Will, Alexandra et Nate, dans des scènes visiblement rejouées, ont plus d'intensité et de charisme naturel que bon nombre d'acteurs chevronnés. Un autre spectre peut alors s'inviter, celui du travail d'Harmony Korine. Peduzzi filme, avec la même compassion, une Amérique dans sa densité comme dans sa démesure et sans s'encombrer d'une échelle de classe sociale. Dans Ghost Song, tout le monde est réuni au diapason d'une même absurdité. Par exemple, quand pour pouvoir se payer les médicaments opioïdes nécessaires tous les jours pour calmer ses douleurs, il faut devenir à son tour dealer. Peduzzi se refuse cependant à vouloir acter un requiem pour cette vie de quartier. Au contraire, Ghost Song s'incarne dans ce à quoi les gens qu'ils filment peuvent encore s'accrocher. Une fureur. De vivre forcément.
28 avril 2022
2:58
“Et j'aime à la fureur” d’André Bonzel : Le cinéma c’est aussi une manière de transformer des prises de vues en prises de vie
Le cinéma c'est forcément une histoire de projection. De manière naturelle, organique et ontologique évidemment, puisque c'est un art qui est né de ça. Sans projecteur, pas de cinéma. Mais pas seulement.
Pour la plupart des cinéphiles purs et durs, cela tient de la projection de soi, voire d'une vie par procuration. André Bonzel est sans doute de ceux-là. Pour preuve, sa collection quasi-fétichiste de films amateurs qu'il engrange depuis des décennies.
À travers eux, c'est d'innombrables heures de fragments du quotidien et de moments de vie qui se sont égrenés. Celles d'anonymes, dont Bonzel ne sait sans doute rien d'autre que ces images récupérées ici et là. Mais elles ont en commun d'inscrire dans des mémoires familiales, des instants de bonheur et de joies ordinaires. Mais aussi d'en être une trace, fragile car filmée sur des pellicules, souvent périssables. Mais qui n'en reste pas moins une forme de souvenir en mouvement, des fragments d'une histoire anonyme.
(Headlines) André Bonzel, lui, n'est pas un cinéaste anonyme, puisqu'il faisait partie du trio cosignataire du fameux C'est arrivé près de chez vous.
Pour le coup ce titre-là aurait pas mal collé à Et j'aime à la fureur, première réalisation en solo pour Bonzel. Surtout au vu de la proximité immédiate qui émane de ces images de Mr et Mme tout le monde.
Bonzel s'en est emparé pour un étonnant film-essai. Qui est à la fois détournement de ces images étrangères, et récit de son propre roman personnel. Qu'est-ce qui tient du vrai ou du faux dans ce que déroulent ces séquences suturées les unes aux autres ? On n'en saura rien.
La seule certitude qui s'installe au long d'Et j'aime à la fureur, est une relation complexe, faite d'adoration et de détestation envers sa famille. Mais aussi cette envie de solder les comptes, pour arriver à faire la paix avec soi-même. Essayer de dénouer les nœuds d'une mémoire mentale, où souvenirs et imaginaire ont fini par se confondre.
Si ce titre fait écho à un poème de Baudelaire (« Et j'aime à la fureur/ les choses où le son se mêle à la lumière »), la démarche de Bonzel est plus clairement proustienne. Quand elle fait le bilan du temps qui passe et s'aventure dans la réécriture d'une vie, entre probables bouts de vrai et fantasmes guérisseurs de traumatismes enfantins. Bonzel superposant à ces images, une voix-off, la sienne, énonçant un journal intime, souvent picaresque et parfois cru.
En transformant des prises de vues en prises de vie, naviguant d'un jeu de montage à un « je » en surmoi démonté Et j'aime à la fureur installe une capacité à résonner chez chacun. Et cela par une sorte de reflet collectif, rappelant à quiconque que nous sommes des maillons d'une éternelle chaîne humaine. Ayant en commun d'avoir tous traversé certaines phases, de la vénération de ses parents à l'affirmation de soi.
Et plus encore de ressusciter une part collective de fantômes d'enfances. Qui se sont autant effilochées, désagrégées que la pellicule de certaines séquences de ces archives où l'on ne distingue même plus le visage des personnes filmées.
Et j'aime à la fureur est un vrai film en trompe-l'œil. Son ton unique, accrochant exutoire libérateur, et regrets nostalgiques aux branches d'un délirant arbre généalogique, déclenche beaucoup de larmes et de fous rires. Pour une immense émotion, qui, elle, n'a absolument rien de factice.
20 avril 2022
3:54
“Allons Enfants” d’Alban Teurlai et Thierry Demaizières : Vous dansiez ? Eh bien, parlez maintenant.
La parole et le geste. Il fallait une époque sociale, et politique, aussi trouble que celle d'aujourd'hui en France pour se rendre compte de leur importance. Et c’est sans doute la moindre des choses, que ce soit par l'image que cette prise de conscience se manifeste.
Allons enfants, le nouveau documentaire d'Alban Teurlai et Thierry Demaizière, prend la chose à bras le corps. Littéralement. Et suit deux classes de la section « Danse urbaine » du lycée Turgot, à Paris, durant un an. Rien que cet énoncé pose bien l'importance des mots. À Turgot, on dit donc danse urbaine. Dans les coins de banlieues, d'où viennent les élèves suivis par Allons enfants, on dit «Hip Hop ». Toute la différence est déjà là, entre un milieu qui s'affirme comme élite, et celui des classes populaires.
Pour autant, c'est bien une passerelle qui est soutenue dans ce documentaire. L'enjeu narratif en sera un concours de battles inter-lycées. Mais plus encore, c’est l'ébauche d'un dialogue entre ces deux mondes qui se joue ici. Elle est arbitrée par ce qui aura, entre autres, manqué pendant la campagne électorale : un programme pour la culture comme moteur d'intégration, d'émancipation et pourquoi pas d'excellence. Ou d'exutoire pour des ados mal partis dans leur histoire, faute de n'avoir pas grandi au bon endroit. Dans Allons enfants, il y a donc les gestes.
Plus encore que les figures de coach que deviennent un prof de sport et un proviseur, c'est bien cet angle qui fait office d'expérience pédagogique. Teurlai et Demaizière confortent cette dernière en donnant beaucoup la parole aux enfants. Leur permettant de se livrer sur le véritable choc culturel qu'ils vivent, au gré des mois dans ce lycée.
Évidemment, en se propulsant ainsi, le film propose un univers rappelant celui de Fame. Mais si, souvenez-vous du film et de la série des années 80 sur un collège artistique américain. Un récit qui prend des atours parfois trop idylliques lorsqu'il est comparé au champ de bataille qu'est actuellement l'enseignement. Mais rien de grave : Allons enfants revient toujours à une réalité plus souhaitable qu'une directive de Blanquer. Celle d’un système scolaire qui aurait la possibilité, s'il s’en donnait les moyens, de ne plus oublier que tous les enfants sont ceux de la république.
Le documentaire s'ouvre sur un prof qui demande aux élèves de se rapprocher pour former un cercle. Plus tard, il les réunira de nouveau pour leur rappeler, mot pour mot, qu'au sein de cet établissement ils sont « chez eux » et peuvent revenir quand ils le veulent. Cette parole, et ce geste-là, valent bien plus que la marseillaise remixée en guise de générique de fin. Quand ils réaffirment pleinement la devise gravée au fronton des écoles pas mal encrassée par une paranoïa identitaire : “ liberté, égalité, fraternité ”.
14 avril 2022
3:36
“Employé/Patron” de Manuel Nieto Zas, en Uruguay aussi, on s’essaie à franchir les barrières habituelles du cinéma social
Employé/Patron s'ouvre par une berceuse chantée à un bébé. Mais avec un tel titre, il y a de quoi se douter que ce film uruguayen va sussurrer un autre type de chanson. Surtout, quand une sorte d'inquiétude s'impose dès cette séquence initiale. Il y a du drame dans l'air. Pas celui qui se profilait autour de la santé d'un enfant. Mais autour de la relation entre les familles, d'un patron et d'un employé, qui tournent vinaigre. Surtout quand le second provoque involontairement un accident mortel.
Ici pas de salaud ni de victimes, mais le constat d'une étanchéité de classe toujours aussi impossible à transpercer. Même si Rodrigo, le propriétaire terrien, et Carlos, l'ouvrier agricole, ont le même âge et le même profil familial. Ils restent séparés par une hiérarchie sociale. Employé/Patron confirmant qu'en dépit des efforts d'écoute ou de rapprochement, rien n'autorise à sortir d'un lien entre dominant et dominé. Que le passage d'un monde vertical à celui horizontal ne se fera pas sans casse.
Zas l'explore par une mise en scène imposant des zones de distance, que ce soit par des blocs de séquences courtes. Mais aussi en érigeant les paysages, et la frontière entre l'Uruguay et le Brésil, comme autant d'obstacles. Qu'ils soient rivières ou forêts qu'il faut sans cesse franchir.
Et pourtant, Employé/Patron s'essaie, justement dès son titre, à tenter de réconcilier les camps. À rapprocher ceux qui se ressemblent mais restent séparés par des origines. On voit beaucoup de clôtures dans Employé/Patron. La symbolique d'enclos renvoyant chacun sur son territoire est limpide. Mais Zas a l'intelligence de vouloir en faire autre chose. Avec un scénario et une réalisation qui refusent de se laisser enfermer dans le balisage habituel du cinéma social. Jusqu'à annoncer, avec un final autour d'une course de chevaux, que même si ça ne se fera pas sans mal, il faut tenter de galoper vers un monde qui abolisse les barrières.
07 avril 2022
2:46
"Freaks Out" de Gabriele Mainetti : un film de guerre et de superhéros culbutant
Le cinéma a toujours aimé les monstres, les phénomènes de foire. Peut-être parce qu'à son origine, c'était justement un art forain. Qu'à côté des chapiteaux où l'on exhibait les créatures les plus variées, on projetait les premiers films, avec la même idée d'exacerbation du réalisme. D'ailleurs, si la littérature et la peinture ont longtemps été fascinées par les monstres, le cinéma reste malgré tout l'art qui les a mieux observés. En allant régulièrement chercher chez eux une part d'humanité. Voire inverser la donne en rappelant que c'est chez les gens normaux d'apparence que peuvent se dissimuler les plus bas instincts. De Tod Browning et son bien nommé Freaks à Tim Burton et Edward aux mains d'argent et tant d'autres, beaucoup de cinéastes l'ont martelé.
L'italien Gabriele Mainetti se rajoute à la liste avec Freaks out. Une variation sur ce genre qui fait la passerelle avec les films de superhéros en plongeant un quatuor de marginaux dotés de superpouvoirs dans la folie du programme hitlérien. Des Übermensch, cherchant à créer des surhommes au service du IIIe Reich. Pour autant, le royaume de Freaks out est une cour des miracles aussi délirante qu'attachante. Un loup-garou à la force colossale, un aimant humain, une femme électrique et un télépathe contrôlant les insectes, tous crapahutant dans l'Europe chaotique de 1942. Freaks out pourrait n'être qu'une version déviante des X-Men qu'il serait déjà réjouissant.
Mais Mainetti y ajoute une généreuse démesure qui le rapproche des univers d'un Paul Verhoeven ou d'un Guillermo Del Toro.
Dans cette manière d'exorciser les craintes qu'un cauchemar généralisé recommence par sens de l'excès. Et par le besoin de se rassurer en reconstituant les pires périodes comme une ogresque bouffonnerie. Sans oublier la possibilité de trouver refuge dans un imaginaire sans limites. Et donc forcément, une part d'équilibrisme casse-gueule pour un film qui mêle grand spectacle et Holocauste. Qui ose le trivial haut en couleurs pour aborder la page la plus sombre de l'histoire du XXe siècle. Freaks out regarde cette sale époque sous un angle épique. Mais toujours pour rappeler où se trouvent vraiment les plus atroces anomalies : la véritable monstruosité.
07 avril 2022
3:01
“Le Grand Mouvement” de Kiro Russo : Quand les secousses du capitalisme déclenchent un film tellurique.
“Le Grand Mouvement” porte incroyablement bien son titre. D'abord dans son récit, celui d'un mineur bolivien débarqué à la Paz, pour retrouver son emploi, mais qui se retrouve atteint d'une mystérieuse maladie qu'il va aller soigner dans la jungle avec un chamane. Ensuite dans sa forme, le film de Kiro Russo, qui alterne sans cesse regard sur l'intime d'un homme et celui sur le grondement collectif d'une métropole, pour une sorte de dantesque symphonie urbaine où la capitale bolivienne prendrait vie comme un personnage à part entière. Le grand mouvement ne se dispersant pas pour autant dans un cinéma expérimental quand il ne perd jamais de vue son idée, limpide, du capitalisme comme virus et maladie gagnant aujourd'hui jusqu'aux corps. Il y propose comme remède une fièvre de l'imaginaire, des spasmes de cinéma dingo en guise d'acte de résistance politique et culturelle : décloisonnant le documentaire et la fiction, voici une impressionnante rêverie chamanique pour espérer sortir du cauchemar social.
31 mars 2022
7:10
“Retour à Reims” de Jean-Gabriel Périot : de l’individuel au collectif
Un essai aussi autobiographique quand il revient sur son parcours de transfuge de classe que collectif quand il explorait aussi la trajectoire du monde ouvrier à travers les générations. Treize ans plus tard, Jean-Gabriel Périot adapte ce livre au cinéma avec Retour à Reims (Fragments). Ou plutôt le complète, prolonge sa lecture sociopolitique pour un état des lieux actualisé mais reposant sur un fantastique montage d'images d'archives, transformant le récit à la première personne d'Eribon en album photo d'une lutte des classes, allant jusqu'au mouvement des Gilets Jaunes. De quoi explorer une autre histoire de France, tout en boucle temporelle, quand ce Retour-là prend la direction d'aujourd'hui.
30 mars 2022
10:07
“Plumes” d’Omar El Zohairy
“Plumes” part d'un postulat inattendu : après un tour de magie foireux, un ouvrier en usine se retrouve transformé en poulet, mais personne n'arrive à le ramener à une forme humaine. Mais le premier long métrage d'Omar El Zohairy refuse de mettre ses œufs dans un même panier en explorant cette histoire loufoque du point de vue d'une épouse qui se retrouve dépourvue, plongée dans les turpitudes kafkaïennes des labyrinthes administratifs quand elle veut faire reconnaître sa singulière situation.
“Plumes” s'en amuse mais en serrant les dents dans cette comédie aussi absurde qu'amère. Ce jusque dans une surprenante identité de cinéma qui tend les bras à l'humanisme contrarié d'un Kaurismaki ou d'un Dino Risi. Un cinéma intemporel quand rien ne dit où il se situe ni à quelle époque, le seul repère étant qu'on y parle arabe et que le réalisateur est égyptien. Plumes tient donc de la fable et de ses principes de récit universel. Mais alors comment réagit Omar El Zohairy quand, comme lors de sa présentation au festival de Cannes, il est énoncé que ce film-là parlerait avant tout de la société égyptienne ? Sa réponse (et d’autres) au micro de Nova.
24 mars 2022
7:45
“Medusa” d’Anita Rocha Silvera
On a souvent oublié que dans la mythologie grecque, si la Méduse s'est transformée en créature hideuse pouvant pétrifier du regard quiconque, c'est parce que les dieux avaient décidé de supprimer sa beauté pour avoir succombé à la tentation charnelle.
Anita Rocha Da Silvera y a vu l'expression d'une colère féminine contre les embrigadements de toute sorte pour la jeune génération de femmes actuelles. Dans le Brésil actuel, même avant l'arrivée au pouvoir de Bolsonaro, cela passe par un retour au conservatisme religieux, virant au fanatisme. Et ce jusqu'au point de transformer des adeptes d'une église évangélique en gang de filles tabassant celles qui ne répondent pas à leur code de bonne moralité. Medusa y répond en osant le sacrilège, d'embardées visuelles invoquant le cinéma fantastique transgressif des années 70 (Argento, Carpenter...) à un mélange des genres, de préférences ceux se foutent des bonnes mœurs. Le tout au nom d'une croisade pour la reconquête de la liberté, celle de penser comme celle d'aimer. Face aux exactions d'une milice religieuse, Medusa tente de réveiller une société tétanisée jusqu'au coma mental. Avec un film sexy et provocant, cachant sous ses apparences pop et son goût pour l'abstraction formelle, un avertissement bien concret à toutes les obédiences qui souhaiteraient maintenir leur contrôle sur les corps et les âmes. Comme dirait l'autre, la peur a changé de camp. Avec Rocha Da Silveira, elle est maintenant du côté du cinéma.
