David Blot reçoit Valli, chanteuse de Chagrin d’Amour dans le Nova Club.
« Chacun fait (c’qui lui plaît) » : trois millions de fans, et des souvenirs. Valli de Chagrin d’Amour était notre invitée dans le Nova Club ce jeudi. Elle nous raconte les coulisses d’un succès fulgurant.
Il paraît que le premier album de Chagrin d’Amour ressort.
Valli : Oui, en mars 2019, sur le label London Recordings. Aujourd’hui, c’est un album collector, parfois je demande aux disquaires de me le trouver et je rachète des albums parce que je n’en ai que trois ou quatre. À l’époque c’était assez dingue parce que tout le monde disait « j’adore cet album » sauf que personne n’a jamais écouté !
Attends on va trop vite, on va le raconter après tout ça ! Tu es née dans le Connecticut, tu as vécu à New York, dans cette époque qui fait fantasmer tout le monde (fin 70’s / début 80’s) et puis tu as débarqué en France… Pourquoi ?
Valli : Je suis arrivée en mai 1981, et ça aussi ça fait un peu rêver (ils rient).
Aux États-Unis, la France était vue comme un pays de communistes
On rappelle pour les plus jeunes que le 10 mai 1981 c’était l’élection de François Mitterrand.
Valli : D’ailleurs au départ je suis arrivée à Londres et c’était le jour de la mort de Bob Marley, un truc assez dingue. Du coup j’ai traversé la Manche, et je me souviens il y avait une telle ambiance, je suis allée me balader au Panthéon et les gens étaient sous la flotte en train de danser dans la rue. J’étais très heureuse parce que tout le monde était en joie, et puis c’était drôle de quitter Reagan pour arriver avec Mitterrand. Aux États-Unis, la France était vue comme un pays de communistes… J’adore repenser à ça.
C’est vrai que les gens pensaient que les chars rouges et les Soviétiques allaient débarquer à Paris. Tu n’as pas eu peur en tant qu’Américaine ?
Valli : Non, jamais je n’ai pas eu peur de ça. Mais avec les discours de l’époque, quand j’étais petite je croyais que c’était vraiment des Aliens qui allaient arriver, c’était effrayant.
Mais alors pourquoi venir en France ?
Valli : Je m’étais mariée en secret avec un Français, donc je l’ai suivi.
Tu as aussi travaillé dans une radio, Radio Tomate ?
Valli : Travailler, c’est beaucoup dire, on connaissait des gens chez Radio Tomate, une radio libre au moment de la libération des ondes. C’était dingue d’arriver dans cet endroit, ça n’était même pas encore des FM. Un jour, la veille du mariage de Diana et du Prince Charles, mon Français était encore pire qu’aujourd’hui, et on a fait croire que j’étais la colocataire de Diana. On a fait un canular, une fausse émission. Ensuite on a sorti la maquette de « Chacun fait c’qui lui plaît » et on l’a diffusé en premier sur Radio Tomate.
Ils jouaient quoi à l’époque ?
Valli : Je crois que c’était n’importe quoi. C’est ce qui était génial avec les radios libres dans les années 80, chacun pouvait mettre ce qu’il voulait, quatre fois de suite ou toutes les heures, il n’y avait pas de format.
Tu penses qu’un succès comme Chagrin d’Amour n’aurait pas pu exister sans les radios libres ? S’il n’y avait eu que RTL, Europe 1 et France Inter ?
Valli : Je pense que ça aurait pu arriver, car Europe 1 était à donf dessus et RTL aussi. NRJ également, qui était très différente de ce qu’elle est aujourd’hui. C’était une toute petite station, ils avaient leur transmetteur dans les toilettes. Ils étaient fâchés quand je l’ai dit, mais je trouvais ça merveilleux. J’ai toujours aimé la radio. C’est allé très vite, à cause de ça, de cette immédiateté. Ça aurait pu arriver, mais pas avec la même rapidité.
On va continuer à raconter un peu cette histoire, comment ce disque a été fait, enregistré. Ça te dérange de le ré-entendre ?
Valli : Je l’entends aujourd’hui comme si ça n’était pas moi. C’est tellement loin que j’adore, les gens me le chantent dans la rue, ils me reconnaissent encore et c’est toujours très joyeux, gentil. Ça ne m’emmerde nullement.
