Le dernier rapport d’Action contre la Faim révèle l’importance d’intégrer les enjeux de genre dans les politiques de protection sociale et d’autonomisation des femmes en Afrique subsaharienne.
Les inégalités de genre sont l’un des principaux facteurs à plonger les femmes et les enfants dans la précarité et la faim. Emplois informels mal payés, travail de soin non reconnu et non rémunéré, mauvais accès aux soins ou à l’éducation… Les femmes sont confrontées à un grand nombre d’obstacles directement imputables aux normes patriarcales. Dans son dernier rapport, Action contre la faim porte les demandes des associations d’Afrique subsaharienne et appelle au renforcement des services de protection sociale pour lutter contre les inégalités et les injustices de genre.
Le constat est sans appel : la lutte contre la faim et les inégalités passe par la mise en place d’une protection sociale universelle et féministe. L’étude “Comment avancer vers une protection sociale féministe en Afrique subsaharienne ?” se concentre sur la Sierra Leone, la Côte d’Ivoire et Madagascar, trois pays qui mettent déjà en place des protections sociales, mais dont les taux de couverture et d’adéquation des prestations sont encore insuffisants.
Ces États sont parmi les rares territoires, notamment en Afrique subsaharienne, à miser sur ce type de programme. L’efficacité d’une protection sociale n’est pourtant plus à prouver. C’est par ailleurs un droit humain proclamé par différents textes, dont la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Mais peu de politiques nationales s’y consacrent véritablement. Les pouvoirs en place craignent des programmes trop chers et compliqués à appliquer, ou de créer une dépendance des populations concernées vis-à-vis des aides accordées.
Pourtant, il y a urgence : en raison de la pandémie de Covid-19, de la guerre en Ukraine qui influe sur le prix et les importations de céréales et du bouleversement climatique qui entraîne sécheresses et famines, la situation se dégrade. En 2021, près d’un·e Ouest-Africain·e sur 16 est touché·e par l’insécurité alimentaire, un chiffre en hausse de 34 % en un an. Les femmes et les filles sont les plus touchées.
Une mauvaise reconnaissance et rémunération du travail de soin
À l’échelle locale, les militant·es féministes, associations de protection des droits des enfants et représentant·es des travailleurs et travailleuses en Afrique subsaharienne dressent le même constat : l’une des principales difficultés dans la mise en place d’une protection sociale est la très large appartenance des femmes à l’économie informelle. Si l’on excepte l’Afrique australe, plus de 90 % des femmes d’Afrique subsaharienne travaillent dans cette économie informelle – et donc non couverte – qui regroupe des emplois en majorité liés à l’agriculture traditionnelle en milieu rural et aux activités de petit commerce, comme les marchés ou la vente de rue en milieu urbain. Les employées domestiques, les ramasseuses de déchets, les chauffeures de taxi ou de bus sont aussi concernées. À ces emplois nourriciers, souvent instables et peu rémunérateurs, s’ajoute tout un travail de care non redistribué et non rémunéré, de la garde des enfants à l’aide aux personnes âgées.
Cette surcharge de travail, en plus d’empêcher les femmes d’accéder à la stabilité et à l’autonomie financière, entraîne des conséquences pour leur santé physique et mentale. Un cercle vicieux quand on sait qu’elles souffrent également d’un mauvais accès aux soins. Dans son rapport, Action contre la faim préconise ainsi la mise en place de mesures concrètes, comme une couverture de certains soins essentiels, incluant une prise en charge de la santé mentale. Une meilleure garantie de la santé sexuelle et reproductive – tests de dépistage IST/MST, accès à la contraception, distribution de protections hygiéniques – est également essentielle, en particulier auprès des jeunes filles.
Vers des politiques publiques féministes
Instaurer une couverture juste et efficace passe aussi par une amélioration profonde des services publics, qui souffrent depuis des années de mauvaise gestion, de sous-financement voire de corruption. En résulte un manque de confiance des populations, qui explique en partie la faible demande pour plus de protection sociale. Pourtant, améliorer l’accès à la santé, à l’éducation, aux transports, aux services administratifs, mais aussi à l’eau potable et à l’assainissement dans les zones rurales, aiderait à l’autonomisation des femmes. Cela reviendrait à leur offrir de meilleures conditions de vie et, à terme, à les aider à se défaire des normes patriarcales en place. Renforcer les services publics est donc une revendication féministe !
Une prise de conscience générale et une évolution des mentalités sont également indispensables. L’ensemble des associations, représentant·es et militant·es de la région l’affirment : il est indispensable d’impliquer les hommes dans ces programmes et d’en faire des acteurs du changement. Lutter contre les violences conjugales, déconstruire les représentations de masculinité toxique, communiquer sur l’importance d’une meilleure répartition des tâches domestiques, mais aussi valoriser le travail et la confiance en soi des femmes ou encourager et financer l’éducation des petites filles sont autant de prérequis pour permettre aux femmes d’accéder à plus de stabilité et d’autonomie et ainsi être libres de faire leurs propres choix de vie. Pour consulter le rapport complet, c’est par ici.