En salles le 16 mars.
18 mars 2022
10:37
“Ma Nuit” d’Antoinette Boulat : une immersion dans l’atmosphère de la jeunesse actuelle.
Ma nuit donne jour à une réalisatrice inattendue. Avant de passer derrière la caméra, Antoinette Boulat à accompagné, en tant que directrice de casting, un certain jeune cinéma français. Des débuts ou presque d'Albert Dupontel à François Ozon en passant par Cédric Kahn, pour ne citer qu'eux. Il était donc logique que pour son premier film, elle s'intéresse à une jeunesse. Celle d'aujourd'hui, qui fait ce qu'elle peut pour traverser une période entre Covid, attentats et réchauffement climatique.
À travers la déambulation de Marion, jeune femme en gestation mais déjà en deuil, Ma nuit poursuit une forme de compagnonnage, cette fois-ci au chevet d'un âge et de ses inquiétudes.
Mais surtout pour tenter autant que possible de l'en libérer, d'apprendre à défaut de pouvoir s'en soulager, vivre avec. En retour d'un splendide film qui tient de l'expérience sensorielle, il était naturel de partager celle d'un travail singulier avec son auteur, pour éclairer sa remarquable Nuit.
En salles le 9 mars
10 mars 2022
9:08
“Ali & Ava” de Banar : à la croisée de la comédie romantique et du cinéma social
Il faudra bien un jour percer le mystère du cinéma social britannique. De Ken Loach à Andrea Arnold de The full monty ou Billy Elliott et bien d'autres. Il y a un savoir-faire inexplicable pour partir de la réalité des classes ouvrières pour les transcender en récits admirables ; pour malaxer un contexte et toujours en extraire une fibre humaniste. Une alchimie qui n'appartient qu'à ce cinéma-là jusqu'à en être devenue son adn. “Ali & Ava”, le nouveau film de Clio Barnard, connecte à la fois comédie romantique et racines shakespeariennes autour de la rencontre improbable entre une assistante sociale, irlandaise jusque dans les recoins de son accent, et un chauffeur de taxi d'origine pakistanaise.
Il y aurait du Roméo et Juliette contemporain dans Ali & Ava ?
Il y a de ça dans cette confrontation des cultures, une romance qui tiendrait encore aujourd'hui du sacrilège. Pour autant Ali & Ava se détache du destin funeste des Capulet et Montaigu. Que cela soit par une volonté claire de ne pas aller jusqu'au tragique, ou simplement pour le principe de se pencher sur des vies et des drames ordinaires. D'aller voir comment Monsieur et Madame adressent la complexité des questions culturelles ou raciales. Dans “Ali & Ava”, le “&” fait toute la différence en exprimant autant la difficulté d'être soi dans un groupe défini, que ce qui finit par réunir deux solitudes. Barnard a ainsi l'intelligence de conjurer le fatalisme ou la noirceur qui pourraient prendre le dessus par des touches d'humour et de douceur. Si Ali et Ava ont chacun vécu des épreuves qui les marquent encore, pourquoi faudrait-il en rajouter ? Il sera aussi question de musique dans cette histoire. Loin d'être les perdreaux de l'année, ces deux-là deviendront tourtereaux en s'éduquant l'un et l'autre à leurs goûts en la matière. folk et country pour elle, electro-pop et punk pour lui. Barnard imprègne aussi son film de ce multiculturalisme-là, n'ayant pas peur d'enchaîner les scènes confites dans l'eau de rose et d’autres qui mettent les doigts dans la prise d'une énergie juvénile. Et sans que cela soit jamais contradictoire ou prenne des airs de douche écossaise.
En creusant des trouées lumineuses dans la grisaille d'un potentiel drame vers un inattendu et irrésistible feel-good-movie, Ali & Ava a tout de l'électrisant coup de foudre de spectateur qui illumine les salles obscures depuis le 2 mars.
02 mars 2022
5:36
“Sous le ciel” de Koutaïssi
23 février 2022
3:36
Kinuyo Tanaka : une rétrospective autour d’une pionnière du cinéma japonais
Ce qu'il y a de bien avec le cinéma, c'est qu'on en a jamais fini de découvrir des films ou des cinéastes. Et nombreux sont ceux qui sont passés sous les radars, et surtout pas passés par les écrans français en ce qui concerne les cinématographies étrangères.
Notamment celle japonaise, où des pans entiers restent à exhumer de ce côté de l'océan Pacifique. Par exemple, la carrière de Kinuyo Tanaka. Ici, on ne connaissait que son compagnonnage avec Mizoguchi pour qui cette actrice a tourné quinze films. Ce qui reste peu sur une filmographie qui en aura compté près de 250 et où s'alignent les plus grandes signatures, Mizoguchi donc, mais aussi Ozu ou Naruse.
Tanaka aura été comme un fil rouge dans l'histoire de la production japonaise. D'une forte présence dans son cinéma muet à sa participation au premier film parlant, mais aussi en étant une de ses stars féminines pendant l'âge d'or des années 50. Tanaka aura suivi les fluctuations de cette industrie, jusque dans sa prestation pendant la seconde guerre mondiale dans des films de propagande, sa transition entre grand écran et télévision puis un come-back fulgurant dans les années 70. Un parcours quasi patrimonial qui ne saurait pourtant résumer la trajectoire de celle qui fut l'équivalent japonais, dans son jeu comme ses rôles de femmes fortes et complexes, d'une Bette Davis ou d'une Greta Garbo.
Elle est même entrée officiellement dans l'histoire comme la seconde femme à passer derrière la caméra au Japon. Un choix forcément fort dans un milieu essentiellement masculin. Confirmation d'un caractère bien trempé pour une actrice qui avait défrayé la chronique à la fin des années 40 pour commettre le sacrilège de rompre son contrat avec un studio pour aller tenter une petite aventure hollywoodienne. Les six films qu'elle va réaliser entre 1953 et 1962 remettent les pendules à l'heure jusqu'à laisser se demander si Mizoguchi, un des mentors de Tanaka, ne lui devrait pas sa réputation de cinéaste féministe. Qu'ils s'essayent au néoréalisme ou à l'expressionnisme, naviguent admirablement entre mélo, drames historiques ou récits très contemporain, les films de Tanaka composent un exceptionnel portrait de la condition féminine. Jusqu'à se passer, après Lettres d'amour et La lune s'est levée, de scénaristes masculins.
Là où sa carrière d'actrice lui offrit généralement des rôles de femmes aux destins funestes, Tanaka réalisatrice les fait se redresser, les incite à ne plus courber l'échine. Y compris autour de sujets jugés impossibles dans ces années 50 comme le cancer du sein dans Maternité éternelle. Elle abolit même déjà le patriarcat dans La nuit des femmes, où des prostituées reforment société en allant vivre en communauté en bord de mer.
Au-delà même de ce discours de pionnière, l'intégrale qui sort cette semaine démontre aussi une impressionnante metteuse en scène, avec six films trop longtemps restée dans l'ombre, alors qu'ils sont à la hauteur des classiques mondialement reconnus où elle fut actrice. Étonnamment, elle ne tint jamais le rôle principal de ses propres réalisations, peut-être par écho du sentiment de sororité et de résistance qui émane de ce cycle, mais sa découverte, confirme à quel point devant ou derrière la caméra, Kinuyo Tanaka fut une héroïne.
La rétrospective Kinuyo Tanaka est à retrouver dans les salles obscures à partir du 16 février.
16 février 2022
4:13
Douglas Trumbull : disparition d'un génie de l'ombre
Même si la semaine cinéma est particulièrement dense cette semaine (il y en a pour tout le monde, de ceux qui veulent s'intéresser à l'éthique journalistique ou politique avec Enquête sur un scandale d'état aux détracteurs de Marguerite Duras qui se réjouiront de voire déboulonner sa figure de monstre sacré pour devenir une créature toxique dans Vous ne désirez que moi. Mêmes les amateurs de film catastrophe aussi neuneu que rigolo ou de bonne comédie française ne seront pas volés avec Moonfall et Les vedettes), cette chronique va cependant baisser le rideau sur l'actualité salle pour raison de deuil, car Douglas Trumbull est mort.
Douglas qui ?
Bonne question. Elle est légitime et normale quand Trumbull fait partie de ces génies de l'ombre, des piliers invisibles qui ont contribué à faire devenir des films légendaires. Sans Douglas Trumbull, des classiques comme 2001, odyssée de l'espace, Blade Runner ou Rencontres du 3e type ne seraient jamais devenus les immortels classiques qu'ils sont. Trumbull y a révolutionné les effets spéciaux pour en faire une science.
À l'époque ou l'ordinateur et les images de synthèses n'avaient pas encore rendu illimitées l'imaginaire visuel, lui avait magnifié par l'art des transparences et des maquettes la part d'illusionnisme des films à grand spectacle. Avec Trumbull, un Kubrick, un Ridley Scott ou un Spielberg pour ne citer qu'eux pouvaient voir plus loin tout en restant crédibles, organiques. Mais Trumbull ce n'était pas qu'un exceptionnel technicien. Il y avait quelque chose chez lui de l'expérimentateur indépendant, du laborantin explorateur des possibles. Mais surtout d'un outsider de génie, sorte d'aventurier libertaire de la technologie. Notamment en inventant des formats révolutionnaires comme le Showscan, fabuleux procédé de projection hyper réaliste au point de devancer de trente ans l'Imax ou le dolby atmos, d'être une sorte de relief visuel et sonore sans lunettes. Ou en amenant dans Silent running, un des deux seuls films de fiction qu'il a réalisés, scénarisé par Michael Cimino, l'esprit du Nouvel Hollywood dans un huis clos intime de science-fiction teintée d'écologie.
Même quand la part visionnaire de ce Barnum extrayant de la poésie de ses expériences, s'est heurtée à une hiérarchie hollywoodienne qui n'a pas voulu de ses extraordinaires trouvailles, Trumbull ne s'est pas déparé de son côté professeur Tournesol/Géo Trouvetou mettant en pratique dans son studio laboratoire au fin fond d'un bois du Massachussets, d'incroyables prototypes. Ces dernières années, il était réapparu en fabriquant pour Terence Malick les stupéfiantes séquences de genèse du monde dans Tree of life, à partir d'images scientifiques et d'abstractions, mais il planchait surtout sur un concept qui aurait pu être une nouvelle révolution copernicienne du cinéma, des salles mobiles ou auraient été projetés des films dans un nouveau format, le Magi, encore plus immersif que James Cameron n'y arrivera jamais pour les prochains Avatar. Quelque chose qui aurait tenu du futur dans l'expérience de spectateur et d'un retour aux sources en revenant au principe d'attractions foraines du tout début du 7ᵉ art. Avec la disparition de Trumbull, il y a effectivement de la magie du cinéma qui se perd.
09 février 2022
4:05
La nouvelle chronologie des médias
27 janvier 2022
4:32
"Municipales", "Les promesses" : et si on parlait enfin politique ?
Sans risquer la marge d'erreur des sondages du moment, il n'y a grand risque à décréter que la campagne présidentielle 2022 est d'une sidérante médiocrité. Mais quel que soit son résultat, elle aura au moins été bonne à une chose : jamais le cinéma français ne s'est autant emparé de la politique que cette année. D'ici à la fin du printemps va débarquer sur les écrans une salve particulièrement copieuse de films prenant très frontalement en compte cette question. Pour la plupart ce sont des documentaires, beaucoup ayant le rouge colère au front et bien sûr le gilet jaune, mais ce tir nourri lâche ses deux premières grosses cartouches aujourd'hui en se posant aussi la question de la fiction.
D'abord d'une manière surprenante dans Municipale où Thomas Paulot envoie un véritable comédien dans une petite ville des Ardennes pour s'y présenter candidat à la mairie, tout en indiquant aux habitants que s'il vient construire un vrai programme, il n'y aura pas de mandat puisqu'il n'est qu'un acteur et non un politicien. Sauf que les habitants commencent à vraiment se prendre au jeu. Municipale interroge du coup formidablement ce qu'est devenu la politique politicienne aujourd'hui entre coups de communication et projets fantoches.
Dans les salles d'à côté, il y a Les promesses, film qui s'assume pleinement comme une fiction, mais particulièrement en phase avec le réel. Isabelle Huppert et Reda Kateb y forment un inattendu duo de maire et directeur de cabinet dans une ville du 9.3. Elle s'apprête à passer la main et ne pas rempiler avant d'y retourner, meurtrie de ne pas avoir récupéré le poste de ministre qui lui était promis. On passera sur des péripéties autour d'un marchand de sommeil qui entretiennent la flamme du scénario pour s'attarder sur les braises qui chauffent Les Promesses : montrer l'action politique dans ce qu'elle a de concret, ne pas être tant dans les coulisses du pouvoir que dans la confrontation entre les ambitions personnelles et celles de réellement faire bouger les lignes, le flou entre l'ego et le légal, les limites de l'éthique et le toc d'une parole qui ne vaut plus grand-chose.
Pour autant Municipale comme Les promesses ne sont pas là pour entériner le refrain du tous pourris. Plutôt de profiter de la force des faux-semblants du cinéma pour aller toucher une autre vérité, celle des territoires et des populations aux pieds ancrés dans le concret face au hors-sol des candidats. Sans avoir à tracter pour un parti ou un autre, ces deux films ravivent avec des nuances qui ont été englouties par les communicants, les petites phrases et les polémiques sans intérêt, les attentes des citoyens envers la classe politique. Mine de rien, ce double porte-voix d'une classe prolétaire, ouvre enfin de vrais débats, bien plus exigeants que les gesticulations médiatiques des authentiques candidats plus proches désormais d'influenceurs YouTube que de votes. On en a encore entendu il y a peu certains, faire leur cinéma en citant Bac Nord en appui de leur programme sécuritaire. Pour éviter de se prendre en pleine poire la très possible déflagration de l'abstention en avril prochain, ceux-là, comme les autres, seraient plus avisés d'aller voir Muncipale et Les promesses, films aussi remontés que lucides, pour avoir un réel instantané de ce qui est en train de se jouer.
Municipale / Les Promesses. En salles le 26 janvier.
26 janvier 2022
4:08
"La maison" : Netflix ouvre les portes de son nouvel étage
Mine de rien, le cinéma d'animation connaît pas mal de chambardements ces temps-ci. La faute aux plateformes de SVOD qui viennent de confirmer en trois temps la place qu'elles ont prise dans ce domaine.
Il y a d'abord Amazon prime qui s'est emparé du quatrième volet d'Hotel Transylvania, mis en ligne depuis la fin de la semaine dernière, la très sympathique licence transformant les grands monstres classiques, de Dracula à Frankenstein en poilante colonie de vacances étant désormais privée de sortie en salles française. Puis Disney qui vient de décider qu'après Soul et Luca, Alerte rouge le prochain Pixar n'y sortirait finalement pas, pour servir d'appâts à nouveaux abonnés pour Disney +, confinant ainsi la société qui avait, depuis Toy Story, créé un nouvel âge d'or du cinéma d'animation en fournisseur de direct to video. Face à ses tractations qui tiennent avant tout de la stratégie mercantile, on en viendrait presque à penser que Netflix joue une carte plus philanthrope avec la mise en ligne, elle aussi en fin de semaine dernière, de La maison. Cela, dit il n'est pas anodin que dans ce film à sketches, il soit beaucoup question de ravalement et de reconstruction.
À vrai dire, il n'est pas une découverte que Netflix se jette dans un gros chantier autour du cinéma animation. Non seulement elle a ouvert un label, Netflixanimation, qui produit en interne des films plutôt réussis, comme La famille Willoughby, mais elle a aussi racheté des films consolidant leur cible jeune public, comme Les Mitchell contre les machines. Mais La maison marque peut-être une étape supplémentaire en s'aventurant sur un terrain plus complexe.
Ce film omnibus s'écarte du jeune public, par une tonalité plus sombre, ou une animation moins lisse. En l'occurence en ayant commandé à quatre réalisateurs européens, cador de la stop motion (autrement dit l'animation de figurines et marionnettes) un triptyque aux airs gothiques, que ce soit celle d'une famille embarquée dans un pacte diabolique avec un mystérieux architecte, un rat aux prises avec toute sorte de vermine ou une chatte qui ne sait pas comment se débarrasser de locataires qui ne paient plus leur loyer.