Le single « Fais le waou waou » a été censuré, en revanche !
Valli : Oui, c’était jugé comme trop lubrique. Radio Monte Carlo avait même interdit « Chacun fait c’qui lui plaît » parce qu’on disait « je ne peux même pas jouir », ça ne passait pas. Ensuite on a fait un single, « Monte Carlo », où on se foutait de la gueule de la princesse Caroline.
En quelle année est sorti ce premier album déjà ? Vous n’aviez même pas prévu le succès du single.
Valli : En 1982. Pas du tout, d’ailleurs Philippe Bourgoin, que j’ai rencontré à New York, on était à l’école de cinéma ensemble. Il avait écrit avec Gérard Presgurvic, un chanteur de l’époque qui a fait des tubes avec Patrick Bruel, des comédies musicales aussi. Ils avaient cette chanson, qui ne s’appelait absolument pas « Chacun fait c’qui lui plaît », sur une histoire un peu glauque d’un mec seul qui ne peut pas dormir etc. Philippe a écrit un scénario et il a tourné le film avec Gérard venu de Paris au Chelsea Hotel. Et c’est devenu cette histoire un peu glauque dans une chambre d’hôtel avec une prostituée… Je l’ai monté, j’ai eu mon diplôme mais Philippe ne l’a pas eu. Je le précise, car mon père m’aurait tué si je ne l’avais pas eu. On est rentrés en France ensemble, et comme le rap faisait rage à l’époque à NY, on s’est dit « et si on le faisait en rap ? »
On l’a fait en une prise et voilà, c’était dans la boîte
À la base c’était chanté ?
Valli : Oui, il y avait une maquette, celle qu’on avait passé sur Radio Tomate. Philippe avait entendu une intro des Clash et ça l’a inspiré pour le « 5h du mat j’ai des frissons », il a écrit la chanson et Gérard a fait le refrain. C’est la voix de Yves Martin, le réalisateur de ce disque. Il m’a demandé de venir, parce que je connaissais bien le rap, et d’écrire des textes en anglais au début et à la fin du morceau. Je suis allée dans le studio et il a dit « ce serait génial si la fille finissait la chanson », alors il a gratté des textes et m’a demandé d’aller chanter. Moi j’étais en France depuis 5 ou 6 semaines, et je ne comprenais rien à ce que je disais. On l’a fait en une prise et voilà, c’était dans la boîte. The rest is History.
Il y a quand même un truc fou dans ce morceau, c’est que tellement de gens ont travaillé dessus qu’il n’arrête pas… Il y a cette intro en anglais, ces voix bizarres, il y a quelque chose de presque cut-up inspiré du hip-hop, un truc encore totalement inconnu en France. On en rigole souvent dans cette émission mais les premiers gros tubes de hip-hop ça a été « Rapture » de Blondie, pourquoi pas Mel Brooks avec « It’s good to be the King »…
Valli : À New York les gens me demandaient comment j’avais découvert le rap. C’était un truc qu’on entendait, on savait que c’était là. Tu marchais dans la rue, ça sortait des fenêtres. La première fois que j’ai su que ça s’appelait le rap c’est quand Debbie Harry sortait « Rapture » et elle a dit : « ça s’appelle le rap ».
Ça a pris du temps pour marcher ou ça a été instinctif ?
Valli : Ça a été assez vite. C’est sorti en novembre 1981, on est allé ensuite dans des galas avec Louis Chedid, Francis Cabrel… Et aussi Jean-Jacques Goldman et Chagrin d’Amour, les petits jeunes inconnus. On est arrivés à Cannes et il y avait toutes les radios libres qui commençaient à le jouer. On était comme des stars, sur la plage, sauf que j’étais pas en bikini, heureusement.
1 500 disques vendus…par jour
45000 45 tours par jour, 3 millions à l’arrivée.
Valli : Je me souviens qu’on allait au Lido Musique ou au BHV et on mettait toujours le 45 tours devant. On a fait notre première télé avec Etienne Daho qui se réjouissait de vendre 200 disques, et nous on disait « on vend 1500 par jour… ». C’était vraiment au début et c’était hyper drôle. Ça a duré deux ans.
Visuel © Radio Nova