Une combinaison qui envoie le Wes Anderson de Fantastic Mr Fox ou des personnages à la Aardman, les créateurs de Wallace & Gromit dans les labyrinthes anxiogènes d'un Polanski voire d'un Lynch. Sans compter des invocations des univers de Michel Gondry ou Tim Burton. Le tout, manquant peut-être un peu de lien entre les segments – hormis leur décor commun de la maison du titre – rien ne les rattache totalement, mais absolument pas de cohésion dans l'aspect cauchemardesque ou névrotique. Et encore moins dans l'absolue perfection de l'animation. Ainsi les poupées de tissus du premier segment peuvent devenir de chagrin, ou la mélancolie du dernier se refléter dans les billes qui servent d'yeux à son personnage principal. Rien ne dit pour le moment si cette embardée vers une zone intermédiaire du cinéma d'animation entre fable grinçante pour ados et appel du pied vers un public plus adulte, la Maison Netflix s'est offerte un imposant étage supplémentaire.
La Maison. Depuis le 14 janvier sur Netflix.
19 janvier 2022
4:20
Dušan Makavejev, cinéaste charnel
C'est quoi être libre au cinéma ? La question se pose toujours aujourd'hui mais était encore plus prégnante dans les années 60, quand la plupart des pays se rebellaient contre des carcans sociaux, moraux ou politiques. En France, avant-même mai 68, la Nouvelle vague a donné le la d'un cinéma qui voulait tout faire voler en éclats. On en oublie souvent qu'ailleurs aussi, ce mouvement-là était en cours. Et forcément plus encore dans des endroits loin de connaître les 30 glorieuses. A minima dans des pays de l'Est étriqués par des régimes communistes. Dans ce qu'on appelait encore la Yougoslavie, on l'a appelé la Vague noire. Les films de Dušan Makavejev sont pourtant haut en couleurs, quand ils auront allumé une mèche transgressive, pour faire péter la forme et le fond. Embrasser le politique et l'érotique. De quoi refaire le portrait du régime du président Tito, façon tête à Toto dans des objets singulier tenant à la fois de la comédie féroce et du désespoir face à une société corsetée. Reste qu'à la longue, le cinéma de Makavejev se résumait surtout à quelques moments dantesque dans des films tournés loin de chez lui, comme ce Sweet movie resté dans les annales pour sa séquence où Carole Laure nue se roulait dans des hectolitres de chocolat.
La réapparition de ses trois premiers long-métrages qui font rejaillir la sève d'un cinéaste bien plus provocant que ce qu'on pensait. L'homme n'est pas un oiseau, Une affaire de cœur et Innocence sans protection, culbute les principes usuels de narration. Ici on fait se chevaucher images documentaires et romance en milieu ouvrier, on zèbre de couleur les bobines du premier film parlant serbe, on perturbe un mélo avec des vrais-faux exposés de sexologue ou de médecin légiste. Trois déflagrations avant-gardistes avec lesquels Makavejev s' auto-intronisait enfant naturel de l'insolence d'un Jean Vigo et du surréalisme à la Bunuel, mais surtout s'imposait dynamiteur des règles à la manière d'un anarchiste théorisant la lutte des classes avec un mordant sens de la dérision ou celui d'une énormité rabelaisienne. Le tout traversé par une quasi-schizophrénie, quand qu'il s'agisse de raconter les amours fugitives d'un ingénieur et d'une coiffeuse, d'une employée des PTT et d'un dératiseur ou de retrouver un Mr Muscle vilipendé par le régime nazi, ce cinéma alterne pulsions de vie et de mort, l'obscène et la pureté. Le plus sidérant, au-delà de la découverte de ces trois films quasi-invisibles depuis leur sortie, reste la puissance formelle de leur avant-garde libertaire, l'audace encore intacte d'un triptyque resté bouillonnant. À la hauteur d'un cinéaste qui décrivait dans des interviews, la Yougoslavie comme un pays de Brigands, de pirates, d'hérétiques et de rebelles. Soit tout ce qui peut faire un cinéma vibrant, vivant, libre donc.
12 janvier 2022
4:02
"Neige" de Juliet Berto : le retour d’une comète des années 80
Au début des années 80, on ne faisait pas des boules avec la neige, mais on se la fourrait dans le nez. Dans le Nord de Paris, de Pigalle à Barbès, c'est comme ça qu'on appelait la cocaïne. Elle et d'autres drogues faisaient partie des murs du coin, étaient presque des résidentes de ces quartiers qui n'avaient encore aucune idée de ce qu'était la gentrification. A l'époque, ils sont encore une sorte de cour des miracles du XXe siècle ; à la fois à la marge et communauté prolo solidaire. Le cinéma français d'alors s'y est souvent intéressé, notamment du côté du polar, de La Balance à Diva, souvent pour s'y encanailler. Moins pour réellement filmer cette faune dans son décor naturel. Juliet Berto, actrice chez Rivette ou Godard en a fait sa propre nouvelle vague de réalisatrice avec Neige, premier long-métrage, co-réalisé avec son compagnon, Jean-Henri Roger, se souvenant du réalisme poétique des dialogues Prévert et Carné tout en observant des corps contemporains. Du cinéma qui bat le pavé, renoue avec une galerie de personnages gouailleurs, qu'ils soient barmaid, travelo, curé ou dealer.
Du vrai cinéma de quartier donc ?
D'autant plus quand Neige est un film très resserré autour de sa chronique de village urbain, qui réinjectait dans ses veines l'envie, justement, de la Nouvelle Vague de faire entrer la vie dans le cinéma. Berto et Roger avaient même l'habitude de dire que ce film s'était fait sous leurs fenêtres, celle d'une rue du 18e arrondissement côté Goutte d'or, cadre qui a donc fait office de naturalisme. La fiction autour du quotidien et de ses petits trafics s'y adapte, d'une poursuite dans un magasin Tati à un flinguage sous les néons d'une fête foraine. Neige est un film qui prône donc le mélange, entre patronnage d'acteurs d'avant comme Eddie Constantine ou Raymond Bussières et nouvelles trognes d'alors, celles de Jean-François Balmer, Jean-François Stévenin ou même Bernard Lavilliers dans une apparition furtive, voire Berto valsant entre devant et derrière la caméra.
Quarante ans après sa sortie initiale, Neige a forcément un goût de cinéma disparu, un peu unique – Deux ans plus tard, Cap Canaille, le second et avant-dernier film de Berto, se délocalisait à Marseille, mais avait déjà perdu de ce regard à la fois franc, sans aucun second degré, essayant de capter ce qui subsistait encore de lumière et de chaleur dans ces années 80 qui ne tenaient déjà plus leurs promesses sociales. Vu d'aujourd'hui, Neige sidère au minimum par son refus du misérabilisme (oui, il est donc question de came, mais on n'en verra jamais un gramme à l'écran) mais surtout par cette capacité à être accro à l'urgence de vivre ; du vrai cinéma immersif qui continue à baigner dans un jus qui manque à la production française actuelle. Tout comme Berto et Roger, morts et enterrés depuis longtemps. Neige est aujourd'hui déterré d'années d'invisibilité en salle, mais toujours aussi immaculé.
Reprise en salles, le 5 janvier
05 janvier 2022
3:42
"Lamb" : 100% pure laine islandaise
María et Ingvar vivent reclus avec leur troupeau de moutons dans une ferme en Islande. Lorsqu’ils découvrent un mystérieux nouveau-né, ils décident de le garder et de l'élever comme leur enfant. Cette nouvelle perspective apporte beaucoup de bonheur au couple, mais la nature leur réserve une dernière surprise…
Entretien avec Valdimar Jóhannsson, réalisateur du film.
En salles le 29 décembre
29 décembre 2021
7:24
“White Building” : La gentrification, c’est aussi un chantier de cinéma
Ce sera bientôt l'heure des bilans cinéma de 2021. Évidemment, il y aura les tops des meilleurs films dans la plupart des journaux, une analyse - voire des prospectives - autour de la situation des salles provoquée par le Covid qui s'incruste encore plus que les masque FFP sur les visages. Et puis, probablement aussi un coup d'œil sur les sujets qui se sont tout autant installés de films en films. Sur ce podium-là, c'est peut-être bien la gentrification qui grimpera sur la première marche. De Gagarine à Candyman ou In The heights, l'embourgeoisement galopant des quartiers est devenu une toile de fond tendue sur les écrans.
C'est encore plus le cas pour le cinéma asiatique qui s'est pleinement emparé de la question, de la Chine à Taïwan ou au Cambodge avec White Building. Le premier film de fiction de Kevich Neang s'attache à cet authentique bâtiment de Phnom Penh, qui a abrité l'histoire du pays depuis les années 60 : résidence pour fonctionnaires d'état sous Sihanouk, réquisitionnée par les Khmers Rouge, équivalent local des HLM, puis objet de spéculation immobilière avant sa destruction en 2017. Neang, qui y a grandi avant que l'appartement familial soit évacué avant que l'immeuble ne soit rasé, accompagne dans ses couloirs un trio de potes vingtenaires qui rêvent de prendre leur envol.
Du coup, White Building, ça parle de destruction ou de construction ?
Un peu des deux, et ce dès l'introduction : sidérant plan au drone de ce bâtiment en décrépitude, mais on devine bientôt à quel point il regorge encore de vies. Ou dans le principe de suivre en parallèle, les espoirs cette bande et les négociations avant démolition de l'immeuble.
White Building navigue entre les deux comme à travers une double géographie, architecturale et humaine. Mais aussi à travers les cinémas, ce film flirtant avec celui de Jia Zhang Ke (Still life, Au delà des montagnes...), l'un des meilleurs observateurs de la société chinoise dont il prolonge l'immersion documentaire, auquel Neang ajoute la part rêveuse d'un Apitchapong Weerasethakul (Uncle Boonmee, Tropical malady...) lors de déambulations hypnotiques.
Car le temps est un acteur à part entière de White Building, qui tente de freiner par son récit narcotique la rapidité avec laquelle, non pas un bâtiment, mais une génération, voire la métropole cambodgienne se transforme. L'atmosphère contemplative devenant du coup une inattendue forme de militantisme, une décélération luttant comme elle le peut contre une accélération économique.
Aujourd'hui, on ne sait pas encore vraiment ce qui va se dresser à la place du White Building, les derniers échos parlent d'un casino d'une vingtaine d'étages construit par une compagnie chinoise. Avec ce film-là, Neang a pris de l'avance sur un beau chantier, renforçant les fondations d'un cinéma qui se préoccuperait de la cohabitation entre l'écosystème du capitalisme galopant et celui à échelle humaine.
Sortie le 22 décembre
16 décembre 2021
4:56
Ham on Rye : l’adolescence dans sa bulle
Dans le cinéma américain, on ne parle pas de films sur l'adolescence, mais de coming-of-age stories. C'est relativement intraduisible, mais pourtant très juste pour définir cette période-là, à la jonction entre deux âges, à la fois une sortie définitive de l'enfance et une en construction vers la conscience adulte.
L'entre-deux, c'est justement ce qui pourrait définir aussi Ham on Rye. Et encore qu'il faudrait élargir les choses, quand le film de Tyler Taormina multiplie les pistes et les humeurs. Ce qui n'est en fait pas plus mal pour tenter d'incarner la multiplicité de l'adolescence. Tout en s'attachant à essayer d'incarner une de ses données essentielles : cette drôle de sensation entre suspension du temps et ennui consenti qu'est la contemplation.
Et même là, Ham on Rye se dédouble en organisant la journée si particulière pour la jeunesse américaine qu'est le bal de fin d'année scolaire. La déambulation de plusieurs groupes de filles et de garçons se fait à la fois rêveuse et studieuse, s'imprégnant autant qu'il observe avec précision les rites de passage ou les tics de langage générationnels.
Taormina ne chôme pas pour autant quand il organise une sorte de synthèse de tout le cinéma américain sur l'adolescence depuis les années 80, ressuscitant ici le bucolique banlieusard du Outsiders de Francis Ford Coppola tout en tamisant la même lumière ethérée du Virgin Suicides de sa fille. Sans oublier de convoquer à sa boum la précision sociale d'un John Hughes (Breakfast club, La folle journée de Ferris Bueller...) ou d'un Richard Linklater (Slackers, Génération rebelle...).
Le tout dans une part brumeuse parfois anxiogène proche d'un David Lynch qui remettrait les pieds à la fois dans Blue Velvet et Twin Peaks. Ça fait du monde, mais après tout quoi de plus normal si l'on considère que l'adolescence, c'est aussi le moment où l'on vit en bande. Taormina ne se laissant pas dominer par ses influences, Ham on rye trouve sa propre identité dans l'espèce d'apesanteur qui s'en dégage, le film étant définitivement conscient de la volatilité de l'âge qu'il explore. Il se consacre du coup à son expérience en essayant de traduire physiquement l'écoulement du temps, de moments uniques et furtifs que sont les premières fois, mais que le souvenir ne rendra jamais éphémère.
Ham on rye confirme à quel point ils sont précieux, y compris lorsqu'un des ados au sortir de cette journée singulière demandera à la cantonnade si tout ça n'était pas qu'un rêve, si tout le monde n'était pas en fait endormi. Aucun des autres protagonistes ne lui répondra, trop attaché comme le film à faire subsister encore un peu une certaine magie, rester encore un peu dans le cérémonial cotonneux d'une adolescence collective, qui a ici des airs d'entre-monde envoûtant. Ham on Rye en fait une bulle, fragile, gracieuse, mais qui n'ignore jamais qu'elle finira par éclater.
08 décembre 2021
3:39
SOS Fantômes, L'Héritage : La nostalgie n’est plus ce qu’elle était
Je n'ai jamais vraiment compris la hype qui s'est maintenue au gré des années autour de Ghostbusters (oublions son redoutable titre français, SOS fantômes). À l'époque, en 1984, je m'étais passablement ennuyé aux aventures d'une bande de scientifiques un peu branleurs qui se reconvertissaient en chasseurs de fantômes.
Certes, il y avait bien le côté rigolo d'un bonhomme chamallow géant ou d'un ectoplasme vert bouffeur de saucisses. Mais pour le reste, Ghostbusters allait plutôt à rebours d'un mouvement de fond du cinéma familial hollywoodien, qui grâce aux productions Amblin, la société de Steven Spielberg, essayait des Goonies à Roger Rabbit, L'aventure intérieure ou Gremlins de le faire un peu dérailler. Là où Ghostbusters faisait marche arrière en ressuscitant sous couvert de film fantastique, les comédies romantiques des années 40, forcément inintéressantes pour un ado des années 80.
Alors, pourquoi s'emballer pour SOS Fantômes : l'héritage ? Peut-être parce qu'entre temps, un véritable fantôme s'est emparé de la culture pop américaine, justement la nostalgie du cinéma façon Amblin, un peu potache, un peu transgressif jamais lisse.
Ou parce que cette réinvention de Ghostbusters prend finalement à rebours son matériau originel. Par exemple en déplaçant la chasse aux spectres de New York à un coin perdu de l'Oklahoma et du coup se débarrassant d'une pose un peu frimeuse. Mais surtout parce qu'il ramène cet univers de film d'aventure à sa bonne échelle : le film de 1984 reposait essentiellement sur des adultes qui voulaient continuer à jouer comme des enfants, celui d'aujourd'hui suit des enfants qui se retrouvent avec une mission d'adultes en devant sauver le monde.
Il n'est pas anodin non plus que ce soit Jason Reitman, fils d'Ivan, le réalisateur du premiers Ghostbusters qui se retrouve derrière la caméra. SOS fantômes : l'héritage ne se contente pas de remplir un cahier des charges, mais bien de raconter comment, si le monde continue de tourner génération après génération, celle d'aujourd'hui n'arrive pas à se trouver de modèle contemporain.
Même s'il est très divertissant quand il joue la carte de l'action, SOS Fantômes : l'héritage n'est jamais aussi bon que quand il n'essaie pas de relancer une franchise, mais justement de remiser autant que se peut ses propres fantômes au placard pour un regard plus intime, moins désinvolte, sur une famille américaine paumée loin de ses repères habituels, qui doit solder les comptes d'un abandon paternel.
Reitman Jr. a beau multiplier les citations du film de son père, jusqu'à quasiment en faire le remake dans sa dernière partie, ce n'est pas tant la nostalgie des années 80 qui met ici la larme à l'œil que de voir un fils qui accepte la transmission de flambeau tout en revendiquant à la fois son indépendance et la part d'enfance qui subsiste en lui.
01 décembre 2021
3:48
“Soul Kids” : rythm’n’blues et politique
Qu'est-ce qui vient immédiatement en tête quand on parle de Memphis, Tennessee ? La musique évidemment. C'est là-bas que l'héritage d'Elvis perdure dans le manoir de Graceland, là-bas que s'est noyé Jeff Buckley.
Memphis, c'est aussi un des berceaux du blues. Peut-être bien parce que c'est historiquement une des villes américaines les plus pauvres. Elle a pourtant enrichi dans les années 60, la musique mondiale en devenant le creuset de la soul, entre autres avec la création de Stax, label qui règnera en maître sur le Rythm'n'blues alignant tube éternel sur tube éternel. L'histoire de Stax s'est arrêtée en 1989, quand ces studios furent rasés. Elle renaît en 2000 avec l'installation au même endroit d'une école de musique qui donne des cours gratuits aux adolescents.
À la Stax Music Academy on apprend bien plus que la musique. Si Soul Kids swingue sur les morceaux d'Otis Redding, Sam & Dav, Issac Hayes et bien d'autres, réinterprétés par des gamins, le documentaire d'Hugo Sobelman fait entendre une voix plus profonde, celle d'un enseignement civique à l'heure de l'Amérique post-Trump. Dans cette école pas comme les autres, on élabore la construction personnelle des élèves en leur proposant de s'affirmer en dehors d'une stigmatisation de la classe pauvre ou noire. En s'extrayant d'un formatage social. Mais aussi à quel point ils s'inscrivent dans une histoire, quand les paroles des chansons d'hier, chantées par des mômes d'aujourd'hui portent le même discours, les mêmes complaintes.
Soul Kids se refuse pour autant à prendre le pli de la colère. Il s'essaie à une alternative militante qu'on aurait presque oubliée dans une époque ou seuls ceux qui éructent se font entendre : la possibilité d'un débat argumenté, pondéré, voire parfois teinté d'autocritique.
Soul kids donne des fourmis dans les pieds à chaque séquence musicale, mais fait surtout danser les neurones dans celles d'échanges entre professeurs et élèves, partageant leur expérience du vécu où le souvenir de figures historiques d'un combat pour les droits civiques qui n'a en fait jamais cessé.
À l'heure où la musique qui se fait le plus entendre chez nous est celle d'une offre politique particulièrement médiocre, qui a accordé ses violons autour d'une pensée aussi réductrice que nauséabonde, assurant que le plus grand dénominateur commun est la division ; une scène, parmi d'autres, de Soul Kids ou des enseignants apprennent à des mômes qu'ils ont de la valeur et la nécessité d'une écoute commune pacifiée, devient essentielle. Tout comme ce documentaire refaisant les gammes d'une pédagogie collective plus que jamais nécéssaire pour réinvestir pleinement la lutte des classes. Celle qui se joue donc ici dès l'école.
24 novembre 2021
3:34
“Les Magnétiques” : so 80s
Un splendide coup de rétro sur la jeunesse des années Cold wave rappelle que le futur, c'est aussi une question de passé.
C'était comment, le début des années 80 ? Pas forcément aussi bien que la patine du temps à inscrit les années Mitterrand dans l'histoire. Avoir dix-huit ou vingt ans dans un petit bled de province, à cette époque, c'était souvent synonyme d'ennui, entre la liberté limitée à un tour en mobylette et la menace du service militaire. Mais surtout la crainte de passer à côté de quelque chose qui était en train de se passer, un changement d'époque.
L'écho s'en faisait par la bande-son du monde extérieur, principalement anglaise. Une transition entre la fin des années punk et le début de celles cold wave. Avoir vingt ans au début des années 80, c'est se rendre compte que l'euphorie de Mai 68 est déjà sous tranquillisant, sentir que Mai 81 était en fait une arnaque, qu'après son vent de liberté, la camisole de la rigueur s'annonçait déjà.
Les Magnétiques témoigne remarquablement de cette charnière. Le film de Vincent Maël Cardona s'attache à Philippe, jeune homme qui vit et attend dans cette France rurale où il ne se passe rien, que justement il se passe quelque chose. Pour son père garagiste, c'est déjà trop tard, son frère aîné, lui a encore un tigre dans le moteur, mais commence à s'enrouer.
La soif de vie de Philippe, elle, rugit dans le micro d'une radio pirate bricolée dans la grange familiale. À l'époque, on parle de radios libres, elles ne le seront plus longtemps, bientôt dévorées par des nécessités industrielles ou commerciale. Les Magnétiques se glisse dans cette parenthèse plus désenchantée qu'on le croit. Cardona rétablit cette vérité avec un film qui rend la parole à la jeunesse d'alors, celle qui espérait qu'il y avait encore quelque chose à faire de sa vie.
Un vrai film “No future” ?
C'est ce qui en fait la splendeur d'un film qui constate que ces années 80 ont été la matrice d'un aujourd'hui socialement et politiquement bouché. Tout était déjà là, des inquiétudes écologiques aux statistiques d'un chômage de masse en passant par une pensée libérale déjà à l'œuvre.
Mais Les Magnétiques réincarne justement le véritable esprit No future en tombant pas dans la caricature du nihilisme, mais se refusant à une nostalgie, en insistant sur le principe de vivre tant que possible l'instant présent, de rester en colère contre les carcans. Ça peut être en montant le son, que ce soit celui d'une BO, impeccable compile d'époque alignant entre autres les danses métalliques de Joy Division et Front 242, mais aussi le lyrisme d'une variété symphonique avec le fameux Premier pas de Claude Michel Schönberg ou avec les extraordinaires séquences autour des créations sonores de Philippe.
Avec elles, Les Magnétiques ravive le langage pulsionnel, l'imaginaire ultra-créatif de cette génération, mais plus encore le feu intérieur qui anime ce jeune homme en apprentissage de la vie. Ses lueurs sont bien plus qu'une capsule temporelle, quand elles appellent à rallumer cette flamme dans l'époque actuelle, à l'image d'un des morceaux de la BO, le “Teenage Kicks” des Undertones, qui comme ce film conjugue aussi parfaitement qu'éternellement rage et mélancolie.
En salles le 17 novembre.
17 novembre 2021
3:29
« Une vie démente » : plus belge la vie
On ne le dira jamais assez, le point de vue Belge sur le sens de la vie est un des plus réjouissants qui soit. Pas forcément par le biais pris au pays du surréalisme, mais par cette capacité à pouvoir aborder de manière aussi frontale que relativisée tous les sujets. Comme le font par exemple Ann Sirot et Raphaël Balboni avec une vie démente, chronique de la gestion d'un Alzheimer en cours d'une sexagénaire par son fils et sa belle-fille.
Pas vraiment le sujet qui prête à rire, ou plutôt justement si. L'approche de ce couple de réalisateurs, basée sur leur propre expérience, est d'intégrer autant les moments difficiles que ceux heureux dans une telle situation. Une vie démente, se mettant au chevet non pas d'une malade et de ses proches, mais de leur quotidien quand il bascule parfois vers l'absurde. Pas question d'occulter les doutes ou les craintes, mais encore moins - et c'est la vraie rareté de ce film - de trouver un mode d'emploi quand l'extraordinaire devient ordinaire, de comprendre comment la vie peut malgré tout continuer
Alléger la pesanteur usuelle d'un tel sujet n'empêche pas de faire du cinéma, et du vrai, par de pures idées de mise en scène, d'un motif floral qui va peut à peu contaminer l'écran, comme l'Alzheimer colonise le cerveau de Suzanne ou des situations sociales lambda, comme un entretien avec un banquier ou un médecin reconstituées à minima, autour d'une table de cuisine.
C'est justement cela que demande Une vie démente, qu'on puisse s'asseoir et causer librement, normalement des choses, sans fard, mais sans y ajouter de pathos. Il y a quelque chose dans cette démarche, d'un cinéma de Maurice Pialat dans une version adoucie ou des photos de Martin Parr par la distance qui rend plus supportable la réalité.
Pour accompagner un esprit qui dérive peu à peu, Sirot et Balboni prennent le parti d'être philosophes, Une vie démente ne voyant pas quelqu'un qui perd la boule, mais la vie comme une pierre qui roule quel que soit le terrain accidenté.
En salles le mercredi 10 novembre
10 novembre 2021
2:45
"A Good Man" : Le parcours d’un homme trans pour porter un enfant
Depuis quelque temps le cinéma s'est emparé de la question de la transidentité. D'entre autres Girl à Petite fille, le sujet est sorti du bois. Dans le cas d'A good man, il est même peut-être devenu un arbre cachant une autre forêt. Marie-Castille Mention-Schaar y filme bien le parcours d'un homme trans ayant décidé de porter l'enfant que sa femme, stérile ne peut avoir, mais pour porter le débat ailleurs : vers le droit à la normalité pour les histoires d'amour de couples non-cisgenres.
Mine de rien, c'est une autre forme de progressisme et de reconnaissance qui est ici en jeu. Le sens habituel de la pédagogie bienveillante de la réalisatrice (Les héritiers, Le ciel attendra ou la coécriture du scénario de La première étoile) est un bon atout pour ça.
Bien sûr, le choix d'une femme pour interpréter Benjamin reste questionnable, mais ce serait faire un mauvais procès d'intention à Schaar d'aller sur ce terrain-là. Au minimum parce que c'est Noémie Merlant, actrice à qui on peut accorder le crédit, via des films – Curiosa, Jumbo, Portrait d'une jeune fille en feu ou tout récemment Les olympiades- de rôles réfléchissant littéralement corps et âme à la recomposition du sentiment amoureux qui endosse ce rôle particulièrement casse-gueule.
Mais aussi parce qu'en pliant aux codes d'un cinéma romantique une identité sexuelle loin des cases traditionnelles, A good man vise à aller au-delà des normes sociales, avec la volonté d'intégrer les personnes transgenres à des problématiques très communes, du désir d'enfant à la difficulté de faire perdurer un couple. Ou, en l'occurrence, vouloir dépassionner un débat délicat en se focalisant sur une passion amoureuse entre deux êtres, quoiqu'ils aient dans le ventre.
En salles le 10 novembre
09 novembre 2021
8:58
“Burning Casablanca” : chouffe Marcel !
Une romance sauvage fait mijoter l’esprit de Tarantino et de Sailor & Lula. Maroc’n’roll !
À Casablanca, on appelle les bastons de rue le “Zanka contact”. C'est de l'argot marocain, mais ça sonne aussi vachement bien en français, “Zanka contact”, ça swingue, ça percute à l'oreille. La magie de la traduction des titres de films en français fait que celui du film d'Ismaël Iraki est devenu chez nous Burning Casablanca. C'est pas mal non plus, ça sonne à la fois comme une annonce de série B ou comme un album de punk-rock des 70's, quelque chose d'énergique, d'électrique en tout cas.
Ça se confirme dès une première séquence rentre dedans. Ce dans tous les sens du terme quand le taxi de Raja, prostituée, s'encastre dans celui de Larsen Snake, rockstar aussi déchue que junkie. Une rencontre qui vire au coup de foudre entre ces deux écorchés à grande gueule. Les coups de latte qui les menacent viendront d'un client de Rajae, issu de la bourgeoisie, mécontent de ses services qui voudrait que son mac la corrige.
À partir de là, Burning Casablanca met le feu a à peu près tout ce qui est à sa portée, enfournant dans son moteur autant un scénario saute-mouton à la Tarantino que l'esprit d'un David Lynch période Sailor et Lula, tout est combustible dans cette romance sauvage et épicée.
Dans les festivals où le film est passé, il a même souvent hérité de l'étiquette inédite de “western tajine”. Ça se tient quand Burning Casablanca revendique aussi dans son décidément furieux melting-pot d'aller aussi piocher chez les westerns spaghettis, pas forcément ceux de Sergio Leone, plutôt ceux un peu plus râpeux, à base de traumas carabinés.
C'est d'ailleurs de là que vient la véritable énergie du film, ce principe de base pour Rajae et Larsen de s'arracher à leur sort, de toujours partir en live, Burning Casablanca les y encourageant en étant filmé avec l'urgence d'une performance permanente, parfois excessive jusqu'à devenir un sacré souk, mais particulièrement généreux.
Même quand il se perd un peu à force de changer les rues de son foisonnant bled de cinéma, il y a quelque chose d'une mèche allumée avec ce premier long métrage incandescent, au minimum pour la double bombe d'acteurs que sont Khansa Batma et Ahmed Ahmoud, aussi magnétique que sensuel tandem d'amants chauffés à blanc.
En salles mercredi 3 novembre
03 novembre 2021
3:07
« Las niñas » : adolescence à l’espagnole
Sous les jupes plissées et les socquettes d’une bande de collégiennes des années 90, une chronique de l’émancipation de l’Espagne.
Fait incontestable : l'adolescence et le cinéma ont toujours fait bon ménage, que ce soit par des pans entiers de films sur cet âge pas si tendre ou par une production pléthorique lui étant directement adressée. Reste qu'il ne suffit pas de faire un film sur des ados pour savoir capter toute la complexité de cette période formatrice, ou ne pas sombrer dans certains clichés.
Ce n'est pas le cas de Las niñas. Peut-être parce que cette chronique d'une bande de gamines a Saragosse au début des années 90 explore aussi un pays lui-même alors en pleine phase de transformations profonde. Le premier film de Pilar Palomero a un évident goût de vécu, piochant très probablement dans les souvenirs de la réalisatrice mais surtout celui d'une Espagne, qui comme son personnage principal etait traversée par des envie de libération, d'émancipation.
Quelque part c'est une adolescence plus globale, d'un pays, délivré du franquisme depuis une petite poignée d'années, mais qui ne s'était pas encore débarrassé de certains réflexes, n'avait pas tout à fait acquis le mode d'emploi du progressisme qui est au centre de Las niñas.
Palomero a la justesse d'entremêler l'intime de Celia, élève trop sage d'une école catho bousculée par l'arrivée d'une nouvelle copine bien plus effrontée et donc une vision sociale en coupe, pour raconter ce mélange d'euphorie et de trouilles de pousser certaines portes, de pouvoir enfin jouer avec les interdits. Mais aussi comment il était nécéssaire de rompre une chrysalide purement espagnole, découvrant la démocratie mais encore sous l'égide d'une Église encore très prépondérante.
Las niñas ne se concentre pas pour autant sur une génération de filles tout juste pubères, cloitrées sous l'uniforme jupes plissées et socquettes. Ça a beau être un film se déroulant dans les années 90, il observe aussi le monde de 2020, ce moment où les libertés et droits des femmes sont remis en question. Filmer avec un incroyable naturel des gamines d'aujourd'hui jouer celles d'hier, dans des gestes de découverte, des premières fois, que ce soit fumer une clope en douce ou avoir un gros crush amoureux fait ce lien. S'attarder sur l'éducation par des mères naturelles et celles religieuses aussi, par cette demande aux spectateurs d'aujourd'hui de ne pas oublier que les injonctions sociales d'hier n'ont pas forcément autant bougé qu'on le pense aujourd'hui. À sa manière, Las niñas fait une prière, celle de continuer à veiller à l'émancipation , des petites comme des grandes filles.
En salles le 27 octobre
28 octobre 2021
2:48
"Pig" : Dans le cochon tout est bon
Une histoire improbable de truie kidnappée rappelle qu’il ne faut pas prendre Nicolas Cage pour une truffe.
Faut pas emmerder Nicolas Cage. Toute une tripotée de films où l'acteur pète un câble en attestent. Avec le souci de performances exubérantes voire excentriques devenues une marque de fabrique ayant mené les films en question directement sur les rayons des plateformes SVOD ou du direct to video. À priori un pitch à la John Wick (un chef cuisinier devenu ermite décide d'aller péter la gueule aux malotrus qui ont kidnappé sa truie truffière) laissait entendre que Pig rejoindrait cette cohorte. À grand tort.
Le premier long métrage de Michael Sarnoski baisse le ton, ramène Cage du maximalisme exacerbé à un minimalisme pour rappeler à quel point il peut être un acteur phénoménal. Plus fort encore, Pig met à jour quelque chose que l'on n'avait pas forcément vu, un fil rouge ténu entre les derniers opus furibards de Cage, qui raconte autre chose que des écarts de conduite furibards. Quelque chose de bien plus intérieur, lié à des personnages tous dévastés par l'idée de perte d'un être proche ou aimé. Une part doloriste qui prend sa place dans Pig, œuvre tout en intériorité à la limite de la leçon de philosophie bouddhiste autour d'un type meurtri par la civilisation humaine au point de s'en être retiré, mais qui n'a pas d'autre choix que de renouer avec elle. Un chemin de croix auquel se plie un Cage d'autant plus sidérant de retenue que ses récents états de service avaient occulté cette capacité.
Pig peut dès lors aborder l'idée d'une violence du monde autrement, en distribuant des bourre-pifs envers l'industrie de la cuisine étoilée via une grinçante satire, autre très bonne surprise d'un film inattendu dans tous les sens du terme.
En salles le 27 octobre
27 octobre 2021
2:56
Pop Corn : "Les Héroïques" de Maxime Roy
Michel a 53 ans et peut-être pas forcément toutes ses dents. Normal, quand on s'est défoncé et qu'on a picolé dès l'adolescence. Michel n'a en fait jamais vraiment quitté cet âge-là. Rebelle un jour, rebelle toujours. Ce serait un crève-cœur pour lui d'abandonner ses t-shirts élimés ou un blouson de cuir aussi usé et buriné que son visage, voire de jacter autrement qu'en verlan façon loulou de banlieue des années 80.
Michel n'a en fait jamais vraiment grandi. C'est d'ailleurs ce que lui reprochent ses proches, de son fils ado à sa femme, avec qui il a récemment eu un bébé. Jusqu'à ce que ça craque, qu'elle décide de s'en séparer. Où que son daron renoue avec lui, alors qu'il crève à petit feu d'une sale maladie.
Alors Michel se retrouve coincé entre ses responsabilités de père et de fils, entre ses pulsions de vie et d'autodestruction. Les Héroïques n'a pas besoin d'en raconter beaucoup plus, puisque Michel est un concentré d'histoires à lui tout seul. Michel ou plutôt François Creton, acteur de sa propre vie.
Les héroïques n'est pas qu'une fiction, le film de Maxime Roy piochant énormément dans le parcours de Creton tout en fracas social. Il apporte bien plus qu'un visage et un physique ou une vérité à ce récit de la France des ultra-précaires. En touchant grâce à lui au près, au plus juste, un vécu, mais sans en occulter les zones d'ombres, Les héroïques touchent à une honnêteté loin d'être courante dans le cinéma français naturalisto-sociologique. Oui, il est question ici d'une reconstruction, mais avant tout de son processus et de la difficulté de l'accepter. Sans pour non plus sombrer dans le misérabilisme, Creton et Roy s'autorisant parfois à ridiculiser ce perpétuel immature comme à respecter les résurgences de son envie de ne pas rentrer dans le rang.
Forcément ce cinéma-là fera penser à une descendance de celui, solidaire, d'un Robert Guédiguian, renforcée par la présence d'Ariane Ascaride, avec le bonus de ne jamais s'affranchir de la complexité du réel, en filmant ses hauts et ses bas, sans angélisme ni jugement.
En salles le mercredi 20 octobre
20 octobre 2021
4:30
"Pleasure" : le porno, cet autre monde du travail
Dans la séquence d'ouverture de Pleasure, une jeune suédoise débarque à Los Angeles. À la douane, lui est posée la traditionnelle question de contrôle « Are you here for business or pleasure ?» Le film de Ninja Thyberg pose d'emblée sa thématique : Linnéa est venue d'Europe dans l'espoir de devenir la plus célèbre des pornstars, quitte à devoir faire son trou dans le porno le plus extrême.
Pleasure achève l'imagerie du porno chic en s'immergeant dans les coulisses de cette industrie actuelle, régie depuis que ce registre est devenu essentiellement visible sur le Net, par la nécéssité commerciale d'un toujours plus. Thyberg se refuse pour autant à faire le procès de ce milieu en le présentant avant tout comme un univers de travail, avec des codes particuliers, mais en filigrane les mêmes dérives dans les rapports de pouvoir, de soumission, d'égalité hommes-femmes que dans la plupart des environnements professionnels. Le regard posé est clinique, cru et cul. Mais c'est la franchise de ce qui tient d'une rigoureuse étude sociologique, voire anthropologique qui surprend, Pleasure ne parlant finalement pas tant du porno tel qu'il se fait aujourd'hui, que de sa part de reflet de l'époque contemporaine.
Une fois rhabillée d'un nom de scène, Linnéa devenue Bella Cherry, se fait esquisse d'un portrait d'une génération décomplexée que ce soit dans son rapport à la sexualité, à la célébrité, l'argent comme à l'incarnation de soi par l'image. Le monde moderne selon Thyberg est fait de contrats, de relations factices, d'une hiérarchie économique reposant sur l'exploitation, dont les échelons peuvent se grimper en string ou en talons aiguilles, mais surtout en écrasant les autres. Un monde basé sur un principe de compétition permanente qui n'est qu'un miroir aux vanités. Pleasure avertissant qu'une fois traversé, il sera difficile de faire marche arrière.
En salles mercredi 20 octobre.
19 octobre 2021
13:16
Ultime combat, Arts martiaux d'Asie
Le cinéma d'arts martiaux asiatique a longtemps manqué de reconnaissance critique. Peut-être par mépris envers un cinéma dédaigné parce qu'estimé impur ou marginal alors qu'il aura été un des plus populaires au monde. Ou simplement par ce que considéré comme un vulgaire cinéma d'action pour prolos. À tort quand derrière les prouesses physiques, il s'est toujours attaché à l'enseignement des vertus de disciplines aussi mentales que corporelles. Depuis une trentaine d'année, le regard porté sur ce cinéma a évolué pour admettre sa richesse, sa complexité et surtout la pertinence d'une identité cinématographique, de son extension du cinéma burlesque à sa relation profonde avec l'histoire de l'Asie est ses mouvements sociaux. De très nombreuses rétrospectives lui ont rendu hommage comme sa noblesse. Une exposition vient renforcer la chose en mariant cinéma et collections du musée du Quai Branly.
Il est assez pertinent que ce musée dédié aux arts et cultures primitives accueille un cinéma longtemps jugé primitif, au mauvais sens du terme, dans son rapport à la violence. Il y a même quelque chose de très beau à rattacher des objets traditionnels à des films, les faire se converser au gré des salles et des nombreux extraits pour lier spiritualité, légendes ancestrales et décryptage d'un art de vie guerrier. Les films sont remis en perspective avec les secousses des périodes historiques, délestant ce cinéma de sa réputation de spectacle bourrin pour les recontextualiser, expliquer la signification d'une technique ou d'un geste, révéler leur portée philosophique comme politique. La majorité des films choisis parlant en fait d'apprentissage, de transmission des traditions, de code d'honneur. Mais aussi de la modernité permanente de ce cinéma-là que ce soit par le rôle des femmes dans les films de sabre japonais ou hong-kongais ou dans l'incroyable complexité de scènes de combat plus virtuoses les unes que les autres. Il faut à ce titre saluer la scénographie de cette exposition, qui ne réduit jamais le champ ni le cadre des extraits à de simples vignettes. Au contraire, le choix a été fait de les présenter sur de grands écrans. Idem pour la hiérarchie, veillant à ce qu'aucun genre, de la kung-fu comedy au chambara ne soit négligé. Même quand il faut en passer par un passage obligé, par exemple l'évocation de Bruce Lee, la figure la plus iconique de ce cinéma, c'est par une salle spéciale, superbement dédiée aux mouvements du Petit Dragon, mais sans qu'elle écrase le reste. On pourra pour autant faire le petit reproche de l'absence de certains pays et cinématographies, comme la Thaïlande, l'Indonésie, ou le Vietnam alors que c'est aujourd'hui là-bas que les films d'arts martiaux connaissent désormais un renouveau, pour se concentrer essentiellement sur le cinéma et les cultures chinoises et japonaises. Mais après tout tant mieux, ça laisse de la matière pour une éventuelle future extension à cette exposition aussi foisonnante que remarquable d'intelligence rappelant que la philosophie est bel et bien un sport de combat.
Ultime combat, arts Martiaux d'Asie. Au Musée du Quai Branly, jusqu'au 16 janvier
13 octobre 2021
4:23
"Mon légionnaire" : L’amour est un champ de bataille
Qui a dit que l'Armée était une affaire d'hommes ? Pas Rachel Lang. Encore moins le second film de cette réalisatrice. Dans Mon légionnaire, il y a bien des soldats, mais tout autant leurs compagnes. Elles forment une quasi-communauté dans un coin de Corse, en attendant que leurs conjoints reviennent de mission au Mali. Une opération qui n'a rien d'une routine et pourtant c'est ce qu'essaie de filmer Lang, cet ordinaire d'une vie de couple singulière quand elle est autant soumise au devoir qu'au conjugal. Mon légionnaire gravite autour de ces allers-retours : alors qu'un lieutenant part au front laissant son épouse à la base, une jeune ukrainienne y débarque accompagnant une nouvelle recrue. Lang en fait un double champ de bataille, en alternant séquences sur le terrain dans le feu de l'action et immersion dans le quotidien des femmes rongées par le feu de l'inaction, craignant chaque jour qu'on leur apprenne que leurs hommes sont tombés pour la France.
La question du bien fondé de la présence militaire français au Sahel n'est pas le souci de Mon légionnaire, film qui s'attaque avant tout à une guerre d'usure, celle où les blessures ne sont pas causées par balles, mais par les limites de l'engagement, qu'il soit au nom de la nation ou au nom du cœur. La question centrale posée par Lang étant de savoir faire face à un quotidien doublement régulé par la peur de ne plus être loyal à ses idéaux. Mon légionnaire ausculte ce front commun pour ces femmes et ces hommes avec une rigueur qui invoque la précision clinique, pour ne pas dire militaire, d'une Kathryn Bigelow (Démineurs) mais aussi la compassion pour l'élément humain du cinéma d'une Claire Denis (Beau Travail). Peut-être Lang doit peut-être cette inattendue combinaison à un parcours peu commun, qui l'a amené à faire ses armes au cinéma tout en étant officier de réserve. Un cadre qui l'a très probablement amenée à observer de près le fonctionnement de l'armée et son impact sur l'intime. En ressort un film étonnant quand il interroge le prestige de l'uniforme sans pour autant se mettre au garde à vous, voire ayant l'intelligence de revisiter avec nuance et complexité, la fameuse trilogie travail, famille, patrie comme de donner une parole aussi inédite que forte aux souffrances d'une institution surnommée La grande muette.
En salles le 6 octobre
06 octobre 2021
3:02
Candyman : la vie en noir
On ne le rappellera jamais assez, le bon cinéma d'épouvante est celui qui n'a pas peur d'intégrer un rapport au réel, pour le commenter. C'était le cas en 1992 de Candyman, inattendue apparition d'un croque-mitaine qui surgissait pour éventrer à coup de crochet quiconque avait eu l'imprudence de prononcer cinq fois son nom. C'est plus encore le cas d'un film entre le remake et la suite qui débarque aujourd'hui. Les deux films conservent le même cadre, celui d'une cité HLM de Chicago, historique ghetto où a été parquée la classe ouvrière noire comme l'idée d'une créature issue de l'esclavage, revenue se venger éternellement. Les vingt ans qui séparent le premier Candyman de celui-ci ont fait le reste, laissant le temps d'infuser la dégradation des rapports entre blancs et noirs, comme les ravages de la gentrification dans l'Amérique contemporaine.
D'autant plus quand c'est Jordan Peele, instigateur depuis Get Out, d'un cinéma d'épouvante prenant à bras le corps la question de la place des afro-américains dans la société qui le produit. Il assume pleinement la portée politique de ce nouveau Candyman, que ce soit en en ayant confié la réalisation à une femme noire, Nia Da Costa, ou en le truffant d'allusions, comme la présence dans la bande-son d'un morceau de Sammy Davis Jr, partisan de la cause noire qui avait fini par devenir supporter ardent de Nixon, justement titré... The Candy Man. Pas tant pour boucler la boucle que pour indiquer que l'Amérique se trimballe depuis trop longtemps ses rapports interraciaux. Cette réactualisation du film de 1992 troque sa part gore, par une mise en scène aussi habile qu'inventive, vers quelque chose de plus anxiogène, la prophétie d'une révolte coléreuse qui finira par engendrer des monstres au nom d'une bonne cause, qui ne peut plus se contenter de promesses. En faisant de son croquemitaine la mémoire d'une oppression contre les noirs qui ne veut pas être oubliée, ni être récupérée par une woke culture de hipsters blancs, ce Candyman là rend coup pour coup.
En salles depuis le 29 septembre
30 septembre 2021
3:02
69e Festival de San Sebastian
De l’autre côté des Pyrénées, se tient actuellement l’équivalent espagnol de Cannes: sans la Croisette, mais à dimension plus humaine.
Alors que les salles de cinéma ont encore un peu mal à se remplir, les festivals, eux, font carton plein. Il faut dire que l'automne, c'est la pleine saison pour eux. Loin des immuables et mastodonte rendez-vous internationaux d'hiver et de printemps, que sont Berlin et Cannes, en septembre s'enchaînent ou presque, Venise, Toronto et San Sebastian. Ils sont un peu moins médiatiques, mais pas moins négligeables. San Sebastian a même pris l'habitude de se rebaptiser, « le plus petit des grands festivals ». A tort, quand non seulement, c'est l'épicentre du business du cinéma espagnol, mais aussi quand il diffère des autres manifestations, en étant fondamentalement accueillant pour le public quand les autres sont plus réservés à l'industrie.
Il y a quelque chose de très touchant à voir dans cette période de pandémie, des salles aussi pleines qu'enthousiastes. Surtout quand cette année, la programmation reflète non seulement un état du monde des plus inquiets quand à l'avenir mais se passe, pour énormément de films présentés, dans un cadre particulièrement intime. Beaucoup explorent des histoires d'individus en rupture avec leur environnement. Ainsi, la jeune fermière de la fin du XIXe siècle, dans As In heaven, film danois sous bel héritage Dreyer ou la jeune roumaine teigneuse d'aujourd'hui de Crai Nou, pour ne citer qu'elles, se rejoignent dans la difficulté de s'émanciper des règles familiales. D'une manière plus générale, quelles que soient les sections ou les nationalités, les films de cette édition énoncent clairement leur désarroi face à l'époque. Parfois en ruant dans les brancards, comme le douanier du Bruit des moteurs incapable de s'évader de son village canadien ou en succombant aux crises de paranoïa comme le prof slovène du grinçant Inventory peu à peu persuadé que tout le monde, surtout ses proches, ont voulu le tuer. Même les histoires de résilience spécifiquement locales, dont celle de Maixabel, autour du véridique rapprochement entre le mari d'une victime de l'ETA et son assassin, témoignent des obstacles que mettent une période faite de défiance, de méfiance sur un chemin qui ramènerait vers quelque chose de plus paisible. Quand ce n'est pas l'étonnante adaptation des Illusions perdues de Balzac par Xavier Giannoli qui scrute sous ses costumes des torts et travers – du phénomène des Fake News à la domination du libéralisme- très contemporains. Tout ça n'étant qu'un petit aperçu de la densité d'une édition clairement préoccupée par le monde tel qu'il se prépare. Mais au vu donc de la foule dans les salles, comme de la qualité générale des films ou même d'une météo qui a la politesse de ne faire tomber des trombes d'eau uniquement la nuit, le festival de San Sebastian, qui se tient jusqu'à samedi soir, a de très beaux airs de parenthèse encore un peu enchantée. Du moins pour les cinéphiles.
Jusqu'au 25 septembre. Plus d'infos : https://www.sansebastianfestival.com/in/
22 septembre 2021
3:02
L'origine du monde : Laurent Lafitte lève des lièvres avec une histoire de chatte
À quoi tient une bonne comédie ? Peut-être bien à ce que l'on trouve de moins en moins souvent dans celles françaises : un postulat non seulement original mais surtout qui s'en sert pour s'affranchir de certaines limites.
Pour son premier film de réalisateur, Laurent Lafitte a fait le bon choix en allant piocher chez l'un des auteurs actuels de théâtre de boulevard les plus audacieux, Sébastien Thiéry. Comme souvent chez lui, l'argument de L'origine du monde, secoue des bases classiques, celle du vaudeville pour les malaxer avec des éléments d'absurde délirant, voire de surréalisme pour un commentaire social bien senti. En l'occurrence, avec un quadra petit bourgeois qui se retrouve un matin avec son cœur qui ne bat plus mais reste pourtant vivant. La seule solution pour retrouver un état normal est de fournir à une psy, marabout new-age sur les bords, une photo du sexe de sa mère. Lafitte a conservé cette combinaison d’Œdipe sur le fond et de Bunuel dans la forme mais ajoute son propre sens du décalage.
De quoi se réapproprier la mécanique parfaite de Thiéry pour mieux la détraquer. Là où le dramaturge se demandait si un homme sans cœur est toujours un homme, Lafitte enfonce le clou avec une joviale provocation pour s'attaquer en bonus aux notions de couple, d'amitié ou de famille, le tout sur un ton frontal pas éloigné de ce qu'aurait pu faire un Bertrand Blier avec cette matière. D'ailleurs, Lafitte reprend à son compte le fameux esprit « décontracté du gland» en mettant littéralement à poil le trio déchainé qu'il forme avec Vincent Macaigne et Karin Viard. Ce qui n'empêche pas une paradoxale pudeur, quand derrière les mordants dialogues cash ou les réjouissantes situations trash, L'origine du monde cache une autre mise à nu : entre une incartade au bois de Boulogne, d'insistants dialogues à double-sens entre les personnages joués par Laffite et Macaigne ou des génériques d'ouverture et clôture utilisant des chansons de Marie Laforêt et Shirley Bassey, références culturelles gays, une lecture possible du film comme celui du coming-out de son auteur s'installe rapidement. Il n'est donc pas impossible qu'avec ce solide premier essai derrière la caméra, Laffite coupe bien bien plus qu'un cordon ombilical. Qu'il le fasse à pleine dents, n'en est que honorable.
En salle depuis le 15 septembre
16 septembre 2021
3:31
Afrofuturistik : la science-friction africaine
Où en est-on, en France, avec le cinéma africain ?
En fait, un peu nulle part. Alors que la plupart des sélectionneurs de festivals s'accordent à dire qu'il y a quelque chose qui frémit sur ce territoire, qu'une nouvelle génération est en train de se mettre en place ; vu d'ici, la découverte de ce cinéma-là est majoritairement rétrospective, patrimoniale. Depuis 2013, Quartier Lointain s'efforce d'y remédier en proposant régulièrement des programmes de courts métrages récents issus de tout le continent africain, regroupés autour d'un thème. La 6e édition agrège cinq films autour de l'idée d'Afrofuturisme. Une bonne idée quand elle s'intéresse à ce qui s'est passé autour du phénomène qu'à été Black Panther, le triomphant blockbuster Marvel et sa reconnaissance d'une culture africaine. Qu'importe si elle est passée par une réappropriation hollywoodienne, Afrofuturistik propose justement un effet miroir, avec des films, kényan, rwandais, nigérian, marocains ou congolais, très différents sur la forme ou le ton mais se rejoignant dans le principe d'une vision de l'Afrique actuelle par une Afrique reprenant à son compte les codes de la mondialisation. Y compris ceux d'un cinéma de genre, en l'occurrence la science-fiction. Refiltrée par les imaginaires de cinq réalisateurs pour une sorte de colonisation retournée à l'envoyeur, elle vire à la science-friction en confrontant mondes d'hier, aujourd'hui et demain.
Qu'il soit question d'un Maroc quasi post-apocalyptique dans Qu'importe si les bêtes meurent, des rivalités de sorcières nigérianes dans Hello Rain ou du premier spationaute rwandais resté trop longtemps en orbite dans Ethereality, la question de pouvoir associer traditions narratives ou culturelles et projection dans le futur est commune à ces courts métrages. Jusqu'à former une passionnante agora proposant des réponses méditatives ou cinglantes quand We Need Prayers : this one went to market, analyse de manière fulgurante en quelques minutes du marché de dupe que sont les rapports entre l'Afrique et le monde occidental, tandis que Zombies se fait particulièrement lucide pour danser sur la transe de la communication à tout crin et des réseaux sociaux. Le tout avec autant une énergie et une pertinence dans le propos social ou politique, dont ferait bien de s'inspirer le cinéma européen ou américain.
En salles depuis le 1er septembre
08 septembre 2021
3:53
Une histoire d'amour et de désir : la fleur du mâle
Un jour, il faudra bien se demander pourquoi les histoires d'éducation sentimentales et d'émancipation au cinéma se focalisent très majoritairement sur des personnages féminins. Leyla Bouzid était passée par là avec un premier film, À peine j'ouvre les yeux, où une jeune tunisienne faisait sa propre révolution en devenant chanteuse engagée. Engagé, le second long métrage de Bouzid l'est à sa manière. Autour du coup de foudre d'un étudiant d'origine algérienne pour une tunisienne débarquée à Paris, Une histoire d'amour et de désir s'attaque a ce qui tient quasiment d'un tabou, à savoir le déterminisme des jeunes hommes maghrébins à l'heure de leur première fois.
Une histoire d'amour et de désir voit cependant beaucoup plus loin que son titre faussement programmatique. La relation entre Ahmed, banlieusard renfermé qui ne connait de son pays de naissance que les injonctions sociales et moralisatrices et Farah, fille de la bourgeoisie de Tunis que rien ou presque n'effarouche ouvre une brèche quasi-inédite en s'attaquant aux images d'Épinal encore très ancrées autour des cultures du Maghreb vues d'ici de la place des jeunes hommes face à la pression sociale à la représentation des corps masculins arabes à l'écran. Ou plus simplement d'amalgames ayant fait de l'Afrique du Nord une entité globale, alors qu'elle est des plus diversifiées. Le geste est d'autant plus audacieux dans une période de retour au conservatisme, où les raccourcis sont entérinés comme des vérités, que Bouzid ose la douceur pour accompagner une démarche intellectuelle autour du déni de soi ou l'autocensure par une forme de dépucelage.
En ne renonçant jamais aux langueurs d'une romance, comme en faisant appel aux classiques oubliés de la littérature érotique arabe du Xème siècle, Une histoire d'amour et de désir prend langue sans qu'elle soit de bois, car n'occultant pas la complexité d'une identité maghrébine, bien plus dense que ses façades de virilisme ou d'atavisme religieux. Bouzid les travaillant au corps, par une sidérante combinaison de retenue et de sensualité. La vraie part de séduction de son film venant pour autant de sa proposition, qui peut paraître folle aujourd'hui où tout doit aller vite, de prendre du recul pour contrecarrer les préjugés, faire s'embrasser enseignements anciens et enjeux contemporains. La vibrante chamade qui s'installe ici doit bien sur beaucoup à Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor, aussi remarquable que fièvreux duo d'acteurs, mais Une histoire d'amour et de désir terrasse surtout en rappelant qu'un propos intelligent autour d'une génération qui doit réapprendre à s'aimer afin de pouvoir s'autoriser à désirer l'autre, peut être incroyablement sexy.
En salles depuis le 1er septembre
01 septembre 2021
3:15
"Passion Simple" de Danielle Arbid
Comment adapter la langue d’Annie Ernaux à l’écran ? En donnant littéralement chair et âme à son ressenti d’un féminin libre.
"À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi. Tout de lui m'a été précieux, ses yeux, sa bouche, son sexe, ses souvenirs d’enfant, sa voix… "
06 août 2021
13:15
"The Sparks Brothers" d’Edgar Wright
Les Sparks sont le moins connu des groupes les plus influents. Un docu aussi pop et énergique que leur musique revient sur cette énigme.
The Sparks Brothers est une odyssée musicale qui raconte cinq décennies à la fois étranges et merveilleuses avec les frères/membres du groupe Ron et Russell Mael, qui célèbrent l’héritage inspirant des Sparks : le groupe préféré de votre groupe préféré.
30 juillet 2021
3:39
"Les Sorcières de l’Orient" de Julien Faraut
Pendant que les J.O battent leur plein à Tokyo, un documentaire revient sur l’exploit exceptionnel de l’équipe féminine japonaise de Volley qui fit sensation à ceux de 1964.
Japon années 1960. Alors que Tokyo, en pleine reconstruction, signe son grand retour sur la scène internationale avec l’organisation des JO, un groupe de jeunes ouvrières connait un destin hors du commun. Après le travail, elles s’entraînent dans les conditions les plus rudes pour se hisser au sommet du volley mondial. Bientôt surnommées les « Sorcières de l’Orient », elles deviennent le symbole du miracle japonais. Leur histoire nourrira la pop culture durant des générations…
Visuel © Affiche Les Sorcières de l'Orient
27 juillet 2021
14:08
74e FESTIVAL DE CANNES, le bilan
Doria Tillier avait raison : ça aurait été pas mal de commencer par la fin. Une cérémonie de cloture joyeusement chaotique et le palmarès ont éclairé une édition jusque-là nébuleuse. Voire bouclé en remaniant à la question posée au tout départ par Carax (et le Sparks) : So may we start (something new) ?
Visuel © Affiche Festival de Cannes
20 juillet 2021
4:16
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 11
À 24 heures du palmarès pas de pronostics, si ce n’est celui d’un prix de l’édition la plus mineure.
Visuel © Affiche Festival de Cannes
16 juillet 2021
2:37
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 10
Pas simple la tâche du jury Caméra d’or cette année : il va falloir départager 31 premiers films. Mais surtout trouver celui qui surpasse des oeuvres de vétérans plus fraîches que les nouvelles pousses.
Visuel © Affiche Festival de Cannes
15 juillet 2021
3:05
BUENA VISTA SOCIAL CLUB
Alors que Cuba retourne dans la rue, le fameux documentaire sur la musique qui en est issue fait son retour en salles.
Ry Cooder a compose la musique de Paris Texas et de The End of Violence. Au cours du travail sur ce dernier film, il parlait souvent avec enthousiasme a Wim Wenders de son voyage a Cuba et du disque qu'il y avait enregistre avec de vieux musiciens cubains. Le disque, sorti sous le nom de "Buena Vista Social Club", fut un succès international. Au printemps 1998, Ry Cooder retourne a Cuba pour y enregistrer un disque avec Ibrahim Ferrer et tous les musiciens qui avaient participe au premier album. Cette fois, Wim Wenders était du voyage avec une petite équipe de tournage.
Visuel © Affiche Buena Vista Social Club
14 juillet 2021
2:21
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 9
14 juillet 2021
2:27
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 8
Le tour de France ne passe pas en Paca cette année. En attente de films incontournables ou de révélations majeures, le festival lui pédale un peu à vide…
Visuel © Affiche Festival de Cannes
13 juillet 2021
2:32
74e FESTIIVAL DE CANNES, Jour 7
Dans l’attente d’une parole présidentielle qui pourrait impacter le festival, deux films français se rappellent férocement à son souvenir sur l’air de « Macron, si tu savais….".
Visuel © Affiche Festival de Cannes
12 juillet 2021
2:23
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 4
La place des femmes à Cannes 2021 ? Pas encore 50/50 mais ça avance…
Visuel © Affiche Festival de Cannes
09 juillet 2021
2:59
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 3
Une journée sous le signe de l’absence : d’un site de réservations de places qui finisse enfin par fonctionner, à celles, plus belles, de deux acteurs d’exception.
Visuel © Affiche Festival de Cannes
08 juillet 2021
2:54
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 2
Pendant que la salle Lumière tombe le masque, le rideau se lève sur les sections parallèles. Côté compétition, Tout s’est (effectivement) bien passé.
Visuel © Affiche Festival de Cannes
07 juillet 2021
3:18
74e FESTIVAL DE CANNES, Jour 1
Après la parenthèse covidienne de 2019, le festival de Cannes est de retour en fanfare avec Annette le nouveau film de Léos Carax, mais aussi déjà quelques couacs.
Visuel © Affiche Festival de Cannes
06 juillet 2021
2:54
"Sous le ciel d’Alice" de Chloé Mazlo
Au moment où la catastrophe Libanaise passe sous les radars, une attachante romance orientale ravive ses douleurs.
Dans les années 50, la jeune Alice quitte la Suisse pour le Liban, contrée ensoleillée et exubérante. Là-bas, elle a un coup de foudre pour Joseph, un astrophysicien malicieux qui rêve d'envoyer le premier libanais dans l'espace. Alice trouve vite sa place dans la famille de ce dernier. Mais après quelques années de dolce vita, la guerre civile s'immisce dans leur paradis…
Visuel © Ad Vitam
30 juin 2021
3:24
"De l'or pour les chiens" d’Anna Cazeneuve Cambet
À quoi ressemblent les jeunes femmes en fleur d’aujourd’hui ? À un film (et une révélation fulgurante d’actrices) qui ne craignent ni les épines ni les demandes d’amour.
Fin de l’été, Esther 17 ans, termine sa saison dans les Landes. Transie d’amour pour un garçon déjà reparti, elle décide de prendre la route pour le retrouver à Paris. Des plages du sud aux murs d’une cellule religieuse, le cheminement intérieur d’une jeune fille d’aujourd’hui.
Visuel © Rezo Films
29 juin 2021
12:23
"Gagarine" de Fanny Liatard & Jérémy Trouilh
La rénovation des « Films de banlieue » utiliser le même principe que les plans gouvernementaux : repenser l’espace. Mais avec beaucoup plus de succès dans le cas de Gagarine.
Youri, 16 ans, a grandi à Gagarine, immense cité de briques rouges d’Ivry-sur-Seine, où il rêve de devenir cosmonaute. Quand il apprend qu’elle est menacée de démolition, Youri décide de rentrer en résistance. Avec la complicité de Diana, Houssam et des habitants, il se donne pour mission de sauver la cité, devenue son "vaisseau spatial".
Visuel © Affiche Gagarine
23 juin 2021
3:25
"La nuée" de Just Philippot
Pendant que les insectes font Bzz, La nuée fait lui le buzz du nouveau cinéma de genre français.
Difficile pour Virginie de concilier sa vie d’agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour sauver sa ferme de la faillite, elle se lance à corps perdu dans le business des sauterelles comestibles. Mais peu à peu, ses enfants ne la reconnaissent plus : Virginie semble développer un étrange lien obsessionnel avec ses sauterelles…
Visuel © Affiche La nuée
16 juin 2021
2:59
"Il n'y aura plus de nuit" d’Eléonore Weber
Sur le terrain comme dans les mentalités, la guerre moderne est aussi désormais celles des images.
Des images provenant d’hélicoptères sur le théâtre des opérations. L’œil insatiable des pilotes scrute le paysage. Les hommes qui sont visés ignorent qu’ils le sont, ils n’ont pas repéré d’où venait la menace. L’intervention a lieu sous nos yeux. Celui qui filme est également celui qui tue.
Visuel © Affiche Il n'y aura plus de nuit
15 juin 2021
13:16
"Tom Foot" de Bo Widerberg
Si on ne sait pas ce que donnera l’équipe de Suède à l’Euro, un des classiques du cinéma local revient en force sur le terrain.
Johan Bergman, petit Suédois de 6 ans, a une sacrée frappe et un redoutable sens du dribble. Repéré par Mackan, buteur star, ce petit prodige du foot lui vole la vedette. Propulsé directement chez les pros, il vient même au secours de l’équipe nationale suédoise pour l’aider à se qualifier pour la Coupe du monde 1974. Mais il a de plus en plus de mal à concilier vie d’enfant et exigences du métier de footballeur professionnel…
Visuel © Tom Foot
09 juin 2021
3:16
"Häxan" de Benjamin Christensen
Cent ans plus tard, l’un des films muets les plus sidérants n’a rien perdu de sa puissance. Serait-ce de la sorcellerie ?
Présenté à la manière d’une conférence, Häxan est un film documentaire sur la sorcellerie, de l’antiquité à la période contemporaine du film (1922). La sorcellerie est représentée avec soin par des illustrations tirées d’ouvrages médiévaux et des reconstitutions filmiques. Du sabbat des sorcières aux interrogatoires de l’inquisition, les illustrations classiques prennent vie dans des visions spectrales inquiétantes utilisant tous les effets spéciaux disponibles à l’époque : surimpressions, maquettes, jump cuts, stop motion, maquillages et prothèses.
Coffret Blu-ray/DVD chez Potemkine
02 juin 2021
4:05
"Playlist" de Nine Antico
Cadrée dans ses BD comme dans son premier long métrage, la liberté au féminin reste le sujet de Nine Antico
Sophie a 28 ans. Elle aimerait être dessinatrice, mais ce serait tellement plus facile si elle avait fait une école d’art. Elle aimerait aussi trouver l'amour, mais ce serait tellement plus facile s'il vous sautait aux yeux. Elle multiplie les expériences amoureuses et professionnelles. Prendre des coups, beaucoup, en donner, un peu : c’est ça, l’apprentissage. Dans sa tête tourne en boucle Daniel Johnston, qui chante que « l'amour véritable finit bien par vous tomber dessus » ; mais Sophie se demande s'il dit vrai.
En salles le 2 juin
Visuel © Affiche Playlist
01 juin 2021
10:18
"The Father" de Florian Zeller
Perdons la mémoire de l’image publique de théâtreux qu’à Florian Zeller. Récit des errances mentales causées par la maladie d’Alzheimer, The Father l’impose comme un cinéaste d’importance.
La réalité d’Anthony, octogénaire atteint d’Alzheimer se fracture de plus en plus. Le faisant douter de tout, plongé dans le labyrinthe mental de la maladie...
Visuel © The Father
26 mai 2021
4:44
"On Gaku" de Kenji Iwasawa
Il y a BEAUCOUP (49 films !) de chose à voir pour cette semaine de réouverture des salles.Mais plus encore à entendre dans On Gaku.
Une bande de lycéens marginaux menée par Kenji décide de créer un groupe de musique, sans savoir jouer. Le groupe Kobujutsu est né !
19 mai 2021
5:05
"Magic" de Richard Attenborough
Bien avant d’incarner Hannibal Lecter, Anthony Hopkins tenait des rôles sacrément flippants. Comme dans Magic où il se fait bouffer la tête par une marionnette…
Marionnettiste de talent, Corky Withers est une grande vedette qui partage l'affiche avec Fats, sa marionnette partenaire. Ensemble, ils échangent des plaisanteries et font rire le public. Mais un jour, Corky refuse un gros contrat et s'enfuit dans sa ville natale sans donner d'explications à son impresario. Et pour cause : comment expliquer sans paraître fou que Fats la marionnette semble exercer une influence meurtrière sur celui qui la manipule ?
En dvd/Blu-ray chez Rimini éditions.
12 mai 2021
4:12
"Shadow In The Cloud" de Roseanne Liang
Le virilisme en prend pour son grade dans série B féministe qui prend son envol en envoyant une héroïne badass en l’air...
Pendant la Seconde Guerre mondiale, une jeune mécanicienne voyageant avec des documents top secret à bord d’un bombardier B-17 est confrontée à une présence maléfique qui risque de compromettre sa périlleuse mission.
Visuel © Affiche "Shadow in the cloud"
05 mai 2021
3:28
"Judas & The Black Messiah" de Shaka King
La révolution des Black Panthers dans les années 60 est-elle soluble dans l’Amérique des années 2020 ? Oui, plus que jamais.
Chicago, 1968. Petit malfaiteur spécialisé dans le vol de voitures, William O'Neal se fait passer pour un agent du FBI pour commettre ses larcins. Lorsqu'il se fait coincer, le FBI propose d'effacer l'ardoise à condition qu'il devienne informateur ; il est chargé d'infiltrer les Black Panthers et de suivre de près Fred Hampton, le jeune chef charismatique du parti dans l’Illinois.
Visuel © Affiche "Judas and the Black Messiah"
28 avril 2021
3:22
"The Empty Man" de David Prior
Disney a essayé de déguiser un très étonnant film d’horreur en slasher de base. Perdu : loin d’être vidé de sa substance, "The empty man", est un futur classique du cinéma d’épouvante.
James Lasombra, ex-policier alcoolique qui ne se remet pas du décès de sa femme et de son fils dans un accident de voiture, est désormais détective. Il enquête sur la disparition de la fille d’une amie et tombe bientôt sur les traces de « l’Empty Man », devenu légende urbaine auprès de tous les adolescents du coin…
Visuel © Affiche "The Empty Man"
21 avril 2021
5:08
"Merrick" de Benjamin Diouris
De (tout petits) moyens n’empêchent pas de faire du grand cinéma, lyrique et ambitieux.
Dans un monde décimé par une étrange épidémie, Stanislas Merrick, un ancien champion de boxe, survit reclus et coupé du reste du monde. Son quotidien est bouleversé lorsqu'il fait la rencontre d'Esther, une jeune fille échappée d'un camp de réfugiés et traquée par un ancien soldat.
Disponible sur la plupart des plateformes de VOD (Amazon prime, Canal Vod, Orange, Apple Tv+…)
Visuel © Affiche "Merrick"
14 avril 2021
4:37
"Authentique mais vrai" de Gilles Botineau
Philippe Clair mérite mieux que d’être répertorié dans les encyclopédies de cinéma comme un faiseur de nanars. Un livre d’entretiens le remet à sa bonne place : celle d’un artisan chevronné du gag.
Mais qui se cache derrière des titres aussi improbables que "Par ou t’es entré on t’a pas vu sortir ?" ou "Ces flics étranges venus d’ailleurs ?" Philippe Clair, réalisateur oublié alors que champion du box office des années 70 ou précurseur d'un cinéma poético-loufoque. Conversation au long cours avec lui, Authentique mais vrai, revient sur son parcours singulier.
Visuel © Wikipédia
07 avril 2021
4:41
"Madame Claude" de Sylvie Verheyde
Le portrait rectifié d’une célèbre mère maquerelle des années 70 devient celui d’une business woman. Donc forcément en phase avec l’époque actuelle.
Fin des années 1960, Madame Claude règne sur Paris et au-delà grâce à son commerce florissant. En réinventant les codes de la prostitution, en empruntant ceux de la bourgeoisie et en s’inventant un passé respectable, elle est devenue une femme d’affaires redoutée et estimée du monde politique au grand banditisme. Femme de pouvoir dans un milieu et une époque d’hommes, à la veille des grands mouvements de libération de la femme, elle sera aussi le témoin de la fin d’une époque…
Sur Netflix, à partir du 2 avril
Visuel © extrait de "Madame Claude"
31 mars 2021
4:22
"Le grand inquisiteur" de Michael Reeves
La chasse aux sorcières est de nouveau dans l’air du temps. Dans le cinéma anglais de 1968, c’était déjà un sujet plus politique que polémique.
Au XVIIe siècle dans une Angleterre en proie à la guerre civile, Matthew Chapman, inquisiteur traque quiconque est soupçonné de sorcellerie. Un soldat, amoureux de la nièce d’un prêtre accusé à tort va se dresser contre lui...
Visuel © Pochette DVD "Le grand inquisiteur" de Michael Reeves
24 mars 2021
4:01
Flesh Memory de Jean-Jacky Goldberg
Qu’y a-t-il de l’autre côté des écrans des cam girls ? De la chair, mais surtout de l’âme.
Finley Blake est cam girl : elle gagne sa vie en faisant de l'exhibition sexuelle sur Internet, devant sa webcam. Elle a 33 ans, vit seule dans une maison isolée à Austin, Texas, et tente de récupérer la garde partagée de son fils qui lui a été retirée du fait de sa profession. Ce film est un documentaire qui la suit quelques jours dans sa vie, à la fois solitaire et très peuplée, tournée en grande partie vers des écrans qui sont son contact privilégié avec le monde.
Visuel © Affiche "Flesh Memory" de Jean-Jacky Goldberg
17 mars 2021
3:20
César 2021 : Côté jardin et côté courts (métrages)
Grosses interrogations sur le contenu et la forme de la cérémonie récompensant le cinéma français. Mais aucune inquiétude sur les courts-métrages en lice cette année : ils sont de haute tenue.
En attendant de savoir qui décrochera le César du meilleur court-métrage, décernons déjà notre double prix a nos chouchous,
L’Aventure atomique de Loïc Barché et Qu’importe si les bêtes meurent de Sofia Alaoui.
10 mars 2021
4:53
"American Utopia" de Spike Lee
David Byrne a toujours su faire son show. Plus encore avec American Utopia, plaidoyer pour un retour à l’intelligence humaine.
Une captation, par Spike Lee, du dernier spectacle de David Byrne, sur une scène de Broadway…
Disponible sur la plupart des plateformes VOD (Orange VOD, Canal VOD, FilmoTV….)
03 mars 2021
5:15
Small Axe de Steve Mc Queen
Le réalisateur de 12 years a slave s’étale sur vingt ans de vie noire à l’anglaise. La preuve par cinq récits que tout individu est relié à une communauté.
Autant mini-série que collection de films indépendants les uns des autres, Small Axe s’invite dans la communauté afro-caribéenne en Angleterre des années 60 à 80.
Les tranches de vies muent en tranche d’histoire britannique : celle de l’intégration et du racisme systémique.
Sur Salto, à partir du 26 février.
24 février 2021
5:28
F.A.M.E (Festival International de Films sur la Musique) 7e édition
La musique c’est bien sur une histoire de son. Mais c’en est aussi une d’images.
Du dancefloor aux enjeux de société, il n’y a qu’un pas que FAME franchit avec une programmation toujours curieuse du monde qui l’entoure. Démonstration avec une série de films à découvrir en exclusivité et en ligne sur la plateforme mk2 Curiosity. Le festival se passe à l’intérieur de nos écrans cette année, mais il reste résolument tourné vers le coeur battant de la société. Car tel est le pari FAME : écouter le monde à travers son beat, ses break, et ses pulsations.
DU 18 au 25 février sur https://www.mk2curiosity.com
https://www.youtube.com/watch?v=OdKDLR3TY5w&feature=emb_logo
17 février 2021
4:24
Une histoire orale d’Andrezj Zulawski, de Matthieu Rostac & François Car
En parallèle d’une nouvelle édition en Blu-Ray de Possession, l’un de ses films les plus marquants, un livre tout aussi embrasé revient sur la carrière (et le caractère) de son réalisateur.
Qu’on l’aime ou non, le cinéma d’Andrzej Zulawski reste à part. Des films excessifs, chaotiques, hystériques mais surtout fulgurants et animés par une fièvre romantique sans pareil.
Même sans les images, la puissance de ce cinéma persiste dans les pages d’un livre recueil de témoignages revenant sur le parcours d’un cinéaste incandescent et des champs de bataille qu’étaient ses tournages.
En vente sur la boutique du Chat qui fume : https://lechatquifume.myshopify.com/collections/precommandes/products/une-histoire-orale-dandrzej-zulawski
10 février 2021
5:20
Le 20e anniversaire de LABO, à Clermont Ferrand
Depuis 2001, la compétition Labo du festival du court métrage de Clermont-Ferrand fait la part belle aux cinéastes visionnaires, avant-gardistes,(ré)inventeurs.
Chaque année, cette sélection complètement décalée vous étonne et bouscule un paysage cinématographique campé sur ses acquis. Terrain de jeu expérimental, casse-tête d’animation débridées, agitation cérébrale… Au labo notre monde est questionné, disséqué, ré-assemblé, transformé, afin d’en faire jaillir de toutes nouvelles perceptions, libres et surprenantes.
Forte de ses 20 ans d’expériences, cette compétition unique n’a pas atteint ses limites ! En partenariat avec les éditions Autour de Minuit, elle vous offre un florilège de 20 de ses meilleurs films à travers la création d’un coffret Bluray accompagné de son livret de 52 pages et de nombreux bonus (qui seront accessibles en version dématérialisée) !
Coffret Blu-ray en vente sur la boutique d’Autour de Minuit (http://blog.autourdeminuit.com/dvd/blu-ray-boxset-20th-anniversary-of-lab-clermont-ferrand-short-film-festival/)
03 février 2021
4:10
Retrospective Helena Trestikova
Un adage veut que La vie soit un roman. Pour Helena Trestikova, documentariste tchèque c'est aussi des (beaux) films égrenant le fil du temps.
La cinéaste tchèque Helena Třeštíková développe une singulière esthétique de la rencontre. Elle filme avec une infinie patience des êtres et leurs familles – de cœur ou d’infortune – en revenant sans cesse auprès d’eux. Cette fréquentation assidue, fidèle, est une expérience commune d’observation participante, au plus près de la vie.
Helena Trestikova observe des êtres qui cherchent leur place, souvent en rupture avec la société ; des lignes de vie plus forte que l’infamie ou le déterminisme social. L’issue est fragile, incertaine, mais la vie se révèle encore et toujours plus forte.
Cette première rétrospective française de l’œuvre d’Helena Třeštíková met en évidence un cinéma qui s’élabore sur la (très) longue durée. Contemporaine des expériences longitudinales de Michael Apted (The Up series), Barbara et Winfried Junge (Die Kinder von Golzow) ou Michel Fresnel (Que deviendront-ils ?), Třeštíková travaille la sérialité documentaire selon des modalités précises. Au montage, elle ordonne chronologiquement chaque séquence pour restituer l’expérience d’une vie, dans la durée condensée du film. Le résultat est souvent vertigineux. Elle s’inspire d’une technique aussi ancienne que le cinéma, le résumé-accéléré ou time-lapse en anglais.
Sur le site de la BPI (BIbilothèque Publique d’Information du Centre Pompidou) jusqu’au 6 mars/ https://www.bpi.fr
27 janvier 2021
4:34
"In Search Of Darkness" de David A. Weiner
Les années 80 furent une période particulière pour le cinéma d’horreur américain, elle fit rimer gore avec âge d’or.
À quoi ressemblait le cinéma d’horreur made in USA dans les années 80 ? De John Carpenter à Joe Dante, les cinéastes, acteurs, techniciens qui l’ont fait ravivent leurs souvenirs dans un documentaire-fleuve, tout en revenant sur l’impact de cette production sur le cinéma de genre contemporain.
Visible sur https://www.shadowz.fr à partir du 22 janvier.
https://www.youtube.com/watch?v=LtG6hYUvlkc
Visuel © Affiche d'"In Search Of Darkness" de David A. Weiner
20 janvier 2021
4:25
L’histoire des gros mots
De leur histoire méconnue à leur importance sociale, une série ludique pour redonner les lettres de noblesse aux jurons.
Le cours d'histoire dont vous aviez besoin sans le savoir. Présentée par Nicolas Cage, L'histoire des gros mots est une série tapageuse qui explore l'origine des gros mots, leur usage dans la culture pop, leur explication scientifique et leur impact culturel. À travers plusieurs entretiens avec des experts en étymologie et en culture pop, des historiens et des artistes, cette série en six épisodes remonte aux origines des mots "Fuck", "Shit", "Bitch", "Dick", « Pussy », « Damn ».
https://www.youtube.com/watch?v=XByiHpUvrj0
Visuel © History of Swear Words
13 janvier 2021
4:39
ZONES HUMIDES de David Wnendt
Sous un épiderme trash à la John Waters, la version teutonne de La Boum rédige le manifeste féministe des adolescentes d’aujourd’hui.
Helen est une adolescente non-conformiste qui entretient une relation conflictuelle avec ses parents. Passant la plupart de son temps à traîner avec son amie Corinna, avec qui elle transgresse un tabou social après l’autre, elle utilise le sexe comme un mode de rébellion et casse la morale bourgeoise conventionnelle. Après un accident de rasage intime, Helen se retrouve à l’hôpital où il ne lui faut pas longtemps pour faire des vagues. Mais elle y rencontre Robin, un infirmier dont elle va tomber follement amoureuse…
En dvd/Blu-ray chez Extralucid films (https://www.extralucidfilms.com)
06 janvier 2021
6:59
VOD : les autres plateformes...
Netflix, AmazonPrime et consorts c’est bien. Mais il y a mieux sur d’autres sites pour passer un Noël cinéphile.
En attendant que les salles de cinéma rouvrent, les grosses plateformes VOD s’en donnent à coeur joie. Ces mastodontes cachent pour autant une multitudes d’autres sites, regorgeant de perles et de trouvailles. Petit tour d’horizon.
16 décembre 2020
3:36
"The Wicker Man" de Robin Hardy
Le remarquable et séminal film d’épouvante anglais des 70’s réapparaît (normalement) mi-décembre en salles.
Puisqu’on n’est pas sur que Noël sera autorisé cette année, autant célébrer la fête païenne qu’es "The Wicker Man", film à part dans le cinéma fantastique britannique, de ressortie dans une version inédite. Un vrai cadeau, donc.
A la veille du 1er mai, sur un ilot écossais, un policier du continent enquête sur la disparition d’une fillette et se heurte à l'hostilité et au mutisme de ses habitants. Et s’ils en savaient plus sur ce mystère...
Visuel © The Wicker Man de Robin Hardy
09 décembre 2020
4:46
Le livre « Censure & Cinéma en France »
À l’heure où l’on s’interroge sur l’utilisation des images de violences policière, un copieux ouvrage collectif rappelle que même au cinéma, la censure, c’est une affaire de pouvoir.
Que peut-on montrer dans un film en France ? Depuis 1916, une commission est chargée de contrôler les images de cinéma. De son historique à ses évolutions, en passant par d’étonnants cas d’école, Censure & Cinema en France (Editions LettMotif) revient sur cet organisme plus complexe qu’on le croit, et à ses résonances sociales.
02 décembre 2020
3:51
« Petite Fille » de Sébastien Lifshitz
Comme disait Simone de Beauvoir : « On ne nait pas femme, on le devient ». Le combat d’une mère pour son enfant transidentitaire le confirme dans un très beau documentaire.
Sasha, né garçon, se vit comme une petite fille depuis l’âge de 3 ans. Le film suit sa vie au quotidien, le questionnement de ses parents, de ses frères et sœur, tout comme le combat incessant que sa famille doit mener pour faire comprendre sa différence. Courageuse et intraitable, Karine, la mère de Sasha, mène une lutte sans relâche portée par un amour inconditionnel pour son enfant.
En avant-première du 25 novembre au 2 décembre sur Arte.tv et en diffusion sur Arte le 2 décembre.
25 novembre 2020
3:49
« Chroniques du Cinéma Confiné », le recueil du monde du cinéma sur son avenir post-confinement
Pendant que les salles sont fermées, le monde du cinéma réfléchit à son avenir dans un almanach du premier confinement
Du 17 mars au 22 juin, les salles de cinéma ont été fermées. Mais pas l’esprit de son industrie : réalisateur, comédiens, attachés de presse, producteurs, critiques, techniciens et autres ont tenu un journal de bord du premier confinement pour conjurer leurs angoisses mais aussi exprimer d’une voix chorale ce qu’il espéraient du cinéma tel qu’il se fera dans le monde d’après.
18 novembre 2020
4:29
La compilation « Le cinéma policier français » de Jean-Ollé Laprune
Pour demander les papiers d’identité du cinéma français, un livre compliatoire qui ne s’astreint à un contrôle de routine pour enquêter sur un genre beaucoup plus vaste qu’on le croit.
De 1901 à 2019, cent films policiers français pour mieux faire le portrait-robot du polar bien de chez nous. Une cartographie subjective (et généreuse) façon mise en examen qui préfère décloisonner les cellules d’un cinéma particulièrement varié, entre grands classiques et raretés ou perles oubliées.
Paru chez Hugo Images.
12 novembre 2020
3:30
VOYAGE VERS LA LUNE de Glen Keane
Un artisan hors-pair de chez Disney passe à la concurrence, mais n’a pas laissé son brillant savoir-faire chez la maison Mickey.
Aussi brillante que passionnée de science, une jeune fille déterminée construit une fusée pour se rendre sur la lune et prouver l'existence d'une légendaire déesse lunaire ! C'est alors qu'elle se retrouve embarquée dans une quête inattendue et qu'elle découvre un univers féerique peuplé de créatures fantastiques.
04 novembre 2020
3:41
« Forbidden Hollywood »
Hollywood a toujours aimé le scandale. Encore plus dans les années 20 ou TOUT lui était permis.
Entre 1929 et 1934, Hollywood réagit à la crise en se lâchant. Peut-être un peu trop pour la censure qui y mettra le holà avec le Code Hays. Mais cette parenthèse (dés)enchantée a donné lieu à des films osant tout, au nom d’une liberté morale qui reste ahurissante encore aujourd’hui. La preuve avec un coffret de dix films en sens interdit.
28 octobre 2020
3:02
« DRUNK » de Thomas Vinterberg
Boire pour noyer le chagrin des regrets ? C’est le beau programme de Drunk, film qui a de la cuite dans les idées
Quatre amis décident de mettre en pratique la théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Avec une rigueur scientifique, chacun relève le défi en espérant tous que leur vie n’en sera que meilleure ! Si dans un premier temps les résultats sont encourageants, la situation devient rapidement hors de contrôle.
21 octobre 2020
2:43
« Calamity, Une Enfance De Martha Jane Canary » de Rémi Chayé
14 octobre 2020
3:06
« Dick Johnson Is Dead » de Kirsten Johnson : ou comment lutter, au cinéma, contre Alzeihmer
Les gens peuvent avoir plusieurs vies et par conséquent, plusieurs morts. Ce n’est pas macabre (c’est même assez drôle et très touchant), c’est le nouveau film de Kirsten Johnson, qui interroge la nécessité d’entretenir la mémoire de ses proches.
Visuel © Dick Johnson Is Dead de Kirsten Johnson
07 octobre 2020
3:20
À Coeur Battant de Keren Ben Rafael
01 octobre 2020
2:57
Gaspar Noé : « Les vrais pessimistes font des films qui ne sont pas drôles »
Dans Lux Æterna, le cinéaste franco-argentin Gaspar Noé, auteur irrévérencieux et iconoclaste d'Irréversible, de Love ou de Climax, fait la lumière sur son monde dans un moyen métrage ensorcelé.
Charlotte Gainsbourg accepte de jouer une sorcière jetée au bûcher dans le premier film réalisé par Béatrice Dalle. Or l’organisation anarchique, les problèmes techniques et les dérapages psychotiques plongent peu à peu le tournage dans un chaos de pure lumière.
Notre journaliste cinéma Alex Masson a rencontré le cinéaste chez Radio Nova. « Les vrais pessimistes font des films qui ne sont pas drôles. », assure Gaspar Noé qui considère également, et certainement à juste titre, que « Le cinéma n'est pas forcément un art. » Qu’en est-il du sien ?
Visuel © Lux Æterna
23 septembre 2020
7:04
Enorme de Sophie Letourneur
02 septembre 2020
4:14
THE CLIMB de Michael Angel Covino
29 juillet 2020
6:20
LA NUIT VENUE de Fréderic Farrucci
13 juillet 2020
6:33
TOUT SIMPLEMENT NOIR de Jean-Pascal Zadi et John Wax
01 juillet 2020
3:58
« Nous, les chiens » d'Oh Sung-yoon & Lee Choon-Baek
Le chien est le meilleur ami de l'homme. Affectueux, fidèle… mais lorsqu'il vieillit ou se comporte mal, il est parfois abandonné comme un mouchoir souillé. Et lorsqu'il se retrouve seul face à la nature, l’instinct animal et l’esprit de meute reprennent le dessus. Solidaire, déterminée, notre petite bande de chiens errants va peu à peu réapprendre à se débrouiller seule. Et découvrir la liberté, au cours d’un extraordinaire voyage.
En salles le 24 juin.
Visuel © « Nous, les chiens » d'Oh Sung-yoon & Lee Choon-Baek
24 juin 2020
3:01
« Themroc » de Claude Faraldo
Themroc est un ouvrier qui surprend un jour son patron en train de tromper sa femme avec une secrétaire ! Son chef tentant de le faire taire, il s'enfuit et part se barricader chez lui, retenant par la même occasion sa mère et sa sœur en otage. Themroc cède rapidement à la folie et la police va tenter d'intervenir…
En DVD (Tamasa éditions), reprise en salles le 1er juillet.
Visuel © Affiche « Themroc » de Claude Faraldo
18 juin 2020
3:28
« Il était une fois dans l'Est » de Larissa Sadilova
Quand le cinéma russe prend la route c’est pour confirmer que tous les chemins, mêmes bucoliques, mènent au Kremlin.
Les jours s'égrainent harmonieusement dans un paisible village de Russie. Anne prend chaque semaine le bus pour aller vendre ses tricots à Moscou. Mais elle en descend après quelques virages. Le même jour, son voisin routier va charger son camion pour une longue semaine de voyage. Il s'arrête lui aussi immuablement à la sortie du village...
Désir, amour, suspicion et badinage, rien ne peut rester longtemps secret…
En VOD (Canal VOD, Film TV, Google Play, iTunes, Orange, UniversCiné, Wuaki)
Visuel © Affiche « Il était une fois dans l'Est » de Larissa Sadilova
11 juin 2020
3:16
« Hercule contre les vampires » de Mario Bava
De retour de guerre, Hercule trouve sa bien aimée, Diane, inconsciente. D'après l'oracle Médée, la seule façon pour Hercule de la ramener à la vie est de trouver une pierre sacrée enfoui au plus profond de la Terre, dans le royaume d'Hadès. Il part donc à as recherche, accompagné de Télémaque et de Thésée, après avoir confié Diane au roi Lico. Mais il ignore que c'est ce même Lico qui a empoisonné Diane, et projette de la garder pour lui…
BR disponible chez Artus Films
Visuel © Affiche « Hercule contre les vampires » de Mario Bava
04 juin 2020
3:53
« Miracle in Cell No. 7 » de Lee Hwan-gyeong
Le chemin est long entre la Corée du Sud et la Turquie, mais les bonnes histoires (et les bons films) n’ont pas de frontières.
Yong-Goo, un handicapé mental est emprisonné pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Ses voisins de cellule, criminels parmi les plus endurcis se prennent d’affection pour lui et vont tout faire, alors qu’il a été condamné à mort, pour que sa petite fille puisse lui rendre visite.
Disponible sur outbuster.com
Visuel © Affiche « Miracle in Cell No. 7 » de Lee Hwan-gyeong
28 mai 2020
2:52
« Phase IV » de Saul Bass
Après avoir révolutionné l'art du générique, Saul Bass cassait la ligne claire de la SF avec son unique long-métrage. Phase IV ramène sa fascinante science, pour compléter les théorèmes cosmiques de Kubrick.
Dans un coin reculé de l’Arizona, deux scientifiques découvrent de mystérieux piliers. Ils sont crées par des fourmis en plein plan pour terrasser l’humanité. La lutte pour la survie démarre...
→ Coffret DVD/BR chez Carlotta
Visuel © Affiche « Phase IV » de Saul Bass
22 mai 2020
4:07
« La Rupture » de Philippe Barassat
Le cinéma de Philippe Barassat continue à rompre avec les habitudes, en proposant une véritable variation sur un même « t’aime ».
Marie-Louise vient déclarer à Jean, l’écrivain avec qui elle a eu une longue liaison qu’elle le quitte. Mais avec l’amour, les choses ne sont jamais si simples que ça. Lors de leur explication, l’auteur lui dit rapidement que tout ceci « n’a pas de sens ». Philippe Barassat en donne deux à La rupture en le dédoublant en deux versions (celle-ci, et une seconde, reprenant précisément les mêmes déroulés et dialogues, mais en faisant de Jean, une romancière).
Un très beau geste gracieux de cinéma, doublé lui aussi : ces deux films sont disponibles en accès libre sur YouTube. Ça se passe ici et ici.
Visuel © Capture d'écran
14 mai 2020
3:32
Bas les masques ! - « Massacre à la tronçonneuse » de Tobe Hooper
Pour vivre heureux (lors du déconfinement), vivons masqués. Mais plutôt que de demander au gouvernement comment les porter, posons la question aux grandes figures dissimulées du cinéma.
Ce n’est pas parce que le croque-mitaine ultime du cinéma indé US des années 70 était issu d’un fils à maman qu’il était (littéralement) à fleur de peau...
Visuel © Amazon / Masque Leather Face
07 mai 2020
3:59
Bas les masques ! - « Star Wars : La Guerre des étoiles » de George Lucas
Pour vivre heureux (lors du déconfinement), vivons masqués. Mais plutôt que de demander au gouvernement comment les porter, posons la question aux grandes figures dissimulées du cinéma.
Dark Vador n’est pas né dans l’espace mais bien sur Terre, accouché par des samouraïs et des plongeurs...
Visuel © Getty Images / Archive Photos
06 mai 2020
4:09
Bas les masques ! - « Scream » de Wes Craven
Pour vivre heureux (lors du déconfinement), vivons masqués. Mais plutôt que de demander au gouvernement comment les porter, posons la question aux grandes figures dissimulées du cinéma.
Comment un tableau plus que célèbre et une pochette d’album de Pink Floyd, participèrent au renouvellement méta du slasher pour adolescents ? La réponse est sous le masque de Ghostface.
Visuel © Capture d'écran « Scream » de Wes Craven
05 mai 2020
3:52
Bas les masques ! - « Fantômas » d'André Hunebelle
Pour vivre heureux (lors du déconfinement), vivons masqués. Mais plutôt que de demander au gouvernement comment les porter, posons la question aux grandes figures dissimulées du cinéma.
Initialement, cruel maître du crime portant un loup, le génie du mal crée par Souvestre et Allain s’est adouci dans les comédies cultes avec Louis de Funès et Jean Marais. Mais qui était vraiment sous le masque bleu métallisé ?
Visuel © Capture d'écran « Fantômas » d'André Hunebelle
04 mai 2020
3:45
« La Traque » de Yoon Sung-hyun
Même quand la Corée du sud sera mise en faillite économique par l’austérité, son cinéma continuera d’être riche en film de genres explosifs.
Quand Jun-Seok sort de prison c’est pour découvrir que la Corée du Sud est tombée en ruine depuis le régime d’austérité mis en place par le FMI. Avec ses deux amis d’enfance, ils n’ont plus qu’un rêve : s’exiler à Taïwan, encore épargné par la crise. Pour trouver de quoi organiser cette fuite, ils décident de braquer un casino clandestin. Bilan de l’opération, un copieux butin mais surtout un tueur sans pitié désormais à leurs trousses.
Disponible sur Netflix.
Visuel © Union Investment Partners, Littlebig Pictures, Sidus
30 avril 2020
2:32
« Microhabitat » de Jeon Go-Woon
Une disciple sud-coréenne du Jim Jarmusch bohème des débuts assure que l’enfermement n’est qu’une question de point de vue.
A tout juste la trentaine, Miso, une sud-coréenne se laisse porter par la vie au gré des plaisirs qu’elle s’accorde : les cigarettes, le whisky et son mec. Lorsque les deux premiers subissent une phénoménale augmentation, il lui faut choisir entre eux et payer le loyer de son minuscule appartement. Elle n’hésite pas longtemps et se met à squatter chez divers anciens amis de collège…
Disponible sur Outbuster.
Visuel © « Microhabitat » de Jeon Go-Woon
09 avril 2020
1:42
« La Vie de château » de Clémence Madeleine-Perdrillat et Nathaniel H’limi
Un court-métrage aussi aérien qu’enchanteur pour dissiper les nuages qui pourraient plomber les mômes confinés.
Orpheline, Violette, 8 ans, part vivre avec son oncle Régis, agent d’entretien au château de Versailles. Timide, Violette le déteste : elle trouve qu’il pue, elle décide alors qu’elle ne lui dira pas un mot. Dans les coulisses du Roi Soleil, la petite fille têtue et le grand ours vont se dompter et traverser ensemble leur deuil. Diffusion sur Okoo le 5 avril pendant cinq semaines puis sur France 4 le 12 avril à 18h30.
01 avril 2020
1:59
« Yiddish » de Nurith Aviv
11 mars 2020
2:39
« Kongo » de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav
10 mars 2020
8:09
« Thee Wreckers Tetralogy » de Rosto
05 mars 2020
8:49
Le roman des César, copieux chapitre 45
04 mars 2020
3:53
« Invisible Man » de Leigh Whannell
26 février 2020
2:42
« And Soon the Darkness » de Robert Fuest et « Fright » de Peter Collinson
19 février 2020
2:56
« Queen & Slim » de Melina Matsoukas
12 février 2020
2:24
"Adam" de Maryam Touzani
05 février 2020
2:40
"Revenir" de Jessica Palud
30 janvier 2020
6:24
« Jojo Rabbit » de Taika Waititi
29 janvier 2020
3:31
« Bad Boys for Life » de Bilall Fallah et Adil El Arbi
22 janvier 2020
2:45
Le conte du Tsar Saltan d'Aleksandr Ptushko
15 janvier 2020
3:06
« Roman Porno » : une histoire érotique du Japon
08 janvier 2020
3:20
« Ghost Tropic » de Bas Devos
31 décembre 2019
6:34
« Echo » de Rúnar Rúnarsson
30 décembre 2019
6:21
« Millenium actress » & « Jésus »
18 décembre 2019
3:13
The Lighthouse de Robert Eggers
17 décembre 2019
7:31
« Lillian » d'Andreas Horvath
11 décembre 2019
2:04
« Jeune Juliette » de Anne Émond
10 décembre 2019
7:41
« Stop Making Sense » de Jonathan Demme
04 décembre 2019
3:11
« Made in Bangladesh » de Rubaiyat Hossain
03 décembre 2019
6:41
Indianara de Aude Chevalier-Beaumel et Marcelo Barbosa
28 novembre 2019
7:45
« Freedom » de Rodd Rathjen
26 novembre 2019
8:26
« Terminal Sud » de Rabah Ameur-Zaïmeche
20 novembre 2019
2:36
« Vivre et chanter » de Johnny Ma
19 novembre 2019
7:09
« Knives and Skin » de Jennifer Reeder
18 novembre 2019
7:29
Histoires d’Emmanuelle
13 novembre 2019
3:44
« Black Journal » de Mauro Bolognini
06 novembre 2019
3:15
« Debout sur la montagne » de Sébastien Betbeder
31 octobre 2019
6:12
« Quand passent les cigognes » de Mikhaïl Kalatozov
30 octobre 2019
3:29
La nuit des morts vivants de George A. Romero
23 octobre 2019
3:08
D’après une histoire de Stephen King, de Matthieu Rostac et François Cau
16 octobre 2019
3:17
« Nos défaites » de Jean-Gabriel Périot
09 octobre 2019
3:29
« Gwen, le livre de sable » de Jean-François Laguionie
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« L’Insensible » d’Ivan Ivanovitch Tverdovski